Merci, madame la présidente.
Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous cet après-midi, avant de nous retrouver, à partir du 25 juin, dans l'hémicycle du Sénat.
Nous avons passé 77 heures à l'Assemblée nationale pour traiter de ce projet de loi. Aujourd'hui, l'Assemblée nationale vous passe le relais pour enrichir un texte clé pour l'agriculture et l'alimentation de notre pays.
Le texte qui vous parvient, vous l'avez rappelé, madame la présidente, est plus long que la version initiale du Gouvernement, des thèmes nouveaux ayant été ajoutés durant la discussion.
Pourtant, il présente toujours les mêmes lignes de force qui sont destinées à répondre aux mêmes défis et aux mêmes exigences qui sont les nôtres, qui ont été identifiés pendant les états généraux de l'alimentation.
L'urgence consiste d'abord à restaurer la capacité des agriculteurs à tirer un revenu décent de leur travail, mais également de répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens en proposant à tous une alimentation saine, sûre et durable.
Ce projet de loi est le premier outil de la feuille de route de la politique de l'alimentation, que nous avons mise en place le 21 décembre dernier, lors de la clôture des états généraux. Il n'est cependant pas le seul, et il importe de jouer de la complémentarité de l'ensemble des outils pour avancer sur les sujets agricoles et alimentaires :
- les plans de filière, qui signent l'engagement fort des acteurs économiques ;
- le programme Ambition Bio 2022, le renforcement de la stratégie relative au bien-être animal, la feuille de route sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides, qui témoignent des dynamiques de transformation qui sont à l'oeuvre ;
- le plan d'action sur la bioéconomie, qui ouvre des pistes de diversification des revenus agricoles ;
- le volet agricole du grand plan d'investissement et le travail sur la fiscalité agricole, que j'ai engagé avec Bruno Le Maire, des parlementaires et des représentants des acteurs de l'agriculture, qui marquent la volonté de l'État d'être présent aux côtés des acteurs pour accompagner les évolutions en cours ou à venir.
Cette liste, bien évidemment, n'est pas exhaustive, mais il me paraissait important de remettre en perspective le travail que nous conduisons. Nous avons besoin d'un cadre légal qui soit clair, facilitateur, et qui laisse chacun des acteurs exercer à la fois ses compétences, mais aussi ses responsabilités.
Il est également nécessaire que les acteurs puissent s'approprier pleinement ce cadre et construire des dynamiques nouvelles. Durant ce mois de juin, les interprofessions seront de nouveau reçues dans mon ministère afin de faire le point sur la mise en oeuvre des plans de filière, qu'il s'agisse du travail sur les indicateurs ou de l'affinement de la concrétisation des engagements sociétaux que les filières ont pris dans leur ensemble, dans un dialogue particulier et singulier avec la société civile.
En abordant la discussion de ce projet de loi, nous devons d'abord penser aux agriculteurs et à tous nos concitoyens, comme nous l'avons fait pendant les états généraux de l'alimentation.
À travers ce projet de loi, je veux défendre une agriculture compétitive, innovante, durable, riche de sa diversité et de ses modèles agricoles. Vous le savez - j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette enceinte -, il ne s'agit pas d'opposer les modèles, mais de faire au contraire en sorte qu'ils soient complémentaires les uns des autres et de créer des ressources suffisantes pour développer nos économies locales, puis gagner sur les marchés nationaux et internationaux.
C'est parce que nous voulons une agriculture prospère, compétitive et durable que notre projet vise à soutenir les agriculteurs, afin qu'ils puissent vivre de leur travail.
Nous pensons aussi à nos concitoyens, qui sont tous attentifs à ce qu'ils mangent. Ils sont également préoccupés par l'alimentation des personnes les moins favorisées, comme en témoigne la générosité de leurs dons aux différentes associations caritatives, mais également soucieux du bien-être animal et vigilants en matière d'enjeux environnementaux.
Le projet de loi qui arrive en discussion devant vous ne consiste donc pas en de simples ajustements techniques, mais appelle à un changement de paradigme. C'est ce qu'attendent le monde agricole et l'ensemble des consommateurs.
Ce texte doit pouvoir redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeurs. Nous partageons tous le même constat : la situation n'a que trop duré. Les agriculteurs subissent de plein fouet une guerre des prix et ne dégagent plus les marges suffisantes pour rémunérer leur travail ou permettre la montée en gamme des productions agroalimentaires.
Cette guerre des prix se nourrit du déséquilibre de l'offre et de la demande, de l'absence d'organisation de production, de la concentration toujours plus forte du secteur de la distribution, mais aussi parfois de la défiance des consommateurs et des injonctions contradictoires qu'ils envoient aux producteurs.
Je ne crois pas que l'on puisse avoir des productions toujours plus saines, plus élaborées, plus durables en ayant des prix toujours plus bas et des promotions toujours plus attrayantes.
Entre 2000 et 2016, le prix du lait payé aux producteurs est passé de 30 centimes d'euros à 32 centimes d'euros par litre, soit deux centimes de plus par litre en seize ans, alors que l'inflation, durant la même période, a été de plus de 27 % et l'accroissement du PIB de 45 %.
