Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame le rapporteur pour avis, mes chers collègues, il faut rendre à César ce qui est à César ! En l’occurrence, dès 2016, soit bien avant que les annonces du Gouvernement sur le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, ou future loi « Pacte », mettent en lumière les enjeux économiques de la transmission d’entreprise, la délégation sénatoriale aux entreprises s’était saisie de cette problématique. Un rapport très complet et richement documenté a été rendu public en février 2017, comme l’a rappelé Michel Vaspart.
Ce rapport d’information de Claude Nougein et de Michel Vaspart, dont je souhaite souligner ici la très forte implication dans ce travail d’ampleur, met en lumière l’urgence de simplifier la transmission d’entreprise pour maintenir l’emploi sur l’ensemble du territoire national, notamment dans les zones rurales.
Ce sujet est d’actualité. Selon les données du dernier rapport de l’observatoire de la BPCE, la proportion des dirigeants de PME et ETI âgés de soixante ans et plus est passée de 14, 6 % en 2005 à 17, 2 % en 2010 et à 21, 1 % en 2014. Les transmissions d’entreprise sont donc appelées à se multiplier en raison des évolutions démographiques.
Les difficultés liées à la transmission des entreprises sont identifiées depuis longtemps et ont donné naissance à de nombreux dispositifs fiscaux incitatifs, dont certains peuvent se cumuler.
Dès 1999, un amendement à la loi de finances pour 2000, déposé par Didier Migaud, alors rapporteur du budget à l’Assemblée nationale, avait préfiguré le dispositif mis en place en août 2003 par la loi pour l’initiative économique, connu aujourd’hui sous le nom de « dispositif Dutreil » ou de « pacte Dutreil ».
Favoriser la transmission d’entreprise n’est donc ni de gauche ni de droite. J’espère que ce sujet réunira une nouvelle fois aujourd’hui le Sénat dans toute sa diversité.
La proposition de loi dont nous débattons va bien au-delà d’un assouplissement du dispositif Dutreil, puisque les sujets abordés ne sont pas uniquement de nature fiscale.
Quatre articles lèvent des freins liés à des complexités du droit du travail ou encouragent la formation vers l’entrepreneuriat. Ces sujets seront abordés par ma collègue Pascale Gruny.
Le délai imparti à la commission des finances pour l’étude de ce texte a été très bref ; ses travaux se sont donc concentrés sur la faisabilité technique des propositions et sur leurs conséquences pour les finances publiques. Nous avons cependant gardé à l’esprit la philosophie de cette proposition de loi : il s’agit de favoriser la transmission des entreprises afin d’éviter leur disparition par rachat, par absorption ou par fusion avec un groupe de taille plus importante et de se donner ainsi toutes les chances de préserver l’emploi et, notamment, son ancrage territorial.
Concernant le coût de ce texte pour les finances publiques, nos travaux se sont rapidement heurtés aux lacunes du système d’information statistique. Dans un rapport de mai 2016, l’Observatoire du financement des entreprises a dû constater que les données sont partielles et qu’aucune source n’existe permettant de couvrir l’ensemble du champ de la transmission d’entreprise en France.
Alors même que les entreprises doivent réaliser chaque année de nombreuses déclarations, il n’existe pas de bases de données autour de la transmission. Il n’y a même pas de définition statistique de ce concept. Le montant du dispositif Dutreil est ainsi estimé, encore en 2018, à partir de données datant de 2006 ! Le Gouvernement se heurtera aux mêmes difficultés lorsqu’il devra présenter l’étude d’impact du projet de loi portant plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, ou projet de loi PACTE.
Le programme de travail de l’INSEE ne relève pas de la loi. Cependant, il m’apparaît important que les membres du Gouvernement chargés de l’économie entendent la demande du Sénat de disposer d’une meilleure connaissance statistique du tissu économique et des transmissions d’entreprise. Une piste serait d’offrir à l’INSEE un accès au registre des bénéficiaires effectifs.
