Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 juin 2018 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations sur projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol, co-rapporteure :

Il me revient de vous présenter nos propositions sur la protection des enfants et la défense des victimes de violences.

À l'article 2, un amendement de l'Assemblée nationale a aggravé les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Il reprend en des termes strictement identiques l'article 5 de la proposition de loi Bas-Mercier (sans en mentionner l'origine).

Le III de l'article 2 concerne la question subsidiaire d'atteinte sexuelle qui doit être posée par le président du tribunal lors du procès d'une personne majeure accusée de viol sur mineur de moins de quinze ans. Ce point est destiné à éviter que l'agresseur puisse être acquitté quand le viol ne peut être prouvé. Il s'agit là, évidemment, d'un moindre mal pour éviter l'impunité des prédateurs sexuels. Je pense que nous pouvons être d'accord avec le fait que cette question subsidiaire peut, cumulée avec l'aggravation des peines pour atteinte sexuelle, qui passeraient à sept ans d'emprisonnement, mieux réprimer les agressions sexuelles commises sur mineurs.

Cette position, exprimée à la recommandation n° 2, ne nous empêche pas de continuer à être opposés à la correctionnalisation du viol et à demander que celui-ci soit puni en tant que crime.

S'agissant de l'atteinte sexuelle avec pénétration, créée par le projet de loi, elle suscite des interrogations de notre part et nous paraît passer à côté de l'objectif. En effet, nous estimons qu'elle risque de renforcer une tendance déjà préoccupante à la correctionnalisation des viols. Les victimes seront incitées à privilégier la correctionnalisation pour éviter les risques de la cour d'assises. D'ailleurs, la notion même d'atteinte sexuelle avec pénétration, sorte de substitut du viol, est en soi contestable. C'est un viol qui n'ose pas dire son nom et qui n'est pas condamné comme un viol. Or en matière de violences faites aux femmes et aux enfants, il faut nommer les choses !

J'en viens tout naturellement à la présentation de notre proposition principale, qui concerne l'introduction d'un seuil d'âge dans la loi (recommandation n° 1) : notre objectif est de mieux réprimer les viols sur les jeunes mineurs en évitant toute subjectivité dans l'appréciation du viol. Notre priorité est d'empêcher que des précédents comme l'affaire de Pontoise se reproduisent. L'idée serait de poser un interdit absolu sur les relations sexuelles avec pénétration entre un adulte et un enfant.

C'est bien aux adultes de protéger les enfants et non aux enfants de se garder des agressions dont les menacent certains prédateurs...

De surcroît, il nous paraît inacceptable que, en raison de la subjectivité inhérente à la définition du viol, son traitement judiciaire soit marqué par la contingence, pouvant aller de l'acquittement à une peine d'emprisonnement. Nous proposons donc une formule qui garantisse une réponse cohérente sur l'ensemble du territoire et non un traitement hétérogène selon les juridictions, et qui permette d'éviter tout débat sur la violence, menace, contrainte ou surprise.

Ces deux exigences supposent de définir un seuil d'âge en dessous duquel un acte sexuel avec pénétration, commis par une personne majeure sur celle d'un mineur, serait sanctionné comme un viol, autant qu'un viol. Nous avons estimé que le seuil de treize ans était le plus pertinent, parce qu'il marque la « limite indiscutable du seuil de l'enfance », pour reprendre les mots de nos collègues de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. De plus, le seuil de treize ans est cohérent avec le droit pénal, qui fixe à cet âge le discernement et la responsabilité pénale des mineurs. Enfin, il permet de prendre en compte les relations sexuelles qui peuvent exister sans contrainte entre des adolescentes d'une quinzaine d'années et de jeunes majeurs. Il ne faudrait pas que ces derniers se retrouvent condamnés pour viol parce que les parents de leur « petit-e ami-e » auraient porté plainte.

Il s'agit donc de fixer dans la loi l'interdiction absolue d'un rapport sexuel entre un adulte et un enfant, et de poser le principe selon lequel braver cet interdit est un crime.

Tels sont les principes qui guident notre réflexion.

D'autres pays ont tiré les conséquences de cet impératif. On oppose un risque d'inconstitutionnalité à la mise en oeuvre de ce principe dans notre droit pénal, au nom des droits de la défense. Pour autant, nous avons observé que plusieurs pays européens ont introduit ces seuils d'âge, notamment le Royaume-Uni. Que je sache, ce pays n'est pas connu pour mettre en péril les droits de la défense...

