Intervention de Nicolas Sallée

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 7 juin 2018 à 11h00
Audition de M. Nicolas Sallée professeur de sociologie à l'université de montréal spécialiste du traitement de la délinquance des mineurs

Nicolas Sallée, professeur de sociologie à l'université de Montréal :

Mon travail de recherche porte sur les transformations des conceptions de l'éducation des jeunes délinquants et des pratiques quotidiennes d'accompagnement de ces jeunes dans une diversité d'institutions relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), hors secteur associatif. J'ai ainsi observé la transformation du mode d'éducation porté par l'institution et mis en oeuvre par les éducateurs de la PJJ.

Ce modèle prend sens dans un environnement politique plus général. Dans mon livre, j'évoque un cadrage punitif pour souligner une transformation du champ des représentations de la délinquance induisant des réponses orientées vers la répression et ses corollaires sémantiques que sont l'intransigeance ou la « tolérance zéro ». Cette transformation du regard sur la délinquance juvénile repose sur l'idée d'une nécessaire responsabilisation des jeunes. Cette démarche met à l'épreuve les fondements de l'ordonnance de 1945, qui repose sur l'idée d'un partage des responsabilités entre les jeunes et la société en ce qui concerne les causes de la délinquance juvénile.

Cette transformation reflète d'ailleurs des transformations sociales de plus grande ampleur. Replacer les institutions pénales et judiciaires dans leur contexte, est une nécessité : ces transformations sociales pèsent sur les jeunes issus des couches populaires, principalement en milieu urbain, en proie à une double exclusion de l'école et du marché de l'emploi. Cette nouvelle représentation s'inscrit également dans une société qui connaît le chômage de masse ; cette responsabilisation pénale, vis-à-vis des actes de délinquance, se nourrit de l'échec des politiques sociales. Comprendre les ressorts des trajectoires de ces jeunes doit nous aider à agir, sans angélisme.

L'ordonnance de 1945 entendait inscrire dans le droit les causes psychosociologiques de la délinquance des jeunes. Or, je décris dans mon livre non une disparition, mais une transformation éducative qui épouse le modèle de l'éducation sous contrainte. Celui-ci repose sur deux principaux piliers : d'une part, la dissociation croissante entre une forme civile du travail éducatif à destination des jeunes en danger et une forme pénale du travail éducatif auprès des jeunes délinquants. Cette dissociation croissante se reflète dans l'évolution des financements publics de la PJJ. D'autre part, la valorisation croissante, dans les pratiques éducatives, du rôle supposément éducatif de la contrainte pénale et de l'enfermement. Cette tendance a conduit à la création des centres éducatifs renforcés (CER), fermés (CEF), puis à la construction de nouveaux centres carcéraux pour mineurs.

Cette revalorisation de la contrainte de l'enfermement induit des effets sur les pratiques en milieu ouvert. Elle tend à peser sur l'ensemble de la chaîne éducative, sous l'angle de la procédure d'accompagnement et de la croissance des mesures probatoires à risque d'incarcération. Pour preuve, le contrôle judiciaire est devenu très important en milieu ouvert. Les CEF sont emblématiques de cette transformation : ce sont des centres de placement et non des prisons, qui demeurent néanmoins encadrés par des mesures judiciaires à forte contrainte pénale. Aujourd'hui, on constate une hausse de l'incarcération des mineurs, alors que la délinquance des mineurs est relativement stable depuis les années 2000. Au-delà de ces évolutions numériques, on assiste à une transformation qualitative qui tend à considérer l'enfermement comme une mesure éducative et qui accroît l'influence de la prison en dehors de ses propres murs. C'est là une transformation majeure des pratiques éducatives.

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