Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 juin 2018 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Règlement « cosmétiques » : proposition de résolution européenne et avis politique de m. jean-pierre leleux

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux :

La commercialisation des produits cosmétiques sur le marché européen est fortement encadrée. Il est en effet indispensable de veiller à ce que seuls des produits sûrs pour la santé humaine soient commercialisés et de détecter et étudier tout risque potentiel. De fait, les listes de substances autorisées dans la fabrication de ces produits font l'objet de modifications régulières.

Le règlement sur les produits cosmétiques de 2009 organise une procédure de contrôle initiale exigeante, avec un suivi permanent et des mécanismes d'alerte, en particulier en cas de réactions à certaines substances ou à leur combinaison. Il comporte des annexes volumineuses qui énumèrent les substances interdites et celles dont les modalités d'emploi sont encadrées, car elles sont jugées sûres, sous les conditions qu'elles définissent, pour l'utilisation dans des produits cosmétiques.

Les annexes sont mises à jour régulièrement pour tenir compte du progrès scientifique et technique, dès lors que celui-ci établit que les modalités d'utilisation des substances autorisées dans la fabrication de produits cosmétiques font courir un risque potentiel à la santé humaine. Plusieurs séries de modifications sont ainsi intervenues chaque année entre 2013 et 2017.

Ces modifications relèvent actuellement de la procédure de réglementation avec contrôle, dite PRAC, mise en oeuvre par la Commission européenne, après consultation d'experts et du Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs (CSSC). La proposition de règlement, qui adapte 168 actes européens aux articles 290 et 291 du traité de Lisbonne, prévoit que ces modifications seront désormais effectuées par voie d'actes délégués.

La compétence de la Commission en la matière est strictement définie. Surtout, pour modifier les modalités d'emploi des substances autorisées dans les produits cosmétiques, il est précisé que, outre l'avis du CSSC, dont elle devra tenir compte, la Commission européenne devra consulter les experts nationaux, le Conseil et le Parlement européen. Les modifications envisagées seront notifiées simultanément au Parlement et au Conseil, qui disposeront d'un délai de deux mois, renouvelable une fois, pour formuler des objections. Cette procédure, qui s'inscrit dans la logique du traité de Lisbonne, est conforme à l'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 « Mieux légiférer ».

Notre commission des affaires européennes, vous le savez, exerce une vigilance particulière sur les renvois à des actes délégués et évalue s'ils sont ou non contraires au principe de subsidiarité. Elle demande également que ces actes délégués soient soumis au contrôle de subsidiarité exercé par les parlements nationaux.

Le renvoi à des actes délégués en matière de modification des substances autorisées dans les produits cosmétiques a suscité des réactions du côté du Gouvernement, plus particulièrement concernant les substances dites CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques), dont le règlement de 2009 autorise l'emploi, selon les modalités et dosages qu'il fixe, en distinguant entre, d'une part, les substances classées en catégorie 2, évaluées par le CSSC comme sûres pour l'utilisation dans les produits cosmétiques, et, d'autre part, les substances classées en catégorie 1, utilisables à titre exceptionnel et dès lors qu'elles réunissent certaines conditions cumulatives, en particulier le fait qu'il n'existe pas de solution de substitution appropriée.

Le Secrétariat général des affaires européennes, que j'ai interrogé sur le sujet, m'a confirmé que, lors de l'examen de la proposition de règlement par le Conseil, le 29 mai 2017, la France, appuyée par plusieurs États membres, avait demandé que les modifications des annexes relèvent dorénavant de la procédure de codécision. Cette demande a finalement conduit à retirer le règlement de 2009 du champ de la mise en conformité avec le traité de Lisbonne, prévue par la proposition de règlement.

Quelles en sont les conséquences ? Les enjeux en matière de santé publique sont cruciaux non seulement pour les consommateurs, mais également pour l'industrie cosmétique. La France, particulièrement bien placée en la matière, serait de toute évidence fragilisée par un scandale sanitaire. Il convient de déterminer quelle procédure de modification des annexes est de nature à répondre efficacement à ces préoccupations.

La procédure législative de droit commun, on le sait, est la codécision. Notre commission ne manque pas de dénoncer les renvois extensifs à la compétence de la Commission européenne. Il convient toutefois d'observer que la mise en oeuvre de cette procédure est longue en raison de l'accord entre institutions qu'elle exige. Or les mises à jour dont nous parlons ici doivent intervenir rapidement si l'on veut pouvoir réagir aux nouvelles données scientifiques et techniques disponibles et prendre rapidement des mesures en cas de risque potentiel identifié pour la santé humaine.

Le renvoi à des actes délégués pris par la Commission européenne est possible, faut-il le rappeler, dès lors qu'il ne porte pas sur des éléments essentiels d'un domaine. Tel est précisément la raison pour laquelle la modification de la liste des substances autorisées et de leurs modalités d'utilisation dans les produits cosmétiques relève d'une procédure de règlementation avec contrôle, conduite par la Commission. Le traité de Lisbonne a, en principe, substitué des actes délégués à cette procédure. Ceux-ci permettraient en l'espèce d'agir rapidement, après consultation des experts scientifiques et sous le contrôle préalable du Conseil et du Parlement. Ce cadre a été renforcé en 2016, même s'il manque encore, il est vrai, la notification préalable aux parlements nationaux souhaitée par notre commission.

La situation actuelle, qui résulte du retrait du règlement sur les produits cosmétiques de la démarche d'harmonisation transversale engagée par la Commission européenne pour remplacer la procédure ancienne de règlement avec contrôle par des actes délégués conformément au traité de Lisbonne, apparaît, quant à elle, fort peu satisfaisante. Elle empêchera les mises à jour indispensables des annexes jusqu'à la révision du règlement, alors que celle-ci ne sera pas engagée avant plusieurs années et prendra du temps. S'il apparaissait alors que certaines mesures ne doivent plus être prises par voie d'acte délégué, cette révision permettrait de revoir l'organisation actuelle sans qu'il soit nécessaire de suspendre les évolutions des annexes à cet exercice.

En conclusion, je vous propose de demander au Gouvernement de soutenir la réintégration du règlement sur les produits cosmétiques dans le champ de la proposition de la Commission européenne afin de préciser à quelles conditions les annexes de ce règlement pourront être modifiées par des actes délégués, conformément au traité de Lisbonne et à l'accord interinstitutionnel de 2016. Un avis politique, reprenant ces éléments, pourrait utilement aller dans le même sens.

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