Intervention de Françoise Laborde

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 juin 2018 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations sur projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde, co-rapporteure :

Je vais vous présenter pour ma part nos recommandations qui concernent la prévention des violences et ce que le projet de loi appelle « l'outrage sexiste ».

En ce qui concerne la prévention des violences, nous formulons trois propositions.

La première vise à enrichir le projet de loi d'un volet préventif. Comme l'a déjà souligné la présidente, cette dimension est totalement absente du projet de loi présenté par le Gouvernement, qui se limite au volet répressif de la protection des victimes de violences, contrairement à la proposition de loi adoptée par le Sénat le 27 mars dernier, à l'initiative de Philippe Bas et Marie Mercier8(*) (recommandation n° 20).

Notre rapport sur les violences faites aux femmes a montré l'importance cruciale de la prévention dans la politique de lutte contre ces violences. Nous jugeons donc particulièrement important de voir figurer un volet préventif dans le projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes, évoquant aussi la question des moyens. C'est pourquoi nous recommandons d'inscrire dans le projet de loi une dimension préventive, en y annexant le rapport sur les orientations de la protection de protection des mineurs contre les violences sexuelles, annexé à la proposition de loi dite « Bas-Mercier ».

Notre deuxième proposition en matière de prévention consiste à revoir les dispositions du code de l'éducation sur l'éducation à la sexualité, pour y intégrer l'information sur l'égalité femmes-hommes (recommandation n° 21, déjà mentionnée par notre présidente).

Nous avons pu le constater au fil de plusieurs rapports, toute réflexion sur les violences faites aux femmes et sur la persistance de ce fléau social ne peut que conduire à plaider pour le renforcement de leur prévention à travers l'éducation, dès le plus jeune âge. Ce constat est partagé par le rapport d'information de la commission des lois sur la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, mais aussi par le Défenseur des Droits.

Des séances d'éducation à la sexualité en milieu scolaire sont prévues depuis la loi du 4 juillet 20019(*). Malheureusement, cette obligation légale est inégalement mise en oeuvre. Je vous renvoie sur ce point à notre rapport sur les violences.

Il nous paraît nécessaire que les séances d'éducation à la sexualité intègrent la dimension essentielle de l'éducation à l'égalité et qu'elles concernent les élèves pendant toute leur scolarité, alors que c'est trop souvent aujourd'hui la pornographie qui, avec les réseaux sociaux, accompagne les jeunes dans les débuts de leur vie amoureuse.

Or, comme nous l'avons relevé dans notre rapport d'information sur les violences faites aux femmes, le cadre légal de l'éducation à la sexualité est confus et difficile à comprendre, car il regroupe un ensemble de séances d'information dédiées à des sujets variés, allant de l'éducation à la sexualité jusqu'à la législation relative aux dons d'organes (je vous renvoie sur ce point au rapport).

Pour plus de cohérence, nous proposons donc que les articles du code de l'éducation qui rendent obligatoires les séances d'éducation à la sexualité soient reformulés, de manière à lier éducation à la sexualité et information sur l'égalité. Cette proposition reprend une recommandation de notre rapport sur les violences faites aux femmes.

Enfin, en matière de prévention, nous recommandons une modification du code de la sécurité intérieure pour étendre à l'appel à la haine en raison du sexe les motifs de dissolution des associations (recommandation n° 22).

Il s'agit là de la reprise d'une recommandation formulée dans le rapport Femmes et laïcité, qui s'étonnait que ne figure pas parmi les motifs de dissolution des associations l'incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe d'une personne ou d'un groupe de personnes. Or l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit la dissolution appelant à la haine, à la discrimination ou à la violence, en raison de l'origine ou de la religion.

