Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 juin 2018 à 14h45
Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine durable et accessible à tous -examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure :

Il me revient de présenter la seconde partie relative à la politique alimentaire. Il faut bien admettre qu'elle a souvent éclipsé, dans les débats, l'objet premier d'une loi censée permettre à nos agriculteurs de vivre décemment de leur travail. Il est aussi difficile d'en résumer le contenu, tant les sujets abordés sont hétéroclites. Pour autant, j'ai cherché, en parfaite convergence de vues avec Michel Raison, à corriger cette forme de schizophrénie d'un texte qui ambitionnerait, dans sa première partie, d'augmenter les recettes tout en créant, dans sa seconde partie, des contraintes et des charges nouvelles, reprenant ainsi d'une main ce qu'il prétend donner de l'autre.

Il ne s'agit pas de nier l'importance de promouvoir une alimentation saine, durable et de qualité, mais de rappeler que ces questions ne sauraient être séparées de celle du revenu paysan, sans quoi cette alimentation ne serait tout simplement pas « durable ». De même, et parce que les agriculteurs ont été nombreux à le ressentir ainsi, il n'est pas non plus question de dire que notre alimentation n'était pas saine avant cette loi, sans quoi l'évolution de l'espérance de vie ne serait pas ce qu'elle est, ni que les éleveurs ne veillaient pas déjà au bien-être de leurs bêtes.

Les propositions que je vous présenterai entendent, selon les cas, simplifier, assouplir, alléger les contraintes, autant pour les agriculteurs que pour nos territoires, de métropole ou d'outre-mer, et pour les entreprises, de l'agroalimentaire ou au-delà, mais aussi protéger un certain nombre de productions françaises.

Deux chiffres d'abord pour mesurer l'inflation de ce titre à l'Assemblée : hors Titre Ier, nous sommes passés de 7 articles dans le texte initial à 68, d'importance et d'intérêt très inégaux. Je n'aborderai pas la partie consacrée au gaspillage alimentaire ainsi qu'un certain nombre d'articles, dont ceux portant sur les contenants plastiques, les bouteilles d'eau, le dioxyde de titane ou les doggy bags, qui ont été délégués au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Plusieurs articles traitent de la restauration collective. L'article 11 pose l'obligation de parvenir, d'ici à 2022 et seulement pour la restauration publique, à 50 % de produits de qualité, durables ou locaux, dont 20 % de produits bio. Je précise, s'agissant des produits locaux, que le droit de la commande publique est ainsi fait qu'ils ne peuvent être visés en tant que tels, par des critères explicites de circuit court ou de proximité, et que l'on doit user d'un tas d'artifices pour acheter local sans le dire et ne pas s'exposer à d'éventuels recours : il existe déjà, pour ce faire, de nombreux instruments, parmi lesquels on trouve le concept d'« externalités environnementales liées au cycle de vie du produit », repris dans la loi, qui permet de tenir compte, en particulier, des impacts liés à la distance. Il importera que le décret, qui doit préciser la notion, soit suffisamment clair et que le ministère accompagne les acheteurs publics dans la démarche. Je vous proposerai d'inclure dans la liste des produits éligibles aux 50 % tous les signes de qualité et mentions valorisantes, et non seulement ceux que retiendrait le décret, de même que les produits bénéficiant du label des régions ultrapériphériques, dont nos territoires d'outre-mer.

L'Assemblée nationale a ajouté un certain nombre de prescriptions et d'obligations que je vous proposerai, là aussi, d'assouplir ou, dans un cas seulement, d'étendre, et encore une fois en donnant plus de liberté aux gestionnaires : il s'agirait d'élargir l'information et la consultation régulière des usagers aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux et pénitentiaires, étonnamment oubliés à l'Assemblée, et de viser aussi les produits acquis dans le cadre de projets alimentaires territoriaux (PAT) ; les modalités de cette information seraient en revanche assouplies, les gestionnaires étant juges des moyens à mettre en oeuvre.

Je vous proposerai aussi de supprimer l'obligation d'information pour la restauration collective privée, qui reviendrait à demander aux entreprises de justifier de la façon dont elles respectent une obligation qui ne leur est pas, en droit, applicable. Je vous proposerai encore de relever de 200 à 300 repas par jour le seuil au-delà duquel un plan de diversification des protéines est exigé, pour ne pas faire peser une contrainte disproportionnée sur les petites structures, et d'adapter les seuils à l'outre-mer pour tenir compte des spécificités de ces territoires.

Enfin, parce qu'il est essentiel de structurer nos filières pour répondre à cette demande nouvelle par des produits locaux, et non par des importations, je vous suggérerai de créer une réunion régulière, au niveau régional et sans structure nouvelle, de tous les acteurs concernés par cette question de l'approvisionnement de la restauration collective. Nos auditions, ainsi que les éléments dont je dispose, m'ont toutefois rassuré sur la capacité de nos productions françaises à répondre présentes.

