On passait des bottes aux pantoufles... Ce serait alors une désertion. Juridiquement, c'est totalement inexact. Dans la fonction publique, une série de règles prévoient une compensation pour l'État si l'on quitte la fonction publique après avoir reçu un enseignement tel que celui de l'École nationale d'administration (ENA) ou de Polytechnique.
Y a-t-il une accélération du nombre des départs ? Je n'en sais rien. En revanche, la conception du rôle des fonctionnaires et la capacité de l'État à leur offrir des débouchés et des carrières pour les associer plus durablement ont évolué.
Soulignons que le nombre de hauts fonctionnaires formés baisse. J'appartiens à la promotion la plus grande de l'histoire de l'ENA, qui compte plus de 150 membres. Plus tard, certaines promotions n'en ont compté qu'une soixantaine. Ces effectifs sont théoriquement liés aux besoins de la haute fonction publique. On s'est probablement rendu compte qu'on ne parvenait pas à procurer une carrière à chacun.
Beaucoup de fonctionnaires auraient souhaité le rester, mais ont été contraints au départ. L'une des raisons a été le spoil system : après des postes en cabinet ministériel, des fonctionnaires n'étaient plus les bienvenus dans la fonction publique, y compris dans l'administration centrale. Certains ont dû la quitter, car on leur refusait un poste de leur qualité - ils ont parfois eu la chance de faire fortune ensuite. Une autre raison est que la société française a évolué ; l'État est moins présent dans l'économie. Autrefois, il offrait de nombreux débouchés dans les entreprises publiques, mais la privatisation les a restreints. Si quelqu'un n'a pas d'opportunités dans la fonction publique, il doit aller en chercher ailleurs.
Personnellement, j'ai toujours pensé que le passage par le secteur privé était un enrichissement de l'expérience. C'est ce qui fait la qualité d'un parcours. Rien n'est pire qu'une personne du privé qui ne connaît rien à l'administration et profère des « y a qu'à, faut qu'on » irréalistes, et symétriquement, rien n'est pire qu'un haut fonctionnaire qui raisonne en décalage par rapport au monde réel. Il est important d'avoir une juste appréciation, sans renoncer en rien à l'intérêt général, mais en toute connaissance du monde extérieur. Cela profite in fine au citoyen. J'ai toujours été favorable aux aller-retour à condition qu'ils s'effectuent dans un cadre adapté : il ne faut ni conflit d'intérêts ni suspicion générale qui aboutirait à ce que l'on s'interdise des compétences. Si l'on généralise sans mesure l'impossibilité pour quelqu'un de compétent dans un domaine d'y exercer une activité parce que l'on estime qu'il y a un risque de conflit d'intérêts, on interdit au public de bénéficier de cette compétence.