Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les états généraux de l'alimentation n'ont pas été une si mauvaise chose : ils ont permis de faire émerger un certain nombre d'idées.
Je pourrais presque adhérer au discours que le Président de la République a prononcé à l'issue des états généraux si nous n'étions pas en train d'étudier ce texte. Attention à ne pas faire inutilement rêver la population, en particulier les paysans !
Vous avez parlé d'un pacte social et évoqué la fierté des paysans. Il ne faut pas les croire stupides. L'ensemble des Français sont d'ailleurs pratiquement tous issus du monde paysan. Le Président de la République lui-même doit bien avoir un arrière-grand-père paysan ! Les paysans ont beaucoup de bon sens et ne se laisseront pas abuser par de simples mots. Ils regarderont si ce texte peut, dans un premier temps, leur apporter quelque chose.
Vous affirmez que les relations contractuelles entre l'agriculteur et son premier acheteur ont progressé. Il y a eu beaucoup de confusion à l'Assemblée nationale sur la relation entre agriculteur, premier acheteur et distributeur. L'agriculteur, mis à part dans le domaine des fruits et légumes et quelques autres produits spécifiques, a rarement des relations directes avec le distributeur.
Ces relations existaient déjà : vous les inversez. La contractualisation a été créée par la loi de modernisation agricole, puis renforcée par la loi Sapin 2. Elle a besoin de vivre et d'être améliorée. Le contrat doit définir une quantité, une durée et comporter des indices. C'était déjà le cas.
La première modification touche donc l'inversion du contrat : ce n'est plus l'acheteur qui propose le contrat, mais l'agriculteur, et le cas échéant, par le biais de ses organisations de producteurs. C'est une bonne chose, mais il y aura cependant toujours des négociations.
En outre, l'indicateur de prix de revient n'est qu'un indicateur. Je ne vous en fais pas reproche : on ne peut établir un contrat avec un prix fixe, quel que soit le marché. Vous n'avez pas de baguette magique, mais il ne faut pas tenter de faire croire qu'il en existe une ! Or ce texte essaie de nous convaincre du contraire en laissant penser que l'agriculteur peut percevoir le prix réel de son travail.
Je distingue bien la notion de prix du produit du revenu agricole. C'est une notion qu'il convient de ne pas mélanger. Le prix du produit est une composante du revenu agricole, avec les primes de la politique agricole commune et autres, et les charges. Tout cela n'est pas abordé. Il s'agit d'un texte très restrictif, qui traite uniquement de la relation contractuelle entre l'agriculteur et l'acheteur.
S'agissant des indicateurs, comment va-t-on réussir à établir un indicateur national concernant le lait, par exemple ? Les contrats ont surtout été établis après la suppression des quotas laitiers, pour calmer les inquiétudes relatives au ramassage quotidien, mais ils sont également obligatoires pour les fruits et légumes, etc.
De quoi ce nouvel indicateur va-t-il pouvoir être constitué ? J'émets une réserve - il n'est d'ailleurs pas interdit que je dépose des amendements à ce sujet - sur le fait que l'on puisse donner son prix de revient à son acheteur. Ceux qui ont déjà fait du commerce le savent, c'est dangereux ! Lorsque le cours est très bas, cela peut éventuellement être utile, mais qu'en sera-t-il le jour où le cours sera haut ? En ce moment, c'est plutôt le cas. On a une vision positive de l'année à venir, mais on ne sait pas ce qui se passera en 2020. Le cours peut baisser au fur et à mesure qu'on se rapproche des élections...
L'acheteur final, en aval, observera le prix de revient. Lorsque celui-ci sera par exemple à 350 euros la tonne, que le cours sera bon et que le transformateur sera capable de payer 400 euros la tonne, Leclerc - qui est souvent à l'origine d'un certain nombre de dégâts - refusera de payer le fromage au prix qui lui est demandé, en arguant du fait que le paysan a assez de 350 euros la tonne. C'est dangereux, car cela peut ne jouer que dans un sens.
Ma deuxième question est liée aux pratiques restrictives de concurrence. Dans ce domaine, le texte revêt pour moi des aspects positifs. Tout le monde ne le comprend pas forcément de la même façon, et nous avons eu des discussions entre nous à ce sujet. Cela comprend le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. On ne peut, selon moi, être contre le relèvement d'un seuil de revente à perte, même sans entretenir trop de rêves.
Je rappelle que la vente à perte, c'est-à-dire la vente à prix coûtant d'un produit, se fait ponctuellement sur certains produits, mais pas sur tous les produits. Un distributeur ne peut vendre à prix coûtant en permanence. Il a en gros 30 % de charges. En moyenne, il couvre ses charges, sans quoi il aurait déjà déposé le bilan.
Par ailleurs, je ne suis pas systématiquement contre l'idée d'ordonnance, comme pour la loi « travail », afin d'aller vite et d'éviter les discussions inutiles, mais ici, pourquoi souhaitez-vous y recourir puisqu'on est à peu près tous d'accord ? J'attends vos explications à ce sujet.
Pour ce qui est de l'encadrement des promotions, c'est un peu plus complexe : comment l'imaginez-vous ? Cela concernera-t-il l'ensemble des denrées alimentaires ou cela se fera-t-il en fonction de leur nature ? Pour un gros fournisseur, s'agit-il du chiffre d'affaires moyen ou produit par produit ?
Enfin, concernant la délocalisation des négociations avec les fournisseurs, on ne peut pas laisser se développer l'escroquerie.
Depuis l'après-guerre, la population parvient à se nourrir à un prix raisonnable, avec des produits de meilleure qualité. On parle d'alimentation saine : cela signifie-t-il qu'elle ne l'était pas auparavant ? Cela chagrine les paysans. On peut toujours trouver quelques problèmes ça ou là, comme dans toute activité, mais je puis vous assurer que, depuis l'après-guerre, les paysans sont montés en gamme en permanence, sans forcément en percevoir les dividendes. Leurs produits, tant sur le plan sanitaire, qualitatif que gustatif, même si des erreurs ont été commises pour certaines variétés de fruits, se sont améliorés peu à peu. Énormément de maladies ont été éradiquées. Les Français ne se souviennent plus de tout cela ! Ils s'en moquent ! Il n'y a plus de brucellose, de fièvre vitulaire, plus de tuberculose ou très peu, d'ergot du blé, de fusariose, et on est en train de leur dire qu'ils n'ont pas bien travaillé, qu'ils n'ont pas produit une nourriture saine et que, passant de l'« ancien monde » au « nouveau monde », ils vont maintenant enfin pouvoir le faire !
Selon les scientifiques, la durée de vie a fortement augmenté depuis l'après-guerre. Il est préférable de travailler sur la base d'études scientifiques plutôt qu'à partir de slogans d'associations parfois voisines de sectes. Si l'hygiène et la médecine ont certes connu des progrès, c'est avant tout la qualité de l'alimentation et l'assurance de pouvoir se nourrir correctement, à des prix très bas, qui ont permis cette augmentation de la durée de vie !