Nous avions pour ambition initiale de nous pencher sur la réinsertion sociale des mineurs enfermés. La conduite de nos travaux nous mènera probablement à réfléchir de façon plus globale sur l'ordonnance du 2 février 1945 et sur la primauté de l'éducatif sur le carcéral. Concernant votre audition, nous sommes très intéressés par votre expérience sur les croisements des parcours de soins et des parcours délictuels. En tant qu'ancien rapporteur d'une mission d'information sur les moyens de la pédopsychiatrie, je suis particulièrement sensibilisé aux questions relatives à la démographie médicale mais aussi à l'insertion de la psychiatrie au sein des disciplines médicales plus générales.
Dr Damien Mauillon. - Je vous remercie. L'APSEP que nous représentons, Mme Kanoui et moi-même, est une association créée il y a plus de vingt ans, dans le sillage de la loi de 1994 qui a mis en place les unités de consultations et soins ambulatoires (UCSA), dans lesquelles travaillent des professionnels de santé qui ne dépendent plus du ministère de la justice.
Pour ce qui est des pathologies particulières auxquelles nous sommes exposés, il s'agit principalement de pathologies physiologiques non-urgentes, comme les problèmes bucco-dentaires par exemple. Nous pouvons aussi signaler, en plus des pathologies classiques liées à l'adolescence, une augmentation du dépistage de maladies sexuellement transmissibles, notamment des cas de Chlamydia. Les pratiques addictives sont, à mon sens, particulièrement préoccupantes : outre la consommation de tabac et de produits stupéfiants évoquée par mon confrère, je souhaitais préciser que la consommation de médicaments - benzodiazépine, valium, lyrica - est un phénomène plus spécifiquement observé chez les mineurs non accompagnés (MNA) que chez les mineurs français. Aussi, nous tentons, par un travail constant de prévention et d'éducation à la santé de mieux accompagner les pratiques addictives, nutritionnelles et sexuelles des mineurs détenus en EPM. J'en profite d'ailleurs pour signaler que, contrairement aux quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires classiques, nous disposons certes des moyens financiers pour mener de telles actions en EPM, mais nous trouvons confrontés à une diminution des moyens humains.
Dr Valérie Kanoui. - J'exerce à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, dont le quartier pour mineurs peut accueillir jusqu'à 100 détenus. Dans leur quartier, les mineurs se trouvent seuls en cellule, mais ils connaissent, pendant leurs activités, une certaine proximité susceptible d'induire une réelle violence. Les mineurs isolés qui arrivent sur le territoire et les ressortissants français ont à la fois un profil et des besoins de médication différents. Du fait de l'impossibilité de communiquer en français, les MNA peuvent passer plus souvent à l'acte auto-agressif, voire hétéro-agressif. Ils sont ainsi doublement isolés et ne peuvent participer aux activités qui sont proposées aux autres détenus mineurs. La durée d'incarcération ne leur permet pas d'acquérir de réelles connaissances susceptibles de favoriser leur insertion. D'ailleurs, fin juin de chaque année, les activités d'enseignement s'arrêtent pour les vacances d'été et les activités pédagogiques restent alors à la discrétion des services de l'administration pénitentiaire ou dépendent de la bonne volonté d'associations, qui dispensent des cours de français langue étrangère par exemple. En outre, seul un médecin addictologue est présent à Fleury-Mérogis, qui accueille 4400 détenus ! Cet établissement pénitentiaire connaît une désaffection du corps médical, la moitié des postes étant vacants. Il est ainsi inimaginable de mettre en oeuvre des actions préventives, car dispenser les soins, dans l'urgence, est déjà difficile ! Enfin, ces jeunes mineurs souffrent de carences éducatives et l'environnement carcéral n'est nullement éduquant.
Dr Damien Mauillon. - Les jeunes présentent des troubles de la concentration et de la mémorisation, en raison de leur consommation de cannabis qui obère tout apprentissage. En milieu carcéral adulte, le cannabis garantit la paix sociale, et il est toléré par les surveillants, mais cette drogue passe aussi chez les mineurs. Elle représente donc le plus gros problème de santé en milieu carcéral. La consultation « jeune consommateur », proposée dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), qui sont des centres médico-sociaux, peut constituer une solution. Si ces consultations sont régulières en EPM, il semble plus difficile de les organiser dans les quartiers pour mineurs. Cet accompagnement en addictologie doit aller au-delà de la durée de l'emprisonnement et prendre en compte à la fois la personnalité, le produit et l'environnement dans lequel évolue le mineur, qui peut s'avérer délétère. Au sein des CSAPA, les consultations sont également accordées aux patients jusqu'à l'âge de 25 ans.
