Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’intervention de ma collègue rapporteur Christine Lavarde sur l’ensemble du texte, je me concentrerai sur le cœur de la saisine pour avis de la commission des affaires sociales, à savoir le droit à l’information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise.
En portant cette proposition de loi, nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart, ainsi que les membres de la délégation sénatoriale aux entreprises présidée par Élisabeth Lamure, ont souhaité apporter une réponse pragmatique à la question suivante : comment favoriser au maximum les reprises d’entreprises et, lorsque c’est possible, les reprises internes, c’est-à-dire par les salariés eux-mêmes ? Au terme de leurs auditions, ils ont conclu que le droit à l’information des salariés en cas de vente de leur entreprise, tel qu’il existe en France depuis 2014, ne fonctionne pas.
Ce droit à l’information préalable, issu de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, dite « loi Hamon », concerne les petites et moyennes entreprises, qui sont les principales victimes du manque de repreneurs. Malgré sa réforme par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », ce dispositif demeure contre-productif, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le délai de deux mois qu’il instaure entre la notification de l’information des salariés et la possibilité de procéder à la cession est ravageur – je pèse ce mot pour en avoir fait l’expérience !
Le caractère obligatoire et systématique de cette information peut inquiéter les salariés : lorsqu’ils reçoivent le courrier les informant de la possibilité de reprendre l’entreprise, ils ressentent généralement une profonde angoisse, et ce même lorsqu’un repreneur est pressenti. Il est ravageur aussi pour l’employeur, qui ne maîtrise pas le risque de divulgation et, à l’inverse, pâtit de la perte de confidentialité de son projet lorsqu’il a engagé des négociations avec un repreneur.
En second lieu, le défaut d’information est sanctionné, depuis la loi Macron, par une amende civile d’un montant maximal de 2 % du montant de la vente, et non plus par une sanction de nullité relative de la cession. Cette sanction demeure néanmoins une source de préoccupation pour les cédants potentiels, qui préfèrent bien souvent en provisionner le montant plutôt que d’informer les salariés, par crainte d’une perte de confidentialité.
De l’aveu de tous les professionnels de la reprise d’entreprise – avocats, administrateurs judiciaires, experts-comptables –, ce droit à l’information n’a aucunement favorisé les reprises internes – leur nombre n’a pas progressé depuis quatre ans –, mais a entraîné de sérieuses difficultés pour certains projets de cessions : retard pris dans la vente, perte de confiance des clients et des fournisseurs, inquiets de la divulgation du projet de cession, ou encore fuite de salariés que le changement d’employeurs inquiète.
L’article 14 de la présente proposition de loi abroge ce dispositif ; je n’ai d’ailleurs constaté aucun empressement des organisations syndicales à le défendre.
Je le dis très clairement, cette abrogation n’est pas idéologique. Je considère en effet que l’obligation d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise peut être opportune dans certains cas, en particulier lorsqu’aucun repreneur n’est pressenti ou lorsque les salariés sont en mesure de présenter une offre de reprise concurrençant un repreneur potentiel se souciant peu de l’avenir de l’entreprise.
J’ai donc proposé à la commission des affaires sociales d’émettre un avis favorable à l’amendement rétablissant l’article 15, mais à la condition que sa rédaction soit modifiée. Si vous adoptez cet amendement modifié par le sous-amendement de notre commission, une obligation d’information sera alors instaurée dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire, au moment où le juge de commerce décide d’un plan de cession.
À ce stade, les difficultés de l’entreprise sont connues, et il faut tout faire pour favoriser les projets de reprise. Les salariés sont alors bien placés, en raison de leur connaissance de l’entreprise, pour présenter une offre capable de convaincre le tribunal de commerce. Les projets de reprise interne d’entreprises, notamment sous la forme d’une SCOP, une société coopérative, qui avaient inspiré la loi « Hamon » – Fralib, par exemple – avaient d’ailleurs été proposés au moment du redressement judiciaire de ces entreprises.
Mes chers collègues, nous pouvons, par cette proposition de loi, simplifier réellement la vie de nos entreprises pour favoriser leur reprise sans pour autant fragiliser les salariés. En l’état, le droit à l’information des salariés dans les PME n’est pas protecteur et ne doit pas être regardé comme un totem.
Je vous invite donc, au nom de la commission des affaires sociales, à adopter cette proposition de loi qui envoie un signal fort aux entreprises et au Gouvernement alors que se profile la discussion du projet de loi PACTE.