Intervention de Martial Bourquin

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 6 juin 2018 à 13h15
Adoption du rapport final de la mission portant sur le volet « stratégie industrielle »

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur :

La France doit croire à son industrie et à son avenir sur le territoire français. Louis Schweitzer, qui nous a livré une audition très intéressante, avec une grande hauteur de vue, nous indiquait qu'il était important qu'il y ait une industrie en France et que ses centres de décision et de production se trouvent en France.

La désindustrialisation de notre pays est forte mais n'a rien d'irrémédiable. La rupture technologique liée à l'irruption de la digitalisation et de la numérisation dans les processus de production et dans les produits eux-mêmes, associée à la mondialisation des marchés, créent une occasion sans précédent pour l'industrie française de revenir à un rang qui lui convient. Voyez le bobinage en Tunisie ou en Chine. Désormais, avec les nouveaux procédés industriels, il sera moins cher de le faire en France, en raison du coût du fret.

Ce renouveau industriel doit avoir lieu sur le territoire français. L'avenir de l'industrie en France n'est pas seulement celui de l'implantation de ses centres de décision sur notre territoire, comme nous le rappelaient nos interlocuteurs ; nous devons maintenir en France des unités de production transformées par les nouvelles technologies - robotisation, fabrication additive, numérisation - pour relocaliser certaines productions.

Pour y parvenir, plusieurs obstacles doivent néanmoins être levés. Le premier est d'ordre culturel et psychologique : les Français doivent aimer à nouveau leur industrie. Certains pensent que la bataille est perdue, mais nous pouvons regagner des parts de marché. Les poncifs ont la vie dure ! Lorsque l'on parle de l'industrie, seules viennent les images des siècles passés. C'est dramatique, alors que certaines entreprises sont très modernes. L'industrie a fortement évolué, tant dans les tâches demandées aux salariés que dans leurs conditions de travail : les métiers dans l'industrie sont aujourd'hui plus qualifiés et parfois mieux rémunérés que dans beaucoup de services ! Malgré cela, l'industrie rebute encore, notamment les jeunes.

La finance a parfois fait de la concurrence déloyale, proposant à nos ingénieurs des salaires qui peuvent être trois fois supérieurs à ceux de l'industrie. Mais voyez l'industrie cinématographique... Gagnons cette bataille culturelle en montrant des industries qui font envie.

L'industrie reste également encore marquée par l'histoire du capitalisme qui s'est longtemps confondue avec celle de groupes industriels de nature conglomérale. C'est pourtant oublier que l'industrie en France ne se limite pas aux grandes entreprises et que c'est grâce à un tissu renforcé de PME et d'entreprises de taille intermédiaire que notre pays retrouvera ses pleines capacités de production locale. Traditionnellement, lorsqu'on évoquait l'industrie française, on parlait de nos quarante plus grands groupes... ils ne sont aujourd'hui plus si nombreux !

Enfin, l'industrie ne produit plus seulement des biens, elle y associe désormais toute une gamme de services, traduisant une évolution globale de l'économie vers une économie de l'usage. Or cette transformation est encore largement ignorée des Français, alors même qu'elle accroît considérablement le champ de l'activité industrielle et les fonctions que les salariés de l'industrie peuvent exercer.

Il faut donc changer les mentalités vis-à-vis de l'industrie, pour enclencher une dynamique vertueuse et recréer de l'emploi industriel en France.

Les autres obstacles sont liés à l'orientation et à l'application de nos politiques publiques. Dans un environnement concurrentiel exacerbé au niveau mondial, les États doivent rester des acteurs de premier plan pour favoriser la réussite de leurs entreprises, en formalisant notamment un cadre juridique favorable à leur activité mais également en exerçant des actions d'accompagnement et de soutien. C'est le rôle, majeur, de l'État actionnaire et de l'État stratège.

À cet égard, il ne faudrait pas que la création annoncée d'un « fonds pour l'innovation de rupture » restreigne ses capacités d'investissement dans l'industrie. L'enjeu est crucial, dès maintenant et lors de l'examen de la prochaine loi de finances. On nous prétend que nous n'aurions pas besoin de participations de l'État dans les entreprises. Mais lors de notre visite à Munich, nous avons pu voir que les Länder travaillent étroitement avec les entreprises, de la formation à l'investissement. On devrait toujours accompagner les entreprises dans leur développement.

Comme nous l'avons souligné dans le premier volet de nos travaux, l'État français a choisi, dans les années 1990, d'abandonner les politiques industrielles verticales pour ne conserver que des politiques horizontales, sous la pression de l'Union européenne. C'est une erreur. L'État, par ses participations et ses fonds pour l'innovation, doit intervenir pour défendre les emplois.

Évidemment, il ne s'agit pas revenir à l'interventionnisme économique des Trente Glorieuses : laissons les entreprises industrielles maîtresses de leurs stratégies de développement. Mais l'action de l'État - et plus largement des pouvoirs publics, notamment les régions - doit comporter une dimension microéconomique plus affirmée, afin d'accompagner le tissu industriel national, sans renoncer à mettre en place de mécanismes d'incitation ciblés dans certains domaines jugés stratégiques pour la Nation, au premier rang desquels l'innovation technologique. Cette stratégie renouvelée ne peut intervenir que dans un cadre collaboratif plus affirmé avec les différentes parties prenantes de l'industrie et porter sur des leviers de natures différentes mais complémentaires. État, collectivités territoriales et chambres consulaires doivent coproduire la politique industrielle pour conserver les emplois.

C'est au regard de cet objectif que je vous soumets 45 propositions qui s'ordonnent autour de quatre priorités.

La première, c'est de renouveler la vision stratégique des pouvoirs publics en faveur de l'industrie. Elle se décline en cinq axes d'action. D'abord, il faut s'appuyer sur des axes de développement favorables à notre industrie. Avoir une stratégie, c'est définir un objectif et utiliser à cette fin les moyens les plus adaptés. Aussi est-il indispensable d'identifier les domaines dans lesquels l'industrie doit se développer. Pour les années futures, il faut retenir à la fois des domaines transversaux - comme les données et l'intelligence artificielle, la transition énergétique et les nouvelles mobilités. Nous aurions dû davantage réfléchir à ces questions pour Alstom, notamment dans le cadre de la vente d'Alstom à General Electric - ce sont des domaines protégés par le décret Montebourg... Il faut aussi nous appuyer sur les secteurs déjà porteurs de notre économie, en particulier l'aéronautique, l'agroalimentaire, les transports, la défense et la santé, qui sont stratégiques.

Dans ce cadre, l'utilisation de deux outils généraux est primordiale. D'une part, la normalisation volontaire française constitue un levier de promotion des activités industrielles françaises sur les marchés européens et internationaux ; d'autre part, les solutions de l'industrie du futur sont sources d'évolution des processus de production comme des produits eux-mêmes. Sans mise à niveau technologique, il n'y aura pas de salut pour nos industries ! Lors de notre déplacement à Saclay, nous avons appris que 60 % des entreprises n'ont pas de réflexion sur l'industrie du futur. Or si ce travail n'est pas réalisé en profondeur, elles risquent de disparaître.

Pour ce faire, il faut donc renforcer les moyens de l'Alliance Industrie du futur pour accompagner davantage nos PMI et ETI dans leur mutation technologique.

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