Intervention de Patricia Morhet-Richaud

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 juin 2018 à 9h30
Audition de M. Emmanuel Besnier président du conseil de surveillance du groupe lactalis

Photo de Patricia Morhet-RichaudPatricia Morhet-Richaud, rapporteure :

Je rappelle que lors de sa réunion constitutive, le groupe de travail sur le tourisme a souhaité effectuer un bilan d'application de dispositions législatives récentes sur l'hébergement touristique et le numérique. L'évolution numérique est devenue, en effet, incontournable pour les acteurs du tourisme aujourd'hui, comme en témoignent quelques chiffres : le tourisme représentait 44 % des parts de marché du commerce en ligne en 2016, 77 % des Français partis en vacances en 2016 ont préparé leur voyage en ligne et 50 % y ont réservé tout ou partie de leur séjour.

Le Parlement a récemment encadré deux des principales mutations du secteur de l'hébergement touristique que nous vous résumerons à tour de rôle.

À titre liminaire, je souhaite ici remercier le président du groupe de travail, Michel Raison, qui a assisté à la vingtaine d'auditions menées par vos rapporteures, et saluer l'ensemble de nos collègues qui ont assisté aux auditions et ont bien voulu exprimer leurs points de vue.

Tout d'abord, internet a permis l'émergence d'un nouveau canal de distribution avec les plateformes de réservation hôtelière en ligne, comme Booking ou Expedia. La présence des professionnels de l'hébergement touristique sur ces plateformes est aujourd'hui indispensable car elle leur permet de bénéficier d'une visibilité sans précédent partout dans le monde. Mais cette visibilité a un prix, sous forme de commissions prélevées par les plateformes sur les réservations. On estime que les taux de commission s'élèvent entre 15 et 22 %, et représentent 4 à 5 % du chiffre d'affaires de l'hôtellerie française. Surtout, le secteur des plateformes de réservation est très concentré : le groupe Booking représenterait environ deux tiers du marché en Europe, contre 16,6 % pour le groupe Expedia et 9 % pour Hôtel Reservation Service (HRS). En conséquence, les hôteliers font face à des acteurs qui disposent d'une puissance économique très importante, et se retrouvent dans une situation assez analogue à celle des consommateurs à qui l'on impose des contrats d'adhésion. C'est d'ailleurs sur le sujet très sensible des clauses de ces contrats conclus entre les hôteliers et les plateformes de réservation en ligne que nous avons légiféré.

Je rappelle que les plateformes imposaient des clauses dites de parité, imposant aux hôteliers des tarifs, des disponibilités et des conditions commerciales au moins aussi favorables que celles proposées sur les plateformes concurrentes et sur l'ensemble des autres canaux de distribution. De telles clauses avaient pour effet de réduire la concurrence entre les plateformes, de dresser une barrière pour les nouveaux entrants sur le marché et enfin de réduire la liberté des hôteliers dans la fixation de leurs prix. Intervenant presque concomitamment à l'Autorité de la concurrence, le législateur a imposé aux plateformes le recours au mandat dans leurs relations avec les hôteliers et, surtout, il a interdit les clauses de parité tarifaire. Nous avons donc redonné aux hôteliers, y compris sur leur propre site internet, la liberté tarifaire à laquelle ils avaient dû renoncer. Je rappelle que ces dispositions, qui font l'objet de l'article 133 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, ont été introduites par voie d'amendement à l'initiative du Président Jean Claude Lenoir.

D'après nos auditions, ce nouveau cadre législatif a incité les hôteliers à mieux maîtriser leur politique commerciale et probablement contribué à une relative stabilisation du montant des commissions d'intermédiation. Surtout, il a été plusieurs fois souligné que ces dispositions ont permis aux hôteliers et aux plateformes d'améliorer leurs relations. Mais il n'est pas certain qu'il en soit résulté un rééquilibrage significatif du rapport de force économique.

Cette mesure apparaît donc comme globalement satisfaisante mais il paraît nécessaire de consolider l'approche française à travers l'adoption d'une réponse au niveau européen. La régulation des relations entre les plateformes en ligne et les professionnels fait l'objet d'une récente proposition de règlement « promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne » et l'exposé des motifs de ce texte mentionne explicitement la question des clauses de parité tarifaire, ce qui nous semble aller dans le bon sens.

Par ailleurs, il convient de poursuivre la sensibilisation des professionnels du secteur à la réservation en direct. Elle reste prédominante en France mais certains professionnels sont toujours dans une situation de dépendance vis-à-vis des plateformes en ligne.

J'en viens à la seconde mutation à laquelle nous nous sommes intéressés : l'essor d'une nouvelle offre d'hébergement touristique suscitée par le numérique. Certes, les locations touristiques de courte durée sont un phénomène ancien mais internet et les plateformes comme Airbnb ou Abritel ont, en premier lieu, suscité une massification de l'offre globale qui porte aujourd'hui sur 800 000 meublés en France. Ensuite, on constate une mutation géographique : alors que les meublés de tourisme étaient traditionnellement localisés surtout en montagne et dans les stations balnéaires, ils sont aujourd'hui majoritairement dans les grandes agglomérations. Ainsi, en région parisienne, le nombre de lits en meublés de tourisme dépasserait le nombre de lits proposés par les hôtels. Enfin, alors que le meublé de tourisme constituait auparavant un logement dédié à cette activité, et donc exercée à titre professionnel, ce sont à présent des particuliers qui proposent à la location leur résidence principale ou leur résidence secondaire.

Vos rapporteures estiment que cette nouvelle offre présente plusieurs avantages : elle favorise l'attractivité touristique de notre territoire, répond à la demande d'hébergements et permet aux loueurs particuliers d'obtenir un complément de revenu. De plus, si l'effet concurrentiel sur les hébergements touristiques traditionnels est relativement peu documenté, il est clair que, là où il existe un déficit des capacités d'hébergement, en particulier lors des grands événements, cette nouvelle offre est complémentaire à l'offre traditionnelle.

Par ailleurs, alors qu'on a tendance à se focaliser sur un seul opérateur, à savoir Airbnb, la concurrence est, en réalité, plus vive sur ce secteur - avec Leboncoin, Abritel, Selogervacances, les gîtes de France etc - que sur celui de la réservation hôtelière. On constate également que plusieurs plateformes interviennent sur les deux segments : ainsi Booking loue des meublés de tourisme et Airbnb développe son offre d'hôtels.

Le législateur est intervenu pour encadrer ce phénomène et permettre aux élus de se doter d'outils de régulation de l'offre de meublés de tourisme, en particulier là où se manifeste une tension entre l'offre et la demande de logement. En effet, des investisseurs peuvent estimer plus rentable de louer en meublé de tourisme plutôt que sur le marché locatif traditionnel. Un rapport d'inspection avait ainsi estimé, en 2016 que, sans réglementation, la rentabilité d'une location touristique de courte durée à Paris est 1,5 fois plus élevée que celle d'une location meublée et 2,6 fois plus élevée que la rentabilité d'une location nue. On estime que 20 000 logements ont ainsi été soustraits du marché locatif parisien traditionnel et 5 800 grâce à la seule plateforme Airbnb. Le ministère du logement estime également que ce type de location a un effet inflationniste sur les loyers. Je passe la parole à ma collègue pour vous présenter le bilan des mesures qui ont été prises.

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