Intervention de Roger Genet

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 6 juin 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les produits phytosanitaires autour de m. roger genet directeur général et mme françoise weber directrice générale adjointe de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail en charge des produits réglementés m. philippe mauguin président-directeur général de l'institut national de la recherche agronomique mme karine brulé sous-directrice de la protection et de la gestion de l'eau des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques au ministère de la transition écologique et solidaire m. patrick dehaumont directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture et de l'alimentation m. didier marteau membre du bureau de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture président de la chambre d'agriculture de l'aube

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) :

Dans les lignes générales qui nous permettent d'évaluer les risques, nous prenons en compte un certain nombre d'approches « cocktail », mais avec plusieurs milliers de substances chimiques, il est impossible d'identifier le cocktail précis auquel vous êtes soumis dans tel ou tel environnement. Nous avons donc une approche réductionniste pour essayer de cerner ce risque. Nous ne sommes pas capables de vous donner une approche précise des expositions aux très faibles doses, et c'est pour cela que nous avons défini des limites maximales aux résidus, ou des doses sans effets, qui nous permettent de définir les zones au-delà desquelles il est possible d'avoir un risque supportable. Il n'y a cependant pas de risque zéro, c'est pourquoi nous parlons d'absence de risque inacceptable dans les évaluations. Nous faisons une évaluation de risque sur la base des connaissances scientifiques et nous définissons des valeurs de toxicologie de référence pour avoir une marge importante de sécurité, dans un domaine d'utilisation. Je pense que le premier principe doit être de diminuer les risques à la source. Cela revient à conserver une palette de substances biologiquement actives dont nous pouvons avoir besoin, y compris en matière de santé publique. En Guyane et aux Antilles, pour lutter contre le chikungunya ou la dengue, ont été utilisés de manière dérogatoire des insecticides qu'on ne s'autorise plus à utiliser aujourd'hui en tant que produits phytopharmaceutiques, mais il est important de garder ces substances dans la pharmacopée, pour éventuellement les utiliser dans des conditions très encadrées. Mais il faut en même temps faire baisser le facteur d'exposition globale.

Sur le glyphosate, le ministère de l'agriculture a demandé à l'Anses d'évaluer les substances présentant un caractère de danger important pour voir comment nous pouvons les éliminer plus vite. Il faut bien distinguer le danger intrinsèque des molécules cancérigènes ou reprotoxiques, et le risque lié à leur utilisation. Diminuer le risque consiste aussi à éliminer les substances les plus dangereuses dont on peut se passer, et réduire ensuite l'exposition globale dans l'utilisation de ces produits phytopharmaceutiques. La caractéristique des produits phytopharmaceutiques par rapport à d'autres, par exemple les colliers pour chiens et chats que vous avez mentionnés ou les applications biocides, est que ce sont des produits utilisés en très grande quantité et déversés dans l'environnement, qui vont ensuite migrer et affecter l'ensemble de la biodiversité. Contrairement à des substances utilisées en moins grandes quantité et utilisés dans des compartiments plus restreints.

Chaque produit est utilisé dans un cadre réglementaire précis. Il y a beaucoup de progrès à faire au niveau européen pour harmoniser la réglementation des produits, mais quand les autorisations sont données, c'est que, par rapport à leur utilisation et à l'exposition, il n'y a pas de risques inacceptables.

Mon message est donc qu'il faut arriver à avoir une démarche très volontariste et engageante pour réduire les quantités utilisées. Je reviens sur deux points du glyphosate : je ne crois pas qu'il y ait de cacophonie d'expression des agences européennes et communautés scientifiques au sujet de l'aspect cancérigène. Je pense qu'il peut y avoir des divergences d'appréciation entre certaines communautés scientifiques. Mais entre l'EFSA et l'Anses en particulier, nous avons de nombreuses collaborations. Nous publions plus de 2 000 autorisations chaque année, produit par produit, qui s'appuient sur les autorisations de substances données au niveau communautaires. Le nombre de sujets sur lesquels il peut y avoir des distorsions entre nos avis et ceux de l'EFSA sont extrêmement limités. Ils sont parfois malgré tout politisés et donc très visibles. Cela a été le cas sur le bisphénol, où l'agence a approfondi les recherches scientifiques car nous avions des doutes sérieux sur le caractère perturbateur endocrinien de ce produit. On voit aujourd'hui que la littérature scientifique a consolidé cette évaluation de l'Anses. Finalement, les États membres ont décidé à l'unanimité le retrait du bisphénol dans les tickets de caisse en juin 2017. Il est donc clair que des agences comme l'Anses doivent approfondir un certain nombre de questions que nous pouvons avoir sur la base du travail de nos comités d'experts. Il doit y avoir des débats entre les communautés scientifiques, c'est comme cela que la science progresse. Mais lorsque les controverses scientifiques sont politisées et deviennent un débat dans l'agora, cela représente une difficulté pour les scientifiques.