Ce qui vaut pour le lait vaut aussi pour de nombreuses autres productions agricoles, comme la viande bovine, le porc, la volaille et les productions végétales. Il nous faut apporter des réponses à ce sujet, qui est celui de la relance de la création de valeur, pour lutter contre des prix anormalement bas.
Ma priorité, à travers ce texte, est de permettre aux agriculteurs de vendre leurs productions au juste prix, en leur assurant la visibilité indispensable à tout entrepreneur pour penser le temps long et produire ainsi une alimentation de qualité, dans le respect des règles sociales, environnementales et sanitaires renforcées.
Nous devons renforcer les organisations de producteurs pour permettre aux agriculteurs de peser collectivement, en leur offrant la possibilité de définir ensemble le prix de vente de leurs produits.
Sachez que plus de la moitié des éleveurs qui livrent leurs produits aux entreprises privées n'adhèrent pas à une organisation de producteurs ou à une coopérative laitière. C'est également vrai pour le secteur de la viande et des fruits et légumes, qui comptent chacun plus de 250 organisations parmi les 600 qui sont recensées aujourd'hui en France.
Que dit aujourd'hui le projet de loi ? Il comporte deux titres principaux, le premier consacré à une dominante économique et le deuxième à une dominante sociétale. Le premier titre constitue une palette de dispositifs destinés à redonner leur place à tous les maillons de la chaîne agricole et alimentaire : construction du prix à partir de l'amont, clauses de renégociation, lutte contre les prix abusivement bas, contrôles et sanctions, rôle accru de la médiation, renforcement des interprofessions, travail sur le statut et le rôle de la coopération agricole, encadrement des promotions, seuil de revente à perte fixé à 10 %.
C'est un édifice cohérent qui repositionne chacun des acteurs sur ses compétences. Si chacun prend ses responsabilités, comme nous le souhaitons, cette loi sera efficace et opérationnelle. Elle ne laissera place à aucune interprétation en ce qui concerne la répartition de la valeur créée.
Je suis convaincu - et je pense que vous l'êtes aussi - que le premier des défis qui attend nos modèles agricoles est de recréer des marges financières pour offrir à la fois de la visibilité, investir et transformer durablement nos modèles.
Les titres suivants du projet de loi sont à mes yeux aussi importants que le premier, parce qu'ils viennent soutenir la première jambe du texte, la finalité de la production agricole, qui est de fournir une alimentation sûre, saine et durable.
C'est bien plus qu'un besoin élémentaire - et les états généraux l'avaient d'ailleurs souligné : nos concitoyens y accordent un sens presque politique, au sens noble du terme. Comment notre alimentation contribue-t-elle à nous maintenir en bonne santé, comment contribue-t-elle à la protection de notre environnement ?
Le projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de porter une politique alimentaire qui favorise les choix qui préservent le capital santé de chacun et le capital environnemental de tous.
En matière de commercialisation de produits phytopharmaceutiques, nous proposons d'interdire les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits. Nous proposons également de séparer les activités de vente et de conseil, mais de sécuriser également le dispositif des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) par voie d'ordonnance pour contribuer à réduire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.
En matière de sécurité sanitaire, nous renforçons les pouvoirs d'enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé et de la protection animale pour accroître l'efficience des contrôles de l'État.
Dans le domaine du bien-être animal, le projet initial du Gouvernement proposait déjà d'étendre le délit de maltraitance animale, ainsi qu'un doublement des peines en cas de délit constaté lors de contrôles officiels.
Nous proposions aussi de donner la possibilité aux associations de protection des animaux de se porter partie civile en cas d'infraction constatée par un contrôle officiel. Ces dispositions ont été complétées par d'autres articles adoptés par l'Assemblée nationale. Ces ajouts vont dans le bon sens pour mieux assurer le bien-être animal. C'est un sujet auquel le Gouvernement est particulièrement attentif.
Le Gouvernement veut faire aussi de la politique de l'alimentation un moteur de réduction des inégalités sociales. Pour tenter de les réduire, il vous est proposé de faire de la restauration collective un levier d'amélioration de l'alimentation pour tous dès le plus jeune âge.
La restauration collective, vous le savez, c'est 7,3 milliards de repas hors foyer par an. Le projet de loi propose que la restauration collective publique comporte au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, de produits locaux ou sous signe de qualité à compter du 1er janvier 2022.
Enfin, nous proposons de lutter contre la précarité alimentaire et de limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 ont pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective avec la mise en place d'un diagnostic obligatoire, et d'étendre le don alimentaire à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire.
Voilà dépeint rapidement le panorama global du texte qui vous sera soumis. Je serai bien évidemment totalement à l'écoute des propositions que vous voudrez bien formuler pour améliorer et enrichir le projet.
Nous devons nous inscrire collectivement et résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes, du producteur au consommateur, que l'environnement dans lequel ils évoluent.
Nous devons construire une trajectoire pour tirer notre agriculture vers le haut par l'innovation, l'investissement, la montée en gamme, la confiance. C'est ainsi que nous lui donnerons toutes les chances de résister aux défis de la mondialisation qui sont, vous le savez, lourds et importants.
Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous voulons refonder le pacte social entre les agriculteurs et la société, pour qu'ils soient à nouveau fiers de leur travail et que la France soit fière de son agriculture.
Je vous remercie de votre attention.