Dr Valérie Kanoui. - Je souhaiterais attirer votre attention sur l'ouverture prochaine d'un EPM à Fleury-Mérogis, au sein de locaux précédemment affectés à la maison d'arrêt des femmes. Cette décision est a priori de bon aloi puisqu'elle entraînerait la fermeture du quartier pour mineurs de l'établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis et permettrait l'hébergement de soixante mineurs dans de bien meilleures conditions. Elle est toutefois gênante car, d'une part, les bâtiments de l'ancienne maison d'arrêt pour femmes n'ont fait l'objet d'aucune réhabilitation - des risques de légionellose y ont notamment été détectés - et, d'autre part, cela envoie un mauvais signal aux administrations chargées de la détention féminine.
Cette remarque me permet d'évoquer de façon plus générale les difficultés particulières que nous rencontrons en quartiers pour mineurs, où j'ai davantage d'expérience. Elles ont principalement trait aux contraintes de circulation qui nous sont imposées par l'administration. Songez que nous avons pour consigner d'éviter le plus possible les croisements d'un mineur de plus de seize ans et d'un majeur, consigne qui devient interdiction absolue lorsque le mineur a moins de seize ans. Je vous laisse imaginer les acrobaties d'horaires de consultation auxquelles nous devons nous livrer pour satisfaire ces impératifs. On nous a objecté que nous pourrions assurer nos consultations dans le quartier pour mineurs, ce qui est rigoureusement impossible, compte tenu de la faiblesse de nos moyens humains.
Dr Damien Mauillon. - A propos du secret médical en prison, je vous affirme sans ambages qu'il existe déjà fort peu pour les majeurs, et qu'il est absolument inexistant pour les mineurs. Un mineur étant constamment accompagné d'un surveillant en tenue, nous avons de grandes peines à faire appliquer un semblant de confidentialité des soins. Le mineur peut même en venir à refuser certaines extractions en milieu hospitalier, en raison de cet accompagnement ininterrompu. Nous sommes bien conscients des missions de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des contingences qu'elles impliquent et de la nécessité pour eux d'être informés de l'état de santé des mineurs détenus, mais nous insistons sur la ligne rouge de la confidentialité des soins à ne pas franchir.
Dr Valérie Kanoui. - J'abonde absolument dans le sens de mon confrère. Sans confidentialité des soins, il ne peut y avoir de construction d'un lien de confiance. Or ce dernier reste essentiel au maintien de l'équilibre de ces jeunes. Lorsqu'ils manifestent la volonté que leur éducateur ne soit pas mis au courant de ce qui s'échange lors de la consultation, ce souhait doit être respecté.
Une autre difficulté a été précédemment évoquée, mais je me permets d'y revenir, tant elle est importante : il s'agit du recueil du consentement. Les évolutions récentes de la législation nous ont compliqué la tâche, en substituant à un consentement global aux soins un consentement particulier pour chaque acte thérapeutique. Deux situations doivent être distinguées. Concernant les MNA - au nombre de 90 à Fleury-Mérogis - les difficultés sont moindres puisque l'article L. 1111-5 du code de la santé publique dispose qu'un mineur coupé de sa famille mais immatriculé à la sécurité sociale pour son propre compte, ce qui est automatiquement le cas lorsqu'on est incarcéré, peut donner son consentement lui-même. Le problème est plus prégnant pour les mineurs dont les parents sont sur le territoire. En cas d'urgence, c'est-à-dire en cas de situation qui, sans traitement, peut porter atteinte à l'intégrité physique ou mentale du mineur, nous pouvons intervenir sans recueil du consentement des parents. Mon confrère a cependant eu l'occasion de vous signaler que l'essentiel des soins que nous prodiguons sont des soins non-urgents - radiologies dentaires, vaccinations, tests de dépistage - et qu'à ce titre les parents doivent systématiquement nous transmettre leur accord. Pour ce faire, l'administration pénitentiaire leur fait parvenir un premier courrier, suivi d'un second avec accusé de réception si le premier reste sans réponse. Les délais de traitement peuvent alors connaître un allongement conséquent.