Plus généralement, l'argument de l'inconstitutionnalité de la solution que nous proposons, que l'on entend régulièrement opposer à celle-ci, ne me semble pas pertinent. Pour moi, il s'agit d'une simple rumeur qui a prospéré. Tant que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé, on ne peut savoir comment il réagirait par rapport à sa traduction législative ! La seule façon de savoir si ce que nous proposons est inconstitutionnel est d'aller au bout de notre démarche.

Comment atteindre cet objectif ? Nous avons eu ce débat à la suite de l'audition de Danielle Bousquet.

Il s'agit donc avant tout de se prononcer sur un principe : quand un acte de pénétration sexuelle est commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans, il n'y a pas à s'interroger sur le consentement de l'enfant, ni même sur l'existence de la « contrainte, de la menace, de la violence ou de la surprise ». Il s'agit d'un crime qui doit être puni à hauteur de vingt ans de réclusion.

L'intentionnalité des faits, exigence du code pénal, résulterait de l'acte lui-même, car personne ne prétendrait qu'on pénètre quelqu'un par accident ou inadvertance... Elle résulterait aussi du fait de connaître l'âge de la victime.

Pour conclure sur ce sujet, je tiens à relever que le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) n'a pas été consulté sur ce projet de loi. Il a donc émis un avis pour faire connaître sa position sur le texte du Gouvernement.

J'en viens à nos autres propositions visant à la protection des enfants et à la défense des victimes de violences, que je vais présenter plus brièvement.

En ce qui concerne la protection des enfants, nous proposons également d'étendre les missions des services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), définies par l'article L. 221-2 du code de l'action sociale et des familles, au repérage et à l'orientation des mineures victimes ou menacées d'excision. Il s'agit là de la reprise d'une recommandation formulée dans le rapport de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines. C'est la recommandation n° 5.

S'agissant de la défense des victimes de violences sexuelles, nous formulons cinq propositions.

Premièrement, nous plaidons pour que l'amnésie traumatique soit reconnue comme obstacle insurmontable à la mise en mouvement de l'action publique, au sens de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale (recommandation n° 8). Cette proposition reprend l'article 2 bis de la proposition de loi dite « Bas-Mercier », adopté à l'initiative de notre collègue François-Noël Buffet. Nous pensons qu'une telle mesure faciliterait la reconnaissance en justice des troubles psycho-traumatiques qui affectent la mémoire des victimes et peuvent, de ce fait, constituer un réel obstacle insurmontable.

Deuxièmement, nous souhaitons offrir la possibilité au procureur de la République de diligenter une enquête, même en cas de prescription. Tant notre rapport sur les violences que celui du groupe de travail de la commission des lois ont souligné l'intérêt de cette pratique, aussi bien du point de vue de la reconstruction des victimes, qui se sentent alors plus facilement reconnues comme victimes par l'institution judiciaire et peuvent même être confrontées à leur, que du point de vue de la prévention de la récidive. En effet, nous savons que les violeurs sont souvent des récidivistes. L'ouverture d'une enquête, même en cas de prescription, permettrait ainsi de s'assurer que l'auteur présumé des infractions dénoncées n'a pas commis d'autres infractions dont le délai de prescription ne serait pas écoulé (recommandation n° 7).

Troisièmement, nous suggérons une amélioration formelle de la définition de la contrainte morale à l'article 222-22-1 du code pénal, pour lever une ambiguïté inhérente à la rédaction actuelle. Il s'agit de prévoir que la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge entre la victime et son agresseur ou de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci peut exercer sur elle, et non pas du cumul de ces deux critères (recommandation n° 10).

Quatrièmement, nous proposons la création d'une circonstance aggravante en cas de violences sexuelles occasionnant une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. Des circonstances aggravantes existent déjà pour les faits de violences ayant entraîné des ITT inférieures ou égale à huit jours, mais pas au-delà. Je vous renvoie au rapport pour plus de précision (recommandation n° 13).

Enfin, notre cinquième proposition consiste à mieux indemniser les personnes licenciées après avoir été victimes de harcèlement sexuel, en instaurant une indemnité plancher de douze mois au lieu des six mois actuellement prévus par le code du travail. L'enjeu est de garantir aux victimes une meilleure prise en charge de leurs préjudices, tout en incitant les employeurs à respecter leurs obligations de prévention (recommandation n° 17).

Je cède la parole à Françoise Laborde.

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