Concernant la faisabilité technique de cette proposition de loi, je me dois de vous rappeler la décision du Conseil constitutionnel n° 95-369 DC du 28 décembre 1995. Statuant sur l’abattement de 50 %, sous conditions, sur la valeur des biens professionnels lorsque ces biens sont transmis à titre gratuit entre vifs ou par succession, le Conseil avait considéré que « dans ces conditions et eu égard à l’importance de l’avantage consenti, son bénéfice est de nature à entraîner une rupture caractérisée de l’égalité entre les contribuables pour l’application du régime fiscal des droits de donation et de succession » et que, dès lors, le dispositif « ne peut être regardé dans son ensemble comme conforme à la Constitution ».
C’est au regard de cette jurisprudence qu’ont été analysées les dispositions de l’article 8 de cette proposition de loi et leur articulation avec les autres articles. Pour que le dispositif reste conforme au principe d’égalité devant les charges publiques, porter le taux d’abattement à 90 % doit nécessairement s’accompagner de contraintes plus fortes quant à la durée de détention, ainsi que d’une stabilité de l’actionnariat.
Parce que les entreprises petites, moyennes et intermédiaires sont le moteur de notre économie, à l’origine de 50 % du PIB, la commission des finances a renforcé certains dispositifs de cette proposition de loi.
Le crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunt, prévu à l’article 7, a été prorogé de deux ans, jusqu’en 2022, de manière à nous donner la possibilité d’évaluer son efficacité avant de statuer sur sa reconduction ou son abandon. Le coût de cette dépense fiscale pour les finances publiques est modéré : il n’a jamais excédé 5 millions d’euros par an.
L’assouplissement du dispositif dit « Dutreil post mortem » est conforté, d’une part, par un prolongement de droit du délai de six mois pour signer l’engagement collectif lorsque la succession n’est pas intervenue, et, d’autre part, par une prise rétroactive d’effet de l’engagement collectif à compter de la date de décès.
Le principe du maintien inchangé des participations à chaque niveau d’interposition pour l’ensemble des engagements a été remplacé par celui, plus souple, du maintien du taux de participation indirecte.
Le périmètre des personnes susceptibles d’exercer une fonction de direction est élargi aux cessionnaires ayant remplacé des signataires rompant leur engagement collectif en cours, en sus des nouveaux signataires ayant adhéré à un engagement collectif en cours, comme le prévoyait la proposition de loi dans son texte initial. L’exonération, renforcée à 90 %, a été étendue aux entreprises individuelles.
Par ailleurs, la commission des finances a introduit au sein du code général des impôts une définition de la holding animatrice, concept qui est également utilisé pour l’application de l’impôt sur la fortune immobilière et de la réduction d’impôt dite « Madelin », ainsi que pour le régime d’imposition des plus-values.
Nous avons repris la définition traditionnelle tout en la complétant par la jurisprudence. C’est une première étape. Il semble néanmoins nécessaire, madame la secrétaire d’État, de reprendre les discussions avec les professionnels, abandonnées en 2014, pour préciser par circulaire les critères à mobiliser pour qualifier une holding animatrice.
Au-delà du monde de l’entreprise, la présente proposition de loi nous invite à nous interroger sur la transmission et l’installation des agriculteurs ou des artisans.
Le dispositif proposé à l’article 13 soulève de nombreuses questions quant à sa mise en œuvre pratique. Des solutions plus satisfaisantes auraient pu être proposées par la commission des finances, mais elles seraient tombées sous le couperet de l’article 40 de la Constitution. Aucune solution plus acceptable n’ayant été trouvée au cours de la semaine écoulée, j’ai déposé un amendement de suppression de cet article, pour éviter de faire courir des risques aux potentiels bénéficiaires de cette mesure.
Au moment de conclure, j’estime que le Sénat et, tout particulièrement, sa délégation aux entreprises ont fait une partie du chemin pour favoriser les transmissions d’entreprise en assouplissant les dispositifs en vigueur.
Pour atteindre pleinement cet objectif, il appartient désormais à l’ensemble des acteurs qui ont vocation à conseiller et épauler les entreprises – je pense aux chambres de commerce et d’industrie, ou encore à l’agence France Entrepreneur – de faire le reste du chemin. Il leur revient de communiquer sur ces dispositifs qui, quand ils sont bien utilisés, permettent la continuité de l’activité économique sans nécessiter le versement de dividendes exceptionnels aux repreneurs, pour financer les charges de la donation ou de la succession.