La fonction publique territoriale constitue un maillon indispensable de l'organisation décentralisée de la République et son statut, adopté voilà trente-quatre ans, ne saurait être remis en cause. Il convient néanmoins de l'adapter aux évolutions des services publics locaux, aux réformes territoriales successives, à la réduction des concours financiers de l'État, etc.
Le Gouvernement a ouvert depuis le début de l'année quatre chantiers - place des contractuels, simplification du dialogue social, rémunération individualisée, aide à la mobilité -, qui pourraient aboutir d'ici au printemps 2019 à la présentation d'un projet de loi portant réforme de la fonction publique.
La Conférence nationale des territoires constitue une occasion unique pour faire part au Gouvernement des inquiétudes des employeurs territoriaux et de leurs agents, mais également de solutions concrètes s'inscrivant dans une logique de dialogue et de responsabilité entre l'État, les collectivités territoriales et leurs agents.
À la suite des auditions que j'ai menées, je souhaite vous soumettre quatorze propositions, articulées autour de trois objectifs : donner davantage de visibilité aux employeurs territoriaux, leur confier de nouveaux moyens d'action et, enfin, garantir les droits des agents territoriaux tout en diversifiant leurs modes de recrutement.
La fonction publique territoriale, avec près de deux millions d'agents, représente près de 35 % de l'emploi public. Les trois quarts de ses agents relèvent de la catégorie C, qui assurent des tâches d'exécution. Près d'un agent territorial sur cinq est un contractuel.
Les agents territoriaux sont répartis dans cinquante-trois cadres d'emplois, eux-mêmes regroupés en dix filières (« administrative », « culturelle », « médico-sociale », etc.).
Les 50 000 employeurs territoriaux forment un ensemble hétérogène, contrairement à la fonction publique d'État qui comprend un seul employeur.
Deux structures de mutualisation ont été créées pour appuyer les employeurs territoriaux dans la gestion de leurs ressources humaines : les centres de gestion (CDG) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
Le statut des agents territoriaux, défini par les lois du 13 juillet 1983 et du 26 janvier 1984, a été conçu pour concilier l'unité de la fonction publique et la libre administration des collectivités territoriales. Depuis 1984, il a connu neuf réformes d'envergure, ce qui démontre sa capacité d'adaptation.
Entre 2013 et 2017, les employeurs locaux ont fait face à la réduction des concours financiers de l'État, qui ont baissé d'environ 16 %. En conséquence, les effectifs de la fonction publique territoriale ont diminué de 0,2 % sur l'exercice 2016, pendant que ceux de la fonction publique de l'État augmentaient de 1,2 %...
Ces efforts des employeurs territoriaux devront être poursuivis, la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prévoyant des économies de l'ordre de 21 milliards d'euros pour les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs groupements. Par ailleurs, 322 collectivités territoriales vont contractualiser avec l'État, ces contrats définissant un objectif d'évolution de leurs dépenses de fonctionnement.
Le premier axe de mes propositions a pour objet de donner davantage de visibilité aux employeurs territoriaux, dans le cadre d'un dialogue social rénové.
La proposition n° 1 tend à élaborer une feuille de route triennale pour mieux programmer les décisions de l'État ayant un impact financier sur les employeurs locaux.
Les dépenses de personnel des collectivités territoriales et de leurs groupements représentent en effet 35 % de leur budget. Or l'évolution de ces dépenses dépend pour partie de décisions qui relèvent de l'État. Pour la seule année 2017, la Cour des comptes a évalué à 1 milliard d'euros l'impact net des nouvelles normes imposées aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Les employeurs territoriaux sont insuffisamment associés aux décisions de l'État, qui privilégie parfois une vision comptable et éloignée de la réalité des services publics locaux.
La proposition n° 2 vise à conforter le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et à envisager, à terme, la conclusion à l'échelle nationale d'accords collectifs entre les employeurs et les syndicats.
Le CSFPT s'est imposé depuis quelques années comme la principale instance de dialogue entre les représentants des élus locaux et ceux des agents territoriaux. Son action serait confortée s'il était consulté en temps utile. Ainsi, lorsqu'il a été question de mettre en place le RIFSEEP (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel), seul le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État a été consulté... Or ce régime indemnitaire est également transposé au versant territorial de la fonction publique.
Il conviendrait aussi de renforcer la cohérence et la coordination du collège des employeurs territoriaux du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. À ce titre, je soutiens l'initiative de son président, M. Philippe Laurent, qui vise à créer une fédération des employeurs territoriaux. On pourrait imaginer, à terme, la conclusion d'accords collectifs entre employeurs territoriaux et syndicats, même si cela s'annonce complexe sur le plan juridique.
La proposition n° 3 vise à favoriser la culture de la négociation dans les collectivités territoriales et leurs groupements, en prévoyant l'adoption d'un « agenda social » en début de mandature.