Nous avons aujourd'hui une différence d'appréciation avec le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) sur le classement du glyphosate. Cependant, avec l'ensemble des éléments dont nous disposons, nous avons suffisamment d'arguments pour lever l'incertitude et estimer que le caractère cancérigène probable avancé par le CIRC n'est pas fondé. Nous continuerons les discussions au niveau scientifique. Nous sommes saisis par les ministères de l'agriculture et de l'environnement pour établir un cahier des charges afin de mener des études complémentaires et lever l'incertitude qui reste sur la toxicité du glyphosate. Nous produirons ce cahier des charges pour l'automne et nous en discutons avec l'EFSA et le CIRC.

La problématique du glyphosate est également liée à la quantité : 9 000 tonnes par an, dont 7 000 tonnes pour les usages agricoles, sur un total de 60 000 tonnes de produits phytosanitaires utilisés. Ce sont aussi des concentrations très importantes déversées dans l'environnement, dont nous ne pouvons pas garantir à très long terme l'innocuité dans les milieux.

L'Anses est également saisie sur les dossiers de maladies professionnelles pour le comité d'orientation des conditions de travail. Notre rôle est renforcé depuis plusieurs mois sur ce dossier-là, où nous évaluons les risques. Deux maladies professionnelles ont été reconnues, liées aux pesticides : la maladie de parkinson et lymphome non hodgkinien. Le nombre de cas est cependant très faible : une dizaine par an. Il y a des questions qui peuvent être liées à l'exposition des travailleurs agricoles à des produits qui ont été autorisés mais dont les connaissances scientifiques ont permis aujourd'hui de les retirer du marché. Il y a évidemment des expositions qui ont provoqué des maladies professionnelles et qui nécessitent une prise en charge adaptée et une indemnisation. Nous continuons par ailleurs nos études pour mieux caractériser les liens de causalité, ce qui reste la plus grande difficulté, car il s'agit de faire le lien entre des expositions qui ont eu lieu pendant la vie professionnelle, et des maladies qui se déclarent des dizaines d'années plus tard.

J'insiste enfin sur le dialogue. Nous parlons de questions qui ont été politisées et qui sont devenues des enjeux forts de société. L'agence a absolument besoin de créer une relation de confiance entre tous les acteurs de la société sur la façon dont ces risques sont évalués. Elle doit être fondée sur une totale transparence. L'agence a mis en place au début de l'année 2018 une plateforme de dialogue sur les produits phytopharmaceutiques et sur les missions de l'agence, qui réunit tous les acteurs du domaine : organisations professionnelles, producteurs de produits phytopharmaceutiques, associations de consommateurs et de défense de l'environnement. Je crois beaucoup à ce dialogue pour créer, non pas un consensus, mais une transparence et une confiance réciproque sur la façon dont l'évaluation des risques est conduite.

À propos des produits bio, nous menons des expérimentations et des enquêtes sur la qualité de l'alimentation telle qu'elle est consommée. Nous regardons quels sont les contaminants que l'on va retrouver dans l'alimentation, quelle que soit leur source. Nous n'avons pas encore différencié les aliments bio et non bio mais nous sommes en discussion avec l'agence bio pour ultérieurement avoir des études qui se concentrent sur cette production, qui nous permettront d'avoir une idée plus précise du risque éventuel, et d'identifier des types de contaminant par rapport à l'alimentation totale. Mais aujourd'hui nous n'avons pas d'éléments qui nous permettent de différencier la qualité du bio par rapport au reste de l'alimentation.

S'agissant de la question de M. Gontard, je rappelle qu'une substance active est homologuée au niveau européen sur la base de l'évaluation de la substance en tant que telle et d'une formulation de référence, c'est-à-dire un produit qui contient des coformulants. Au niveau des États membres, nous évaluons la formulation de chaque préparation. Cette formulation est effectivement couverte par le secret industriel et commercial, pour que des concurrents du demandeur ne puissent pas la reproduire, et n'est donc pas forcément rendue publique. Mais tous ces éléments nous sont communiqués et nous les prenons en compte dans notre évaluation des risques de chaque produit. Et en France, nous n'autorisons jamais un produit dont les coformulants auraient un niveau de danger supérieur à la substance active. En juillet 2016 l'Anses a retiré 126 autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des préparations contenant du glyphosate et la tallowamine comme coformulant, en raison d'informations nouvelles sur le caractère reprotoxique de la tallowamine, même si elle n'est pas aujourd'hui classée comme cancérigène ou reprotoxique. Les éléments nouveaux étaient toutefois suffisants pour que nous retirions ces AMM.

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