Le texte comporte désormais des mesures très disparates touchant à l'alimentation. Plusieurs de ces dispositions méritent d'être confortées pour mieux protéger et promouvoir les productions françaises. À ce titre, je vous proposerai d'étendre l'obligation d'information sur l'origine des vins à tous les établissements mettant à la vente du vin, y compris les débits de boissons à consommer sur place ou à emporter, et de viser tous les supports de vente ; de maintenir l'obligation d'une déclaration de récolte des raisins qui garantit la traçabilité des vins - nous serons nombreux à défendre cet amendement - et de prévoir que les pays d'origine du miel devront figurer sur l'étiquette par ordre décroissant d'importance. De même, il me paraît souhaitable de renforcer l'encadrement de l'utilisation du terme « équitable » ainsi que des dénominations associées à des productions animales pour la promotion de produits végétaux. Je vous proposerai également un amendement tendant à reprendre les conclusions des travaux de notre commission sur les procédures d'autocontrôle par les exploitants de leur environnement de production.

D'autres mesures ajoutées par l'Assemblée nationale n'appellent pas de modification : je citerai la précision apportée sur l'étiquetage des fromages fermiers affinés en dehors de la ferme, qui viendra sécuriser une pratique ancienne, l'encadrement des activités de conditionnement du vin pour mieux les contrôler, ou l'abrogation de la loi de 1957 sur la « Clairette de Die », qui est demandée par les producteurs.

Certaines dispositions m'apparaissent inopportunes ou tout simplement inutiles. Dans la première catégorie figure sans conteste l'obligation, à compter du 1er janvier 2023, d'un affichage environnemental des produits alimentaires, dont l'étiquetage devrait préciser s'ils sont issus d'animaux « nourris aux OGM », le mode d'élevage des animaux ou l'origine géographique pour les produits d'origine animale, ainsi que le nombre de traitements phytosanitaires pour les fruits et légumes frais. Un tel affichage pénaliserait les entreprises françaises et fragiliserait les expérimentations en cours ou à venir sur l'origine des produits ou le mode d'élevage des animaux ; certaines de ses modalités seraient par ailleurs contre-productives, par exemple pour l'agriculture bio, qui recourt à un nombre plus important de traitements dans l'année, mais à doses moindres, et le contrôle de ces dispositions serait tout simplement impraticable.

Dans la catégorie des articles inutiles, car sans plus-value réelle ou sans portée normative, je vous proposerai de supprimer l'expérimentation censée permettre aux collectivités de rendre obligatoire l'affichage des menus dans leurs restaurants collectifs, ce qu'elles peuvent dès à présent faire sans que la loi doive les y autoriser ; le renforcement de l'information sur les denrées alimentaires vendues en ligne ou de l'étiquetage du pays d'origine sur les bouteilles de vin, qui sont satisfaits par le droit actuel ; la présence de parlementaires au sein du Conseil national de l'alimentation, dès lors qu'il existe d'autres moyens plus pertinents pour nous informer de ses travaux ; la mention de la démarche agro-écologique dans la certification environnementale, qui n'apporte rien ; le rapport sur la définition de la déforestation importée, qui fait déjà l'objet d'une stratégie nationale en cours de finalisation ; l'ajout de mesures déjà présentes dans le rapport sur la responsabilité sociétale des entreprises et la présence d'associations environnementales au sein des comités nationaux de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), la défense des enjeux environnementaux pouvant déjà être assurée, entre autres, par les personnalités qualifiées qui y siègent.

J'en arrive aux dispositions relatives au bien-être animal. Bien que cette partie ait fait beaucoup parler à l'Assemblée nationale comme dans les médias, les apports des députés ont été, par comparaison avec la partie dédiée à l'alimentation, relativement limités en nombre, bien que parfois substantiels sur le fond.

Je rappelle que le texte initial ne comportait qu'un article en la matière, qui prévoyait d'étendre le délit de mauvais traitement à l'abattage et au transport d'animaux vivants, d'en doubler les sanctions et d'ouvrir le droit pour les associations de protection animale de se porter partie civile pour certaines infractions de maltraitance animale prévues par le code rural, dont les députés ont d'ailleurs utilement précisé la portée. L'Assemblée nationale y a ajouté un rapport visant à évaluer les engagements et les réalisations concrètes des filières en faveur du bien-être animal ; l'interdiction de mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevages de poules en cage ; la généralisation à tous les abattoirs de la désignation d'un responsable de la protection animale et de la protection spécifique des lanceurs d'alerte ainsi que la mention explicite de la sensibilisation au bien-être animal dans les missions de l'enseignement agricole.

