Intervention de Sibyle Veil

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 juin 2018 à 9h30
Audition de Mme Sibyle Veil présidente-directrice générale de radio france

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France :

Le projet stratégique que je vais vous présenter est celui que j'ai porté devant le CSA, lors de mon audition publique, à l'issue de laquelle j'ai été nommée au poste de présidente-directrice générale de Radio France. Bien évidemment, il est à compléter des orientations données avant-hier par la ministre pour faire évoluer les sociétés de l'audiovisuel public.

Pour moi, le plus important est qu'un média de service public tel que Radio France ne doit pas faire ce que le secteur privé ne sait pas faire, mais il doit le faire autrement. Il doit proposer des programmes fédérant tous les publics, des émissions qui créent des liens, fabriquent l'air du temps. Nous sommes des médias d'offre et non de demande.

Radio France est une entreprise en mouvement qui a pris une avance, encore fragile, et à consolider. Cette entreprise doit affronter trois défis importants. Tout d'abord elle doit être une entreprise à l'ère du numérique. Elle doit réfléchir à la manière d'offrir au public une diversité de programmes. En outre, ses missions de service public sont interrogées par les mutations sociales, l'État actionnaire, mais aussi la représentation nationale, qui lui demandent de se repenser dans la perspective des mutations de l'audiovisuel public.

Radio France est une organisation de 4 500 salariés qu'il faut accompagner dans des stratégies financières et de modèle économique durables et équilibrées. Il faut également accompagner l'ensemble des salariés afin d'obtenir un média agile, capable de s'adapter aux évolutions très rapides à venir.

Radio France est un acteur qui a pris de l'avance. En effet, dès 2014, nous avons commencé un travail de complémentarité entre les différentes chaînes et les offres, afin d'être bien positionnés sur les missions de service public. Nous avons ainsi des chaînes d'affinités thématiques : la culture avec France Culture, la musique avec France Musique, la création musicale avec Fip. Nous avons également des chaînes tournées vers des publics, comme les jeunes avec Mouv' ou la proximité avec les stations France Bleu.

Enfin, nous avons une chaîne du lien social, qui fédère les auditeurs autour des débats sociétaux : France Inter s'adresse au collectif, en comparaison aux autres chaînes citées. Nous avons travaillé pour dupliquer les publics, afin que chaque chaîne s'adresse à un public, avec une offre identifiée. Cela a permis de nourrir l'audience. Nous avons ainsi connu la saison dernière un très bon niveau d'audience.

Sur la base de cette clarification des offres linéaires, a été développée la présence des chaînes sur le numérique, par des podcasts notamment, par nos applications, mais aussi par une présence sur tous les carrefours d'audience. Or, nous constatons que le public que nous sommes allés chercher sur Internet est venu nous écouter à la radio. On a diversifié notre public. Nous avons notamment gagné 800 000 auditeurs de moins de 35 ans. À contre-courant de nos concurrents, la part de jeunes et la diversité de notre public sont en augmentation.

Nous devons désormais anticiper pour pouvoir intégrer les évolutions très rapides des technologies qui vont venir, à un horizon de cinq ans.

Il est ainsi essentiel d'amplifier la transformation numérique en touchant aux deux bouts de la chaîne : la fabrication des contenus et la maîtrise des relations avec nos auditeurs et le public sur Internet. En effet, de plus en plus d'acteurs s'interposent entrent nos contenus et nos auditeurs. Nous devons garder la maîtrise de notre public. Il faut améliorer l'accès à nos offres. Pour cela, il est essentiel de prendre en compte le cadre de cette transformation numérique, notamment en agissant sur le renforcement de notre référencement sur les nouveaux supports. Dans les voitures connectées, il n'y a plus d'autoradio, mais une interface où nous sommes mis en concurrence avec des sites de streaming. Nous devons faire en sorte de continuer à être référencés dans les voitures ainsi que par les assistants vocaux. Ces derniers représentent une transformation très importante. Aujourd'hui, 20 % des requêtes sur Google se font par la voix. D'ici à cinq ans, cette proportion sera passée à 50 %. En effet, après avoir travaillé sur le clavier et sur l'écran digital, l'élément de connexion le plus naturel est la voix. Les commandes vocales vont se diffuser. D'ailleurs, Amazon vient de lancer cette semaine son assistant vocal et son enceinte connectée - écho. Il faut penser la manière d'être présent sur ces nouveaux supports. Nous développons actuellement une application dénommée « focus » avec Google, permettant d'accéder à la demande à des contenus spécifiques d'information.

Nous travaillons également avec l'industrie automobile. Demain, dans les voitures autonomes, le son sera en concurrence avec l'image. Nous devons l'anticiper afin que le son reste un élément important. Des innovations sont en cours, dans le domaine du son 3D notamment.

Vis-à-vis de notre public, nous devons comprendre comment évoluent les modalités de consommation des contenus. Aujourd'hui, le public a pris l'habitude de choisir le moment où il va consommer un contenu radio, télévisuel ou cinématographique. Nous devons être capables de proposer des contenus sur mesure. Par exemple, France Culture n'est pas une radio où un flux musical vous accompagne, vous avez besoin de choisir le moment de l'écoute. Le développement du numérique a permis d'accroître la connaissance des émissions de cette chaîne. Les podcasts ont fait augmenter l'audience des émissions de France Culture.

