sous-directrice de la protection et de la gestion de l'eau, des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques, ministère de la transition écologique et solidaire. - Je voudrais rebondir sur ce qui a déjà été évoqué et ce qui a été considéré comme des signaux faibles : l'effet des produits phytopharmaceutiques sur les pollinisateurs est désormais avéré. Remontons en 1939, quand le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) a été découvert, cela a valu à l'époque le prix Nobel de médecine à son découvreur et il a fallu quelques années pour également découvrir que c'était un pollueur organique persistant, ce qui a conduit à son interdiction. En 2013, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a produit une expertise collective faisant un état des lieux des effets des pesticides sur la santé. Cette étude a fait grand bruit à l'époque, parce que c'était assez douloureux à découvrir pour les agriculteurs. Si je reprends les données de 2014, on voit que dans 87 % des points d'eau de surface et 73 % des eaux souterraines, nous trouvons au moins un produit phytopharmaceutique ou son résidu. Enfin sur les 21 dernières années, 3 200 captages ont été abandonnés, notamment à cause des nitrates et des produits phytopharmaceutiques.
Pourtant les solutions existent, La France possède un écosystème riche en matière de recherche - développement et innovation, que ce soit de la recherche fondamentale très en amont jusqu'aux organismes en charge de l'évaluation opérationnelle des solutions retenues. Les sources financières sont variées en fonction des cibles, de l'ampleur des projets et des maîtres d'ouvrage.
S'agissant des seuls crédits mobilisés par l'Agence française pour la biodiversité (AFB), ils visent les solutions les plus opérationnelles possible. Les agences de l'eau, qui sont au sein des territoires cofinancent un certain nombre de projets, grâce des crédits européens du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC) dont les collectivités régionales assurent désormais la gestion.
Nous avons déjà évoqué le dispositif « DEPHY » qui, au travers du volet expérimental permet de proposer des solutions nouvelles, tandis que le volet ferme les déploie en grandeur nature. Ce sont près de 15 millions d'euros sur un total de 41 millions d'euros qui sont dédiés à ce dispositif.
Depuis 2009, et le programme ecophyto 1, de nombreuses actions structurantes ont permis de démontrer qu'il était possible de combiner des solutions pour arriver à atteindre les objectifs en matière de productions agricoles et de rentabilité des exploitations agricoles. Le principal défi est désormais de valoriser et déployer auprès du plus grand nombre d'agriculteurs les techniques et les systèmes économes et performants qui ont fait leurs preuves chez quelques-uns. La mobilisation de 30 millions d'euros spécifiques sur les budgets des agences de l'eau, en plus des 41 millions mobilisés par l'AFB et complémentaires aux actions d'ores et déjà mises en oeuvre par les agences de l'eau en matière de pollutions diffuses vise à atteindre cet objectif.
L'action 4 du plan Ecophyto 2 a dans ce sens une mesure phare, la mesure n° 4, qui vise à diffuser les bonnes pratiques inventées par les 3 000 agriculteurs des fermes DEPHY vers 30 000 agriculteurs qui vont les mettre en oeuvre. En effet, les chercheurs spécialistes du conseil de transition démontrent que l'échange entre pairs est fondamental, dans le cadre des groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) généralistes, ou des « groupes 30 000 » spécifiquement construits autour d'un projet de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques ou de tout autre forme de structuration. Ces structures permettent de privilégier des échanges croisés entre collègues sur les pratiques et les retours d'expérience.
La cohésion des filières territoriales est nécessaire pour concevoir collectivement des systèmes de production agricole plus respectueux des écosystèmes et en en tirant mieux parti, avec des sols et un environnement plus riches en biodiversité, elle-même utile à la production agricole.
Il est également nécessaire d'inscrire la production agricole dans un territoire qui valorise la production de qualité, minimisant son impact sur l'environnement. Les collectivités, les habitants des territoires ont donc un rôle clef à jouer dans l'accompagnement de ces nouveaux modèles agricoles. C'est en quelque sorte un investissement des « urbains » vers les « ruraux », avec des retours collectifs, par exemple en matière de qualité des captages d'eau et de diversité des paysages.
Nous assistons aujourd'hui à une cohérence des signaux pour une synergie des politiques : Les agriculteurs commencent à changer en profondeur, mais se heurtent à la frilosité de certains acteurs en amont et en aval et certaines technostructures doivent encore se mettre en ordre de marche pour accompagner résolument le changement.
Plusieurs politiques publiques donnent des signaux convergents, comme la politique de protection des captages prioritaires, le programme Ambition bio, mais aussi toutes les évolutions de la PAC, que ce soit le premier ou le deuxième pilier.
Aujourd'hui, l'annonce du plan d'actions pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques par quatre ministres, Nicolas Hulot, Agnès Buzyn, Stéphane Travert et Frédérique Vidal, est un signal fort.
Diverses dispositions du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous vont aussi dans ce sens, notamment dans son titre II. Nous aurons l'occasion de revenir sur un certain nombre de ces dispositions.
Sous des auspices aussi favorables, le plan Ecophyto 2+, qui vise à traduire le résultat de la concertation sur le plan d'actions pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques, et qui sera mis en consultation prochainement, devrait permettre l'accompagnement des systèmes agricoles français vers des pratiques réconciliant productions agricoles et respect des écosystèmes pour une agriculture plus résiliente, qui est pour nous la seule voie pour que cette agriculture puisse faire face à l'ensemble des changements qui l'attendent, qu'ils soient économiques ou climatiques.