Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 juin 2018 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations sur projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente, co-rapporteure :

Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour adopter le rapport d'information de la délégation sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Il est assorti de vingt-deux recommandations, précédées de quelques constats d'ensemble.

Je rappelle que nous avons été officiellement saisis par la commission des lois et que ce texte sera examiné par la commission des lois la semaine prochaine, puis en séance les 4 et 5 juillet, en principe.

Je vous invite à être vigilants sur les délais limite en matière de dépôt d'amendement, si vous souhaitez tirer les conséquences de certaines de nos recommandations par des amendements qui seront présentés, je le rappelle, à titre individuel, le cas échéant co-signés.

Je rappelle aussi que nous sommes une équipe de six co-rapporteurs, reflétant la diversité politique de notre assemblée. Nous avons voulu être plus forts, par ce consensus, pour porter les demandes de la délégation. La même démarche a guidé l'élaboration du rapport d'information que nous avons adopté mardi, Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société.

Nous allons passer sans plus tarder aux interventions des co-rapporteurs. Noëlle Rauscent étant excusée, je vais prononcer en premier lieu son intervention en son nom.

« Mes chers collègues, dans cette présentation à six voix, il me revient de vous présenter les objectifs et les dispositions contenues dans le projet de loi initial tel qu'il a été adopté en conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il comporte cinq articles répartis en quatre titres :

- les articles 1er et 2 (titre I) concernent le renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles ;

- l'article 3 (titre II) adapte la définition du délit de harcèlement au contexte spécifique du cyber-harcèlement ;

- l'article 4 (titre III) crée un délit d'« outrage sexiste » ;

- enfin, l'article 5 (titre IV) porte sur l'application de ces dispositions aux outre-mer.

Je vais donc présenter plus en détail les articles 1 à 4 du projet de loi.

L'article 1er vise la prescription des crimes de nature sexuelle ou violente sur mineurs : il prévoit que l'action publique de ces crimes se prescrit par trente ans (au lieu de vingt) à compter de la majorité des victimes. L'âge maximal d'engagement de l'action publique dans ces situations passerait donc de 38 ans à 48 ans révolus. Cette disposition consensuelle est cohérente avec les conclusions de notre rapport sur les violences. La recommandation 6 préconise son maintien.

L'article 2 tire les conséquences du débat suscité par des décisions de justice récentes mettant en cause le consentement supposé d'un mineur à une atteinte sexuelle commise par un majeur. Il prévoit :

- de compléter l'article 222-22-1 du code pénal sur la « contrainte morale » exercée en cas d'agression sexuelle, pour prévoir que « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Il importe de préciser que cette rédaction résulte de l'avis du Conseil d'État du 15 mars 2018, qui s'est inspiré de la formule retenue par le code pénal en matière d' « abus d'ignorance ou de faiblesse » (article 223-15-2).

En outre, l'article 2 prévoit d'aggraver les peines prévues par l'article 227-26 relatif à l'atteinte sexuelle1(*) commise sur un mineur de quinze ans. En cas de pénétration par une personne majeure, les peines passeraient de cinq à dix ans d'emprisonnement, et de 75 000 à 150 000 euros d'amende.

Enfin, l'article 2 prévoit, à l'article 351 du code de procédure pénale, que le président de la cour d'assises pose systématiquement la question subsidiaire de la qualification de l'atteinte sexuelle, lorsqu'un accusé majeur est poursuivi pour viol sur mineur de quinze ans, et que le viol n'est pas caractérisé. C'est une piste intéressante. Il s'agit de garantir que l'auteur des faits soit sanctionné sur la base de l'atteinte sexuelle, pour éviter l'absence de toute condamnation s'il est acquitté par la cour d'assises.

L'article 3 modifie les articles du code pénal définissant le harcèlement - sexuel2(*) et moral3(*) - pour l'étendre aux « propos ou comportements [...] imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ».

L'objectif est d'adapter la définition de la répétition, posée par la définition pénale du harcèlement, à des agissements qui, bien qu'uniques, ont en raison de leur concomitance - souvent concertée - les mêmes effets sur les victimes que des faits de harcèlements répétés, c'est-à-dire :

- porter « atteinte à leur dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » (art. 222-33 du code pénal) ;

- « créer à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (art. 222-33 du code pénal) » ;

- causer une « dégradation de [leurs] conditions de vie par une altération de [leur] santé mentale » (art. 222-33-2-1 (harcèlement conjugal) et 222-33-2-2 (harcèlement moral).

Le projet de loi adapte donc la définition du harcèlement sexuel aux « raids numériques », par lesquels plusieurs internautes décident d'adresser à une personne des courriels offensants ou menaçants. Le Haut Conseil à l'Égalité, dans son rapport sur les violences faites aux femmes en ligne, avait préconisé cette évolution. C'est une avancée incontestable. La recommandation n° 15 tire les conséquences de ce progrès.

Enfin, l'article 4 crée un délit d'« outrage sexiste », lequel trouve son origine dans la prise de conscience du développement inacceptable de comportements insultants, qui sont aujourd'hui le quotidien de trop nombreuses femmes et qui affectent leur dignité.

La définition de ce délit s'appuie sur celle du harcèlement sexuel, mais elle n'exige pas la répétition des faits que suppose le harcèlement dit « d'ambiance4(*) », tandis que le harcèlement assimilé au « chantage sexuel », pour sa part, n'a pas à être répété5(*).

L'article 4 du projet de loi insère donc dans le code pénal un article 611-2 qui définit l'outrage sexiste :

- il doit être « imposé » et suppose donc la contrainte ;

- il consiste en des propos ou comportements « à caractère sexuel » qui portent « atteinte à [la dignité des victimes] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » ou créent « à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ;

- il est puni de l'amende prévue par les contraventions de 4ème classe, assortie le cas échéant de peines complémentaires telles que l'obligation d'effectuer un stage6(*).

Enfin, le nouvel article du code pénal prévoit des circonstances aggravantes lorsque l'outrage sexiste est commis sur des personnes vulnérables, en réunion ou dans les transports.

Lors de son audition le 11 juin 2018, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, en réponse au président de la commission des lois qui faisait valoir le caractère réglementaire de ces mesures, a observé que le projet de loi créait une nouvelle peine, l'obligation de suivre un stage de lutte contre le sexisme, et qu'à ce titre l'intervention du législateur était nécessaire. »

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