Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, c’est en juillet 2016, c’est-à-dire il y a bientôt deux ans, que le bureau de la délégation aux entreprises a décidé d’orienter les travaux de la délégation sur la reprise et la transmission d’entreprise.
Au cours de ses déplacements sur le terrain durant un an et demi, la délégation a maintes fois été interpellée sur le sujet : nombre des chefs d’entreprise que nous avons rencontrés, qu’ils soient à la tête d’entreprises de taille petite, moyenne ou intermédiaire, nous ont dit en effet combien il était compliqué de transmettre ou de trouver un repreneur et combien le coût de la transmission, même sous le régime Dutreil, mettait en péril la survie des entreprises.
Nous envions la force du tissu industriel allemand, mais il faut savoir qu’il repose sur des entreprises familiales, qui ont été transmises de génération en génération et qui ont grandi au fil du temps. La France compte 83 % d’entreprises familiales, mais l’Allemagne, comme l’a rappelé Emmanuel Capus, en compte 95 % et l’Italie 93 %. Les entreprises familiales françaises n’arrivent pas à passer les générations. Un tiers d’entre elles n’arrive pas à passer à la deuxième génération. Seulement 10 % d’entre elles réussissent à passer à la troisième. Enfin, seulement 3 % passent à la quatrième et au-delà !
Pourtant, ces entreprises ont fait la preuve de leur particulière robustesse économique. D’après une étude de PwC France, en 2016, quelque 83 % des entreprises familiales françaises interrogées avaient vu leur chiffre d’affaires augmenter, contre 64 % en moyenne. Seuls 10 % d’entre elles avaient enregistré un recul de leurs résultats.
Ces entreprises disposent en effet de nombreux atouts : réactivité, capacité d’investissement, prise de décision à long terme. Elles sont un moteur essentiel de l’activité économique. Les entreprises de taille intermédiaire se distinguent en outre par leurs performances à l’export. Comme le soulignait déjà en 2010 notre collègue Bruno Retailleau, dans son rapport au Premier ministre, elles sont capables d’articuler harmonieusement le local et le global.
Dès la rentrée parlementaire de septembre 2016, la délégation a donc nommé deux rapporteurs – nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein – pour poser un diagnostic précis sur le mal et proposer des remèdes. Après avoir entendu tous les acteurs concernés, ils ont soumis à la délégation un rapport d’information, que celle-ci a salué et adopté en février 2017. Ils concluaient à la nécessité urgente de moderniser la transmission pour sauver des emplois dans les territoires.
Ce sont les préconisations de ce rapport qui sont déclinées dans la proposition de loi déposée en mars dernier. Je me félicite que ce texte soit aujourd’hui soumis au Sénat, car il vient consacrer un long travail mené au sein de notre assemblée. Surtout, il vient répondre à une urgence : sauver la vie de milliers d’entreprises qui font vivre nos territoires. Une entreprise de taille intermédiaire sur deux sera transmise dans les dix prochaines années. Un peu plus de 1, 5 million d’emplois sont en jeu !
La presse économique s’en est fait l’écho ces derniers jours : la transmission d’entreprise reste trop compliquée et trop risquée. Les critères du dispositif Dutreil demeurent incertains, fragilisant les pactes conclus. Les formalités à respecter sont trop contraignantes, et leur oubli peut tout invalider. Le pacte peut donc être remis en cause longtemps après la transmission, parfois douze ans après, ce qui peut avoir des conséquences financières dramatiques. Dans ce contexte, on comprend que les dirigeants hésitent à transmettre.
Au-delà des questions fiscales, les dirigeants peinent à anticiper la transmission et à élaborer une vision stratégique d’avenir pour leur entreprise, afin de passer le flambeau au mieux. En interne, la reprise de l’entreprise par les salariés, qui peut être une bonne solution, n’est pas suffisamment accompagnée.
C’est pour répondre à l’ensemble de ces défis que Claude Nougein et Michel Vaspart, soutenus par la majorité des membres de la délégation aux entreprises, soumettent cette proposition de loi au Sénat. Je forme le vœu que le texte voté par le Sénat retienne l’attention du Gouvernement, qui semble avoir identifié le problème, et persuade les députés.
D’après ce que l’on croit savoir, le projet de loi PACTE, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, pourrait décevoir ceux qui espèrent un véritable progrès en matière de transmission d’entreprise. Or nous ne pouvons plus reporter sans cesse les avancées nécessaires.
Je souhaite donc que le Sénat se positionne aujourd’hui comme force de proposition sur ce sujet vital, afin de répondre aux attentes de milliers d’entreprises, d’un nombre plus grand encore de salariés, mais aussi de nombreux territoires.