Dr Damien Mauillon. - J'ajouterais que les pratiques en matière de recueil du consentement des parents sont hétérogènes sur le territoire. À Nantes, par exemple, aucun acte non-urgent n'est effectué sans lui. A Lavaur, dans le sud de la France, l'équipe médicale demande l'accord du conseil départemental en cas de silence prolongé des parents.
Dr Valérie Kanoui. - Notre tâche serait considérablement simplifiée si l'entrée en prison s'accompagnait de la nomination d'un tuteur. Cela nous protègerait certes des parents qui ne se manifestent pas, mais également de ceux qui se manifestent avec retard, une fois le soin prodigué, et qui parfois engagent notre responsabilité. L'importance du consentement des parents va, par ailleurs, au-delà des questions médicales et touche même la question du culte : un mineur ne peut pratiquer une religion de son choix sans l'accord de ses parents.
Vos témoignages illustrent la grande misère de la médecine pénitentiaire. Quelles seraient les préconisations qui vous semblent les plus réalistes pour améliorer la situation que vous venez de décrire ?
Dr Daniel Mauillon. - Les consultations « jeunes consommateurs » que j'évoquais précédemment me semblent à privilégier. Comment améliorer l'accompagnement des mineurs isolés ? Faut-il désigner pour eux un tuteur ou une personne de confiance ? C'est une question complexe.
Quel pourcentage de la population carcérale à Fleury représentent ces mineurs isolés?
Dr Valérie Kanoui. - Entre un tiers et 40 %, en fonction des périodes. Je formulerai, quant à moi, une proposition que je sais être irréaliste : l'incarcération des mineurs ne pouvant être bénéfique, il convient de la réduire au maximum, voire de l'éradiquer. Cette incarcération fait le lit de la criminalité ; ces mineurs demeurent livrés à eux-mêmes, en dépit de leurs occupations, et entrent en contact avec le cannabis, voire d'autres drogues ou médicaments, qui obèrent leur capacité à se réinsérer !
Votre propos n'est pas si irréaliste car de nombreux magistrats partagent votre constat. Dans le cadre du parcours de soins du jeune, disposez-vous des moyens de le suivre une fois en milieu ouvert ?
Dr Valérie Kanoui. - Non, nous avons déjà du mal à les suivre pendant la détention.
Dr David Sechter. - En psychiatrie, le suivi peut parfois se prolonger à l'issue de l'incarcération si le jeune reste fixé dans la région et qu'un lien a été créé avec le professionnel de santé. Mais cette situation est loin d'être la règle et l'incarcération, comme la sortie, sont souvent vécues comme des ruptures brutales.
Pourquoi l'usage des benzodiazépines chez les mineurs non accompagnés est-il si répandu ?
Dr Valérie Kanoui. - C'est bien souvent la conséquence de leur présence constante dans la rue et ces médicaments, aisés d'accès, sont utilisés, comme l'alcool, pour mieux supporter un quotidien peu enviable.
Quel est le bilan de la loi de 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale qui a réformé la médecine pénitentiaire ?
Dr David Sechter. - Cette loi entendait réformer les soins prodigués aux détenus, en rattachant les professionnels aux structures hospitalières. Cette mesure avait d'ailleurs été obtenue, en psychiatrie, dès 1987.
Dr Valérie Kanoui. - Cette loi s'appuyait sur plusieurs axes : le premier visait à conférer la responsabilité des soins aux professionnels de la santé ; le second visait l'immatriculation systématique à la sécurité sociale des personnes détenues ; le troisième concernait l'éducation et la prévention ; le quatrième visait, enfin, à doter les établissements pénitentiaires d'unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) ; ces dernières sont désormais désignées comme des unités de soins en milieu pénitentiaire (USMP).
Dr Damien Mauillon. - La loi de 1994 partait du constat de la propagation du sida et entendait mobiliser les moyens, notamment ambulatoires, pour enrayer cette catastrophe sanitaire en milieu carcéral.