J'en viens à présent au rapprochement Expertise France et l'AFD. Avant toute autre évolution sur ce sujet, il nous paraît indispensable que les termes de l'accord de 2015 entre Expertise France et l'AFD soient respectés. A peine 5 millions d'euros de financements gouvernance confiés à Expertise France sur les 25 millions prévus, c'est insuffisant et ce n'est pas bon pour l'équipe France du développement. Il y a là clairement, comme nous l'a confirmé le directeur général de l'AFD lui-même, un blocage culturel qu'il faut surmonter. L'ADN de l'Agence française de développement est en effet de confier la mise en oeuvre des projets aux partenaires des pays du Sud, dans le cadre de la libre concurrence, selon le principe de non-substitution. Pourtant, dans certains pays, notamment au Sahel, les administrations publiques ont parfois besoin de l'assistance technique que peut leur fournir Expertise France. C'est vrai en matière de gouvernance, mais aussi en matière de continuum sécurité-développement ou d'agriculture. Lorsque cet accord de 2015 aura enfin été mis en oeuvre, comme l'exige la complémentarité des agences, alors seulement un rapprochement plus poussé pourra être envisagé sous une forme à laquelle il convient de réfléchir. Notre position est ainsi claire : ce n'est évidemment pas le mécano institutionnel qui a de l'intérêt en soi, ni les luttes d'influence ; c'est bien entendu la vision stratégique.
Ainsi, le rapprochement n'aura d'intérêt que s'il permet de développer des synergies. Il s'agit essentiellement pour Expertise France de pouvoir bénéficier du réseau de l'AFD, c'est-à-dire de ses 80 agences locales, là où elle ne dispose actuellement que de bureaux-projets temporaires. Les deux opérateurs pourront également développer des offres de projet intégrées comprenant une part de financement de l'AFD et une part d'assistance technique réalisée par Expertise France. Enfin, certaines fonctions pourraient être mutualisées. Du côté de l'AFD, la rapidité d'action et l'agilité d'Expertise France, ainsi que son accès aux viviers d'experts, seront de nouveaux atouts pour le développement de l'agence.
Il est trop tôt pour nous prononcer sur le meccano institutionnel d'un tel rapprochement mais nous proposons de fixer un cadre directeur en vue du CICID de février. Ainsi, tout éventuel rapprochement devra impérativement préserver les principaux atouts d'Expertise France, sous peine d'aller directement à l'encontre de l'esprit de la réforme de 2014 telle qu'initiée par le Sénat et qui, preuves à l'appui et avec trois ans de recul, fait totalement sens. Il conviendra de conserver l'autonomie et l'identité d'Expertise France, qui est désormais une marque reconnue sur le marché international de l'Expertise, comme en atteste sa rapide montée en puissance sur seulement trois ans. Il conviendra également de conserver un statut qui permette à Expertise France de représenter l'Etat français auprès des organisations internationales, en particulier l'ONU pour les missions intégrées, ou auprès des États, comme dans le cadre de l'accord intergouvernemental avec le Royaume de Bahreïn. Cet impératif conduit selon nous à écarter la solution d'une filialisation à l'AFD sous forme de société anonyme. Ce rapprochement devra également assurer la conservation de la rapidité d'action de l'agence, dont les capacités de mise en oeuvre directe lui permettent de monter un projet en quelques semaines là ou l'AFD ne peut agir qu'après plusieurs mois. Seule cette rapidité et cette agilité permettent en effet à Expertise France de répondre aux demandes politiques urgentes de l'Etat français dans les pays en crise ou en sortie de crise, par exemple pour rétablir des infrastructures de soin dans le Nord de la Syrie en pleine guerre civile ou pour aider l'Etat grec à réformer son administration. Il faudra conserver le champ d'intervention géographique et sectoriel plus large d'Expertise France. Celle-ci peut en effet intervenir en Europe ou dans les pays du golfe, ainsi que dans le champ sécuritaire, contrairement à l'AFD. Il est enfin nécessaire de conserver un lien très fort avec les administrations françaises pourvoyeuses d'expertises. Alors que certaines administrations ont déjà eu du mal à accepter la réforme de 2014, elles pourraient avoir le sentiment qu'en entrant dans le giron de l'AFD, l'expertise internationale leur échappe totalement. La recréation d'opérateurs maison ou de services dédiés à la coopération internationale au sein des ministères deviendrait alors probable, ce qui annulerait tous les efforts accomplis depuis 2014. Il faut d'ores et déjà souligner que le respect de l'ensemble de ces points passe notamment par l'établissement d'une gouvernance spécifique pour les deux opérateurs une fois rapprochés, permettant de respecter pleinement l'autonomie d'Expertise France et la spécificité de ses missions qui ne sont pas celles de l'AFD.
En conclusion, le calendrier doit selon nous être le suivant. D'abord, mettre pleinement en oeuvre l'accord de coopération de novembre 2015 entre l'AFD et Expertise France qui prévoit 25 millions d'euros de financements dans la gouvernance. Cette démarche consolidera le modèle économique de l'agence d'expertise et démontrera la capacité de l'AFD à recourir à elle tout en respectant sa spécificité. C'est, pour nous, un préalable absolu. Parallèlement, renforcer les liens d'Expertise France avec les ministères, en particulier avec l'intérieur, la justice et l'agriculture, et déterminer les modalités concrètes de la réunion de leurs 4 opérateurs spécialisés avec Expertise France. Enfin, une fois le dispositif d'expertise ainsi consolidé, rapprocher l'AFD et Expertise France, selon des modalités qui permettent de préserver la valeur ajoutée de celle-ci.
Voilà, mes chers collègues, les messages que nous nous proposons de délivrer aux acteurs concernés avant le comité interministériel du CICID du 5 février, qui prendra des décisions sur le rassemblement des opérateurs et sur le rapprochement avec l'AFD. Le Gouvernement pourrait également envisager de déposer une loi révisant la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. En tout état de cause, une telle loi serait nécessaire si le statut d'Expertise France devait être modifié en vue de son rapprochement avec l'AFD. Elle nous permettra alors, mes chers collègues, et notamment à notre président, qui a précédemment oeuvré en faveur du rapprochement des opérateurs et de la création d'Expertise France, de faire valoir le point de vue de notre commission, au bénéfice de l'équipe France du développement et non de telle ou telle entité, puisque telle est notre préoccupation.