Nous soutenons une telle mesure, car la plupart des lois réprimant l'injure, la menace ou l'appel à la haine ont déjà intégré le sexe à leurs critères, aux côtés de l'origine et de la religion. Il s'agit là d'une mise à jour dont on peut penser qu'elle est essentiellement préventive. Mais on ne peut pas exclure aujourd'hui, malheureusement, que des associations diffusent un message de haine à l'égard des femmes, comme cela se passe sur les réseaux sociaux en matière de cyber-harcèlement. Il est donc important de marquer la réprobation de la société pour ce type de propos ou de comportements et de combler une lacune étonnante de notre législation.

J'en viens maintenant à notre position sur l'outrage sexiste et à notre proposition de créer un délit autonome d'agissement sexiste (recommandation n° 19).

Nous estimons que l'outrage sexiste prévu par l'article 4 du projet de loi n'est pas pleinement convaincant. La définition de l'outrage sexiste prévue par l'article 4 du projet de loi, en se référant « au fait d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste... » renvoie implicitement à la notion de consentement de la victime.

De fait, cette définition risque d'altérer l'efficacité de la nouvelle infraction en faisant porter le débat sur l'attitude de cette dernière et sur l'hypothèse d'une attitude aguicheuse supposée qui exonérerait de responsabilité l'auteur de l'infraction, alors que la définition de l'infraction doit être centrée sur le comportement de l'auteur des faits.

On peut également avoir des doutes sur l'efficacité réelle de l'outrage sexiste du point de vue de son application, car l'infraction devra être constatée en flagrant délit pour être verbalisée. Pour être efficace, cette mesure impliquera des moyens considérables...

Enfin, le niveau des amendes - 135 ou 1 500 euros en cas de circonstances aggravantes, soit des contraventions de 4ème ou 5ème classe - nous semble inadapté à des comportements qui gâchent au quotidien la vie des femmes et qui menacent nos valeurs.

Pour ces différentes raisons, nous proposons plutôt la création, dans le code pénal, d'un délit autonome d'agissement sexiste, recommandation là encore formulée dans le cadre du rapport La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, publié en novembre 2016.

La définition de ce délit s'inspirait de l'agissement sexiste défini par l'article L. 1142-2-1 du code du travail et par le statut des fonctionnaires, l'objectif étant de compléter le code pénal en cohérence avec le code du travail, de même que le harcèlement sexuel est traité à la fois par le code pénal et par le code du travail.

Ce délit pourrait sanctionner des comportements tels que le refus de serrer la main d'une femme parce qu'elle est une femme, le fait de récuser un soignant en raison de son sexe... De telles attitudes ne se limitent pas aux relations entre collègues ou au sein d'une hiérarchie, mais affectent potentiellement tous les aspects de la vie des femmes qui en font les frais. Je vous invite à lire le rapport pour avoir des éléments intéressants de droit comparé sur la création d'un délit spécifique destiné à réprimer ces comportements.

Selon nous, le délit d'agissement sexiste dont je viens de vous esquisser les contours présente l'avantage de poser comme critère, non seulement l'objet des comportements sanctionnés, mais aussi l'effet de ces comportements sur la victime.

Nous sommes également attachés à l'existence d'une circonstance aggravante liée au préjudice exercé sur une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public10(*).

Pour autant, nous estimons que diverses mesures prévues par l'article 4 du projet de loi pourraient utilement compléter la rédaction initiale de l'agissement sexiste tel que nous le proposions dans notre rapport de 2016. Il s'agit plus particulièrement de l'introduction de plusieurs circonstances aggravantes. La définition de l'agissement sexiste peut également être précisée, comme le mentionne le projet de rapport qui vous a été adressé. Enfin, il nous paraît important de ne pas limiter la sanction de ce nouveau délit au champ contraventionnel. Des peines d'emprisonnement sont nécessaires dans certains cas, au regard de la gravité des comportements qu'il a vocation à sanctionner. L'agissement sexiste ne se limiterait pas aux comportements ou propos déplorés dans les transports ou dans la rue.

Je cède la parole à Mme Billon pour notre débat sur ces recommandations.

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