Concrètement, il s'agit d'approfondir le dialogue social à l'échelle locale. Nous savons que le Gouvernement envisage de revoir l'architecture des instances de dialogue en fusionnant les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les comités techniques, et en réduisant le périmètre des commissions administratives paritaires (CAP).
L'agenda social que je propose constituerait un cadre global de négociation permettant d'aboutir à des accords « gagnant-gagnant », à partir d'un calendrier de discussion pré-établi.
Le deuxième axe de mes propositions a pour objet d'allouer aux employeurs territoriaux de nouveaux moyens d'action, lesquels pourraient être résumés en trois mots : souplesse, incitation et mutualisation.
La proposition n° 4 vise à élargir les possibilités de recourir à des agents contractuels, notamment en créant de nouveaux « contrats de mission ».
Le statut de la fonction publique permet d'ores et déjà le recours à des contractuels. Les possibilités de recrutement doivent toutefois être élargies pour répondre à l'évolution des compétences des collectivités territoriales et aux mutations des services publics.
Lors de mes auditions, plusieurs pistes ont été envisagées, notamment l'extension du recrutement de contractuels de catégorie B ou la création d'un « contrat de mission » pour mener un projet nécessitant des compétences très spécifiques.
La proposition n° 5 vise à harmoniser la durée de travail dans la fonction publique territoriale en mettant fin aux dérogations non justifiées.
M. Philippe Laurent a établi en mai 2016 un rapport très intéressant à cet égard, en faisant des propositions concrètes qui n'ont pas été suivies d'effet. La durée légale du travail, soit 1 607 heures annuelles, n'est pas respectée dans toutes les collectivités territoriales. S'il convient de respecter les sujétions particulières de service (comme le travail de nuit), il n'est pas normal qu'environ 1 500 employeurs locaux aient conservé un régime dérogatoire antérieur à 2001 et permettant de maintenir une durée annuelle de travail inférieure à 1 607 heures. Il doit être mis fin dans les meilleurs délais à cette situation contraire au principe de parité entre les trois versants de la fonction publique.
Par ailleurs, certaines autorisations spéciales d'absence sont laissées à la libre appréciation des employeurs. Un décret est attendu sur ce sujet depuis 1984, mais n'a jamais été publié... Ce régime hétéroclite, qui varie selon les régions et les territoires, n'a plus de sens avec le passage aux 35 heures. Il faut clarifier ce maquis. Les employeurs territoriaux doivent s'impliquer dans cette démarche d'harmonisation et avoir le courage de l'assumer.
La proposition n° 6 vise à recenser, avec l'aide des employeurs territoriaux, les procédures trop complexes ou devenues inutiles. De très nombreuses contraintes normatives sont imposées aux employeurs territoriaux, comme le contingentement des promotions internes pour chaque cadre d'emplois. Je propose de lancer une procédure de concertation sur ce sujet.
Il convient, en outre, de valoriser l'engagement des agents.
La proposition n° 7 vise à achever le déploiement du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) d'ici à la fin de l'année 2020 et à favoriser la rémunération au mérite.
Depuis plusieurs années, les collectivités territoriales et leurs groupements ont développé des régimes de primes visant à reconnaître l'implication des agents, à attirer les talents et à fidéliser des personnels sur des postes contraignants ou pénibles.
Le RIFSEEP présente, quant à lui, plusieurs avantages : il harmonise et simplifie ces régimes de primes et valorise l'engagement individuel et la manière de servir des agents via le complément indemnitaire annuel (CIA). Le RIFSEEP ne concerne toutefois qu'un nombre limité de cadre d'emplois, faute de décret d'application. Son déploiement dans la fonction publique territoriale doit être accéléré.
D'autres primes pourraient être intégrées au RIFSEEP, comme la nouvelle bonification indiciaire (NBI), créée en 1991 pour rendre plus attractifs certains emplois à haute technicité. Il faudrait aussi imposer un taux minimal pour le complément indemnitaire annuel afin de reconnaître l'implication des agents territoriaux.
La proposition n° 8 vise à expérimenter la rupture conventionnelle dans la fonction publique territoriale.
L'indemnité de départ volontaire (IDV), peu appliquée, pourrait être déplafonnée, ce qui la rendrait plus attractive. Elle reste toutefois limitée aux restructurations de services et aux départs définitifs de la fonction publique pour créer une entreprise ou mener à bien un projet personnel.
La rupture conventionnelle apporterait davantage de souplesse. L'employeur et l'agent pourraient s'accorder sur une cessation de leur collaboration sans avoir à justifier de motif particulier.
La proposition n° 9 vise à renforcer les centres de gestion en encourageant les mutualisations à l'échelle régionale et en envisageant l'adhésion obligatoire des communes et groupements non affiliés au socle commun rénové.