Nous devons pouvoir proposer des catalogues d'offres qui ne se périment pas en fonction de l'actualité. Les contenus des émissions comme celles de France Culture sont des contenus patrimoniaux, que l'on peut conserver à l'image d'un livre. Ces accès personnalisés nécessitent des investissements importants, notamment techniques en matière de gestion des bases de données. En outre, le rôle d'un média de service public est de prescrire du contenu culturel. En cela, il faut développer un algorithme qui va faire des recommandations, non pas par similarité, comme c'est le cas sur Facebook où vous vous retrouvez alors enfermé dans une bulle cognitive, pas qui vous ouvrira à un contenu culturel nouveau. Internet est ainsi un levier pour donner un accès plus important à nos offres. Après avoir écouté une émission culturelle sur France Inter, une émission sur France culture pourrait être suggérée. De même, après avoir écouté une émission de musique classique sur Fip, une émission sur France Musique correspondant au goût musical serait mise en avant. Cela permet d'élargir les univers de la connaissance.

Nous travaillons également sur l'interactivité. France Inter est le média du lien social. D'ailleurs, il y a quelques années son slogan était « Intervenez ». L'interactivité est très présente sur cette chaîne, tout comme sur les chaînes France Bleu. Il faut créer un univers numérique sur lequel on anime le débat, on fait vivre une agora virtuelle.

Le numérique permet d'améliorer le rôle du service public, de diversifier les publics. Il nous faut donner encore plus de singularité à nos contenus, afin qu'ils soient très distinctifs de ceux des radios concurrentes du secteur privé.

Vous le voyez, l'innovation technique a une dimension très forte. Nous étions présents au salon Vitatech il y a quelques jours, ainsi qu'à Station F dans le cadre de la mission French tech. Nous menons des partenariats avec des incubateurs. Par exemple nous travaillons sur la géolocalisation afin que des offres sur un festival culturel proche de l'endroit où vous êtes vous soient suggérées.

Avant-hier, la ministre a fait plusieurs annonces, sur lesquelles Radio France est bien positionné. L'une des priorités est ainsi la jeunesse. Elle a deux dimensions. Il faut faire en sorte que toutes les radios touchent toutes les catégories d'âge. Nos antennes doivent rajeunir. Nous avons en outre besoin d'un média générationnel. Mouv', qui vise les 12-29 ans, est très bien positionné. Il a réussi à se faire connaître ; les jeunes ont pris l'habitude de se divertir et de s'informer sur cette radio. Un sondage de l'IFOP montre que 74 % des jeunes connaissent la marque Mouv' et 49 % ont eu un contact avec elle. La proposition éditoriale de cette radio est intéressante : il y a non seulement une culture musicale urbaine, mais aussi une proposition d'informations sur des sujets du quotidien et de l'engagement civique, beaucoup de débats.

Il faut également démocratiser la culture, en étant présent à la radio, et sur le portable de chaque Français. On peut éventuellement imaginer des partenariats avec d'autres acteurs du service public audiovisuel. Dans les prochains jours, on annoncera un média social de la culture, permettant de mettre en commun des contenus culturels des différents médias, dans un format rendant possible la diffusion sur les réseaux sociaux. Cela doit notamment permettre de faire connaître la pluralité de nos offres. Nous réfléchissons également à inverser la chronologie des contenus, dans la mesure où de plus en plus de personnes écoutent une émission au moment qu'elles choisissent. Les contenus pourraient d'abord être mis en ligne puis diffusés.

Autre priorité, l'information. Franceinfo a servi de socle à un média global radio, télévisé et numérique. Il est le deuxième site Internet d'information en continu. L'audience de la radio a augmenté, grâce à la nouvelle visibilité qui lui a été donnée. L'enjeu est désormais d'augmenter l'audience de la chaîne de télévision. C'est également un média qui porte la lutte contre les fausses nouvelles. Il faut éviter une dérive américaine, où le public vient chercher des contenus qui confortent ses opinions. Dès lors comment apporter des contenus permettant de décrypter le monde ? Nous avons lancé l'émission « les idées claires » sur France Info et France culture, sur les idées reçues, qui s'appuie sur des experts.

Enfin la proximité est essentielle et j'ai beaucoup insisté sur cette priorité lors de mon audition par le CSA. Radio France est très bien positionné, avec 44 stations locales et 10 heures par jour de d'informations, d'interactivité locales. Dans beaucoup de départements ruraux, France Bleu est la première ou la deuxième radio écoutée. La ministre de la culture a annoncé vouloir créer un média de proximité global, par une coopération entre France Bleu et France 3, permettant de créer une heure en plus de programmation locale par jour, passant ainsi à 10 heures par jour pour les radios et à 6 heures pour la télévision.

Dans quelle mesure France Bleu peut-elle apporter un contenu entrant en résonnance avec cette demande ? L'offre numérique a permis la création de liens et dès l'automne, nous expérimenterons des matinales communes, des émissions politiques, la couverture d'événements culturels, sportifs, de débats liés à la problématique de l'emploi et de la formation. Le 28 mai, France Bleu et France 3 ont déjà relayé la journée de l'apprentissage pour lui donner une plus grande visibilité. En bref, il faut mettre en place une coopération intelligente entre France Bleu et France 3.

Radio France n'achète pas de contenus, elle est donc un lieu de production très important. Il faut l'ouvrir à la jeunesse et à la création. Nous allons développer des incubateurs à production, mais aussi créer un label « studio Radio France » pour développer nos ressources et valoriser ce que l'on sait faire. Je vais vous donner un exemple. L'orchestre de Radio France a enregistré la bande originale du film Valérian. C'est un soutien à l'industrie cinématographique. En outre, on rapatrie la musique de film en France, alors qu'elle est pour l'instant majoritairement produite au Royaume-Uni. C'est également générateur de ressources propres.

Enfin, l'enjeu de la trajectoire économique de l'entreprise ne doit pas être oublié, avec une trajectoire budgétaire équilibrée dans le temps.

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