Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui les docteurs Damien Mauillon et Valérie Kanoui, qui représentent l'association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), et le docteur David Sechter, qui représente l'association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP).
Notre mission d'information s'intéresse à la réinsertion des mineurs enfermés, dont font notamment partie les mineurs détenus, ainsi que les mineurs placés en centre éducatif fermé (CEF). Nos visites sur le terrain nous ont confortés dans l'idée que la santé doit être prise en compte dans notre réflexion. Vos confrères que nous avons rencontrés en établissement pénitentiaire pour mineurs ou en quartier pénitentiaire pour mineurs ont tous souligné l'état de santé souvent dégradé des mineurs qui ont affaire à la justice. Or un mauvais état de santé peut être un obstacle majeur au succès d'un parcours de réinsertion.
La dimension psychiatrique nous intéresse tout particulièrement : les troubles du comportement semblent répandus chez les mineurs délinquants, sans nécessairement relever toujours de la catégorie des maladies psychiatriques. Votre audition nous aidera, je l'espère, à y voir plus clair et à faire le point sur les actions que les professionnels de santé mettent en oeuvre au profit des mineurs enfermés.
Je vais vous laisser la parole pour un exposé liminaire, qui vous permettra de présenter en quelques mots vos associations puis de commencer à répondre aux questions de notre rapporteur. Puis nous aurons un temps de questions-réponses, qui nous permettra d'approfondir certains points.
Dr David Sechter, représentant de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). - Pour nous présenter brièvement, l'ASPMP est une association rattachée aux métiers de la psychiatrie générale et qui réunit des professionnels exerçant en prison dans le cadre exclusif de soins hospitaliers. Nous avons pour mission essentielle de valoriser l'approche interinstitutionnelle, le dialogue entre les différents corps intervenant auprès des publics incarcérés et la promotion de l'éthique médicale à travers notamment la recherche constante du consentement aux soins.
Avant de répondre aux questions que vous nous avez adressées, il me paraît important de préciser en propos liminaire que les pratiques en matière de suivi psychiatrique sont extrêmement différentes selon que l'on exerce en établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) ou en quartiers pour mineurs en établissement pénitentiaire.
Vous nous posez la question des pathologies auxquelles nous sommes confrontés. Nous voudrions d'ores et déjà indiquer que nous récusons toute approche de « psychiatrisation » de l'adolescent incarcéré. Je définirais notre travail davantage comme une démarche de dépistage des prodromes schizophréniques, de troubles bipolaires ou d'autres troubles du comportement liés à l'enfermement, à l'instance judiciaire ou aux carences du milieu familial. Parmi eux, nous sommes particulièrement attentifs aux insomnies, aux idées noires et aux scarifications, qui sont autant de prémices d'un éventuel passage à l'acte. Nous avons aussi à connaître de troubles psychiques plus classiques liés à l'adolescence, souvent compliqués par une carence affective. Ces troubles recouvrent des intolérances alimentaires, des frustrations, des tendances abandonniques ou narcissiques qui peuvent entraver l'administration de soins. La troisième grande famille de troubles que nous avons à traiter concerne les comportements addictifs : l'addiction au tabac arrive en tête, avec une proportion de consommateurs d'environ 90 % de la population mineure incarcérée contre 25 % dans la population générale, devant celle au cannabis, avec75 % de fumeurs réguliers contre 10 % dans la population générale, sans oublier la consommation d'alcool, le plus souvent sous la forme du binge drinking. La consommation de cannabis est classiquement associée à des syndromes amotivationnels qui expliquent que ces jeunes aient du mal à définir un projet. Les phénomènes de consommation de médicaments, telle la benzodiazépine, sont plus marginaux. A priori, aucun mineur détenu en EPM ne relève d'une situation exclusivement psychiatrique.
Concernant la prise en charge sanitaire d'un mineur enfermé, je prendrai l'exemple de l'EPM d'Orvault dans lequel j'exerce pour vous en exposer le déroulé. À son arrivée, le jeune est d'emblée reçu par un infirmier pour un entretien. L'infirmier se charge également des délivrances médicamenteuses, sous la supervision du médecin, qui délivre assez rarement - dans 10 cas sur 47 à Orvault - des ordonnances particulières de traitement. Les traitements sont dans leur majorité légers, et sont à visée plus symptomatique que thérapeutique : l'exemple le plus répandu est l'Atarax pour le traitement des troubles du sommeil.