Les centres de gestion, présents dans tous les départements, garantissent l'application homogène du statut et visent à mutualiser les prestations de gestion des ressources humaines. Leurs compétences pourraient être étendues afin de poursuivre ces efforts de mutualisation.
Le troisième axe de mes propositions a pour objet de garantir les droits des agents territoriaux et de diversifier leurs modes de recrutement.
La proposition n° 10 vise à responsabiliser les employeurs territoriaux en prévoyant des délibérations triennales sur des enjeux majeurs, comme le temps de travail, les primes, la protection sociale complémentaire, etc.
Le renforcement des moyens d'action des employeurs territoriaux doit, en effet, s'accompagner de débats plus réguliers sur les conditions de travail des fonctionnaires et des contractuels. La protection sociale complémentaire des agents constitue ainsi un enjeu majeur, notamment en termes de bien-être au travail. Elle se heurte toutefois à des freins financiers et structurels qu'il conviendrait de lever.
Certains enjeux pourraient être régulièrement soumis à l'assemblée délibérante, afin d'éclairer les élus. Car lorsque l'on devient maire, on devient aussi employeur...
La proposition n° 11 vise à mieux accompagner les agents territoriaux dans leurs projets de mobilité, via la création d'un site internet unique regroupant les vacances de poste et les annonces de concours des trois versants de la fonction publique, et en développant les échanges avec les plates-formes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines (PFRH).
Le droit à la mobilité des agents territoriaux doit être renforcé, afin que leur carrière soit valorisée et diversifiée. C'est dans la fonction publique territoriale que la mobilité est la plus faible, ce qui semble paradoxal au regard de la diversité des métiers et des employeurs : en 2015, seuls 4 % des agents ont changé d'employeur, et seulement 0,7 % pour rejoindre la fonction publique d'État ou hospitalière.
L'ordonnance du 13 avril 2017 a prévu la création, d'ici 2020, d'un portail internet commun aux trois versants de la fonction publique pour diffuser les offres d'emploi. Je propose d'accélérer ce projet pour l'achever dès 2019 et d'élargir ses fonctionnalités en y incluant le calendrier pluriannuel des concours.
Des initiatives conjointes de mobilité pourraient aussi être mises en oeuvre, en s'appuyant sur les PFRH placées auprès des préfets de région.
Il convient, enfin, de poursuivre la diversification des modes de recrutement dans la fonction publique territoriale en travaillant sur trois enjeux.
Premier enjeu : la proposition n°12 vise à créer dans les territoires des classes préparatoires intégrées (CPI). Seul le versant territorial de la fonction publique ne compte aucune classe de ce type, ce qui constitue une anomalie. M. François Deluga, président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), envisage la création d'une « communauté de parcours de préparation aux concours administratifs » pour environ 1 600 jeunes par an, dont le coût serait d'environ 3 millions d'euros. Des supports de cours numériques seraient mis à disposition des élèves et des cours seraient organisés sur une dizaine de journées.
Deuxième enjeu : la proposition n° 13 vise à doubler d'ici à 2020 le nombre d'apprentis dans la fonction publique territoriale. En 2015, les employeurs territoriaux ont formé environ 10 000 apprentis, ce qui représente un bel effort. Pourtant, les obstacles sont multiples, parmi lesquels les faibles débouchés pour les apprentis et le coût important pour les employeurs, lesquels ne bénéficient pas des incitations financières existant dans le secteur privé.
En 2016, le législateur a chargé le CNFPT de développer l'apprentissage. Le CNFPT refuse toutefois d'exercer cette compétence, faute de moyens financiers. Les apprentis de la fonction publique sont aussi les grands oubliés du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en cours d'examen devant le Parlement.
La fonction publique territoriale constitue pourtant un vivier pour l'apprentissage, avec plus de 250 métiers différents.
Pour doubler le nombre d'apprentis dans la fonction publique territoriale, je propose que le CNFPT crée des centres de formation d'apprentis, que soient regroupées sur un portail internet unique les offres d'apprentissage, que soit mise en place une incitation financière sur le modèle de la dotation de 30 millions d'euros prévue pour les administrations de l'État, et enfin que soit valorisé le rôle du maître d'apprentissage.
Troisième enjeu : la proposition n° 14 vise à poursuivre et à sécuriser le développement des concours sur titres qui apportent une réelle souplesse au dispositif de recrutement. Sur l'initiative de notre collègue Catherine Troendlé, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a précisé le régime juridique de ces concours pour les filières sociales, médico-sociales et médico-techniques.
Aujourd'hui, il convient de sécuriser les concours sur titres en informant les employeurs territoriaux sur les possibilités ouvertes et sur les règles à respecter. À terme, ces concours pourraient être étendus à d'autres secteurs de la fonction publique, comme la filière artistique.
À l'occasion du projet de loi annoncé par le Gouvernement pour 2019, nous pourrons également aborder des points plus techniques permettant de simplifier les procédures, notamment en ce qui concerne l'organisation des concours.