Deux expérimentations ont par ailleurs été prévues : l'une pour tester l'installation de la vidéosurveillance dans les abattoirs sur la base du volontariat, notion qui comprend l'avis conforme des représentants du personnel, l'autre pour juger des difficultés éventuelles d'application de la réglementation européenne liée à la mise en place d'abattoirs mobiles. Il me semble que, sur cette partie au moins, l'équilibre auquel est parvenue l'Assemblée nationale, qui a pris appui sur les engagements des filières et a cherché à responsabiliser celles-ci, ne doit pas être remis en cause. Les modalités retenues pour expérimenter la vidéosurveillance ou tester des abattoirs mobiles me paraissent aussi globalement satisfaisantes. Par conséquent, je vous proposerai simplement de limiter l'interdiction sur les bâtiments d'élevage de poules en cage aux seuls bâtiments nouveaux, ce qui permettra, le cas échéant, certains réaménagements, notamment lorsqu'ils sont bénéfiques aux animaux.

À l'inverse, la partie concernant les produits phytopharmaceutiques me paraît totalement déséquilibrée. Sans anticiper sur les débats que nous aurons sur certains sujets polémiques, le projet de loi alourdit considérablement les charges pour les agriculteurs en interdisant les remises, rabais et ristournes sur la vente de produits phytopharmaceutiques et en séparant toute activité de vente et de conseil portant sur ces produits à l'exception du conseil sur l'utilisation des produits. En prévoyant une séparation capitalistique, le projet déstabilise de surcroît l'équilibre économique du négoce et des coopératives.

Je m'étonne que le Gouvernement demande aux parlementaires de voter des mesures sur lesquelles il ne dispose que de peu d'informations. L'étude d'impact relative à l'interdiction des remises, rabais et ristournes figurant à l'article 14 se résume à une page de considérations peu étayées ou chiffrées. De même, la demande d'habilitation à légiférer pour séparer les activités de vente et de conseil est très large et le projet du Gouvernement n'est pas défini. Sur deux sujets, je vous proposerai plusieurs amendements.

Le premier tend à supprimer l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytopharmaceutiques, compte tenu de l'absence d'éléments pour mesurer les effets d'une mesure aussi structurelle. Les autres visent à cibler la séparation du conseil et de la vente sur le conseil stratégique et personnalisé qui sera pluriannuel, afin de déterminer un réel plan adapté à l'optimisation de l'usage des produits phytopharmaceutiques. La séparation capitalistique des structures ne sera pas requise. L'objectif de réduction des usages passe aussi par l'accompagnement à l'émergence de solutions alternatives, sans toutefois réduire la pertinence de l'évaluation scientifique de ces substances dans un objectif de maintien de la sécurité sanitaire des utilisateurs et des consommateurs. Je proposerai plusieurs amendements en ce sens.

Enfin, les nouvelles technologies sont un outil à mobiliser pour permettre une meilleure utilisation des produits phytopharmaceutiques, tout en assurant une plus grande sécurité aux utilisateurs. À cet égard, le projet de loi fait un premier pas vers le recours aux drones, en permettant de manière expérimentale l'épandage aérien de produits utilisables uniquement dans l'agriculture biologique sur les terrains dangereux. Je vous proposerai d'élargir cette expérimentation à tous les produits de protection des végétaux.

Le texte comprend, enfin, un Titre II bis dit de « simplification », qui a été ajouté en commission avant même d'en connaître le contenu, ce qui est inédit sur le plan légistique, et qui ne comporte finalement que trois mesures : deux dédiées à l'énergie et une autre relative aux sous-produits animaux, laquelle a été déléguée au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Pour s'en tenir à l'énergie, la production d'énergies renouvelables peut effectivement constituer un complément de revenus intéressant pour les agriculteurs qui disposent, en particulier, de grandes surfaces de toitures, utiles pour le photovoltaïque, ainsi que des matières organiques et de la connaissance des processus biologiques mobilisables pour faire de la méthanisation, dont le digestat est par ailleurs un très bon fertilisant.

Le premier article « énergie » instaure un tarif préférentiel de rachat de l'électricité renouvelable pour les projets collectifs sur sites agricoles. Il soulève à vrai dire plusieurs questions, mais je vous proposerai de ne pas y toucher, même s'il est à craindre qu'il ne soit pas applicable en l'état. Le second article était, lui, très attendu, car il met en oeuvre l'une des recommandations du groupe de travail sur la méthanisation, en créant un « droit à l'injection » du biogaz pour les installations de production situées à proximité d'un réseau. Notre collègue Daniel Gremillet, qui a participé au groupe de travail, nous proposera plusieurs mesures pour le renforcer, auxquelles je suis favorable. Je vous proposerai enfin de traduire dans la loi une autre recommandation du groupe de travail, à savoir la sortie du statut de déchet du digestat, qui devrait aussi concourir au développement des méthaniseurs et simplifier la vie des agriculteurs.

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