Mes chers collègues nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, qui vient nous présenter le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Je tiens à le remercier, car je sais que l'examen de la loi à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, a constitué un véritable marathon.
Monsieur le ministre, ce projet de loi se veut être la mise en oeuvre législative de certaines conclusions des états généraux de l'alimentation, qui avaient rassemblé tous les acteurs des filières entre juillet et décembre 2017. Ce temps de réflexion partagée a nourri légitimement de nombreuses espérances chez toutes les parties prenantes. Certaines d'entre elles étaient peut-être contradictoires, ce qui explique probablement l'inflation qu'a connue le projet de loi à l'Assemblée nationale, passant de 17 à 92 articles.
Les grandes lignes du projet de loi nous sont déjà connues et nous attendons surtout cet après-midi des explications sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale. En premier lieu, comment expliquez-vous que le Gouvernement ait permis une telle inflation législative en donnant de nombreux avis favorables à des articles additionnels relevant, le plus souvent, du domaine réglementaire ou n'ayant aucune portée normative, alors même que le projet gouvernemental de révision constitutionnelle entend durcir les conditions de recevabilité des amendements ?
Le projet de loi trace trois axes prioritaires : assurer un meilleur équilibre des relations commerciales entre le producteur, le transformateur et le distributeur, promouvoir des choix alimentaires favorables à la qualité, à la sécurité sanitaire et à la durabilité de la production et - permettez-moi de vous citer, monsieur le ministre, pour ce dernier volet - « réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytosanitaires ».
Je ne puis m'empêcher de vous dire que ce dernier sujet est devenu un « marronnier » de toutes les lois touchant de près ou de loin à l'agriculture et à l'alimentation. Il me semble que la sagesse serait de laisser le temps d'appliquer les lois que nous votons, de les évaluer et de les faire évoluer si besoin est, et enfin d'ancrer la science au coeur de nos réflexions.
Je souhaiterais vous interpeller sur l'un des aspects malheureusement le moins discuté du texte dans la presse mais le plus important, à savoir les propositions du Gouvernement pour assurer une meilleure répartition de la valeur tout au long de la chaîne des produits alimentaires.
Il convient avant tout de dissiper une idée fausse, que vous infléchirez ou non : le producteur ne sera pas rémunéré à son coût de revient après le projet de loi. Ce serait pourtant une bonne nouvelle !
Le texte prévoit l'utilisation d'indicateurs de coût de production, de prix de marché et de qualité dans la construction du prix. Dans la version initiale du projet de loi, ces indicateurs pouvaient être proposés par les parties ou repris parmi les indicateurs diffusés par les interprofessions.
Le fait de laisser les parties construire leurs propres indicateurs sans aucune procédure de validation exposait la partie la plus faible au contrat - le producteur - à se voir imposer un indicateur construit par l'aval.
Le texte a été modifié par les députés en séance publique, malgré votre avis défavorable. Il prévoit que les interprofessions diffusent des indicateurs. À défaut, l'Observatoire de la formation des prix et des marges pourra en proposer ou, éventuellement, valider des indicateurs proposés par d'autres acteurs, dont les parties elles-mêmes. Quelle est la position du Gouvernement sur cette nouvelle modalité ?
En second lieu, je souhaite revenir sur le seuil de revente à perte « SRP + 10 ». Pouvez-vous expliquer devant notre commission en quoi cette mesure va « ruisseler jusqu'aux producteurs » ? Je comprends en quoi elle va améliorer la marge des distributeurs, mais le lien avec le producteur me semble plus questionnable.
Je me permets une deuxième question sur l'équilibre général du texte. La première partie vise à augmenter les revenus des agriculteurs, alors qu'à l'inverse la seconde partie crée de nouvelles charges potentiellement importantes, en instaurant un conseil indépendant de la vente concernant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, à la charge du producteur, ou en interdisant les remises, rabais et ristournes sur la vente de tels produits, les privant d'une démarche collective d'achat contraire à l'esprit de toutes les dernières lois que vous avez vous-même soutenues dans les gouvernements précédents.
Or l'étude d'impact a été jugée insuffisante par le Conseil d'État. Disposez-vous, monsieur le ministre, d'éléments chiffrés sur l'effet de ces mesures sur la consommation de produits phytopharmaceutiques, ainsi que sur les revenus des producteurs ?
Enfin, pour revenir à mon propos introductif, permettez-moi de dire, de façon un peu sévère mais déterminée, que le problème principal traité par ce projet de loi doit demeurer l'amélioration des revenus des agriculteurs et des producteurs. À titre personnel, j'ai été très surprise par la discussion inflationniste permise par l'Assemblée nationale, qui a fait ressembler les débats à des discussions de comptoir, alors qu'il existe de vrais sujets dans votre texte - cadrage coopératif, encadrement des promotions, hausse du SRP, ruissellement des différentes valeurs ajoutées.
Ce sont des sujets sur lesquels nous pouvons discuter, à propos desquels les débats sont importants. Nous pouvons nous y retrouver ou non, mais ces questions doivent être au coeur de notre action. Le Sénat sera très attentif à bien se focaliser sur l'essentiel.
Monsieur le ministre, vous avez la parole, avant que les rapporteurs, Mme Loisier et M. Raison, et M. Médevielle pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que l'ensemble de mes collègues, ne vous interrogent.