L'équipe médicale se compose de trois équivalents temps plein, répartis en 1,5 ETP infirmier, 0,5 ETP psychologue et 1 ETP psychiatre. À son arrivée en détention, chaque mineur est vu une première fois par un infirmier, puis nous avons une réunion clinique pendant la semaine pour approfondir le diagnostic et orienter le jeune. L'infirmier effectue une deuxième consultation de l'arrivant puis le suivi avec le psychologue ou le psychiatre peut se mettre en place, avec une consultation par semaine ou toutes les deux semaines.
Nos missions sont le dépistage et la prise en charge des troubles psychiatriques, du risque suicidaire, des addictions, de la souffrance psychique, la continuité des soins avec les soignants d'amont et d'aval et la prévention. On travaille aussi à responsabiliser le jeune dans son parcours, ce qui suppose d'établir une relation de confiance. La quasi-totalité des jeunes sont suivis dans notre EPM, ce qui évite tout phénomène de stigmatisation des mineurs qui viennent nous consulter.
La situation est différente dans d'autres structures : une psychiatre qui exerce à la maison d'arrêt de Luynes, à Aix-en-Provence, qui accueille 25 mineurs, m'indiquait que son équipe développe des activités en individuel ou en groupe, qu'elle fait passer un premier entretien à chaque détenu mais qu'elle n'assure ensuite le suivi que de 30 % d'entre eux.
Vous nous interrogiez sur la collaboration des différentes autorités et administrations que concerne l'intervention thérapeutique sur les mineurs détenus. Il s'agit d'un sujet hautement sensible et complexe. Matériellement, nous participons aux commissions bihebdomadaires sur la prévention des suicides avec les éducateurs de la PJJ et les membres de l'administration pénitentiaire, aux réunions bimensuelles de coordination sur la santé des mineurs et parvenons à ménager quelques temps d'échange communs avec le jeune et son éducateur. C'est essentiellement la crainte du passage à l'acte suicidaire qui motive nos interactions avec les autres professionnels du milieu carcéral, qui ne comprennent pas toujours que les médecins soient astreints au secret médical et qui nous reprochent de ne pas vouloir partager certaines informations avec eux. La confidentialité des soins n'est pas toujours assurée en cas d'extraction du mineur à l'hôpital, en raison de la présence d'un surveillant pénitentiaire.
Concernant les difficultés particulières auxquelles nous sommes confrontés, elles recouvrent essentiellement l'accord du titulaire de l'autorité parentale, que l'article L. 1111-5 du code de la santé publique nous oblige à recueillir avant de prodiguer tout soin à un mineur. Le problème se pose de façon particulièrement aiguë dans le cas des mineurs non-accompagnés, lorsqu'ils n'ont ni tuteur ni administrateur ad hoc.
Enfin, je voudrais évoquer les différentes modalités de l'hospitalisation pour soins psychiatriques. Le premier niveau, de loin le plus répandu, est celui de la consultation ambulatoire. Le deuxième niveau est celui d'une hospitalisation de jour, qui est assurée dans ma région au sein de la maison d'arrêt de Nantes, où sont dispensés des soins plus contenants, mais où le mineur n'est jamais retenu au-delà de quelques heures. Sur les effectifs de l'EPM d'Orvault, les hospitalisations de jour se chiffrent à moins de dix jours par an. Enfin, le troisième niveau est celui d'une hospitalisation complète en unité d'hospitalisation spécialement aménagée (UHSA), qui dans notre cas se trouve à Rennes. Elle est la moins souhaitable, mais fort heureusement la plus rare (deux cas seulement en 2017).
Dr Damien Mauillon, représentant de l'Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) - Avant de vous faire part de mon expérience de médecin généraliste et addictologue à la maison d'arrêt d'Angers, je souhaitais vous interroger sur les finalités du travail de la mission d'information.