Intervention de Brune Poirson

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 20 juin 2018 à 9h30
Économie circulaire — Audition de Mme Brune Poirson secrétaire d'état auprès du ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire

Brune Poirson, secrétaire d'État :

Monsieur le président, je vous remercie de m'accueillir parmi vous, pour la première fois en effet, et je me réjouis de débattre de la question de l'économie circulaire avec les sénateurs, qui sont des élus proches des territoires.

Quelques chiffres pour commencer : en France, nous produisons chaque année 5 tonnes de déchets par habitant et le taux de valorisation des déchets ménagers atteint 39 % contre 65 % en Allemagne et 50 % en Belgique. Vous le voyez, les performances sont très différentes, à seulement quelques kilomètres de distance... Le taux de collecte des bouteilles en plastique s'élève à 55 % en France contre 90 % dans les pays nordiques.

La France obtient donc des résultats moyens, que certains qualifient même de mauvais. Qui plus est, alors que notre pays était plutôt moteur sur ces questions dans les années 1990, période où nous sommes passés d'un système visant à assurer l'hygiène et la salubrité publiques à une logique industrielle, les statistiques montrent que les choses ne s'améliorent plus et que nous plafonnons. La France a été le premier pays à lancer le système innovant de la responsabilité élargie des producteurs, la « REP », sur les emballages ménagers, qui a été repris par plusieurs pays européens. Mais maintenant, nous plafonnons !

La feuille de route sur l'économie circulaire que je viens vous présenter vise à dépasser ce plafond, à opérer un basculement, à bouleverser les équilibres. Pour cela, il faut définir clairement les objectifs et mettre en place des outils puissants et concrets pour qu'ils soient efficaces. Cette feuille de route doit enclencher un mouvement qui implique nos concitoyens afin que la question des déchets soit une préoccupation quotidienne pour tous.

Pour engager cette dynamique, nous avons la chance d'avoir un Président de la République, qui...

Plusieurs sénateurs de différents groupes. - Ah !

Je suis heureuse de voir que vous partagez mon enthousiasme !

Nous avons donc la chance d'avoir un Président de la République qui a annoncé des objectifs ambitieux durant la campagne électorale, notamment celui de 100 % de plastique recyclé d'ici 2025 et celui d'une réduction de moitié de réduire de moitié de la mise en décharge. Ces objectifs reprennent - il faut avoir l'humilité de le dire - ceux fixés dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Fixer des objectifs ambitieux représente déjà un dixième du chemin à parcourir, mais enclencher la phase de mise en oeuvre est le plus difficile. Nous devons modifier profondément la perception que nous avons d'un déchet, car nous devons le penser comme une ressource. Pour cela, il faut réfléchir, en amont, à la manière dont il pourra être réutilisé. Je fais parfois une comparaison ; il faut penser à un produit en termes de « karma » : on le fabrique, on le consomme et, ensuite, il se réincarne en autre chose.

Le Premier ministre a présenté cette feuille de route le 23 avril dernier, ce qui montre l'importance de ce sujet dans l'agenda politique du Gouvernement. En effet, en voulant transformer la manière d'appréhender les déchets, nous touchons à la compétitivité de la France comme à l'écologie du quotidien.

La feuille de route est le fruit d'une large concertation. Le démarrage a été difficile, parce qu'il fallait expliquer le besoin profond d'ouvrir ce chantier et d'aller plus loin, alors même que le système de la REP fonctionnait - ronronnait, devrais-je dire ! - depuis de nombreuses années. Ainsi, nous avons mis en place un comité de pilotage, des ateliers se sont réunis pendant six mois et un rapport a été confié à un expert, Jacques Vernier, sur l'avenir des filières à responsabilité élargie des producteurs.

Vous le voyez, la méthode du Gouvernement est toujours la même. Nous l'avons utilisée pour la réforme de la SNCF ou Notre-Dame-des-Landes : objectiver la situation, rationaliser le problème et dégager, sans a priori idéologique, des pistes concrètes de transformation.

La feuille de route repose sur quatre axes structurants : mieux produire ; mieux consommer ; mieux gérer nos déchets ; mobiliser tous les acteurs sur l'ensemble du territoire - c'est notamment à ce titre que vous avez un rôle particulier à jouer.

Durant les six mois de concertation, nous avons constaté un intérêt croissant de l'opinion publique pour l'économie circulaire ; nos concitoyens sont sensibles aux questions de déchets et de gaspillage. D'ailleurs, les contributions et connexions au site internet ont été particulièrement nombreuses, il faut le noter.

Pour autant, la transition ne se fera pas spontanément, nous avons besoin de la mobilisation de chacun, notamment des collectivités territoriales. De son côté, l'État doit mener une action volontariste, créer un cadre incitatif et, c'est crucial, structurer les filières de production. C'est le seul moyen d'enclencher un cercle vertueux, qui passe par la collecte, le recyclage et la création de débouchés pour les matières recyclées. Nos efforts doivent donc porter sur toute la chaîne, de l'amont à l'aval, et être répartis de manière équilibrée entre tous les acteurs. C'est pourquoi la feuille de route contient 50 mesures phares, que nous avons présentées en même temps.

Je ne vais pas citer l'ensemble des mesures, mais je vais prendre quelques exemples.

Nous voulons lutter contre la double arnaque que constitue la durée de vie limitée des produits, l'obsolescence programmée. Je parle de double arnaque, parce qu'elle affecte le portefeuille des Français et est en même temps néfaste pour la planète. Pour mieux protéger les consommateurs, en particulier les plus modestes, nous voulons notamment mettre en place un indice de réparabilité des produits. C'est une mesure très importante pour nos concitoyens.

Nous voulons aussi lutter contre l'arnaque liée à l'extension des garanties. Pour cela, nous devrons mobiliser nos partenaires européens et étendre la durée actuelle qui est de deux ans.

Nos concitoyens doivent jouer un rôle actif dans l'économie circulaire et je suis persuadée qu'ils sont prêts à le faire, contrairement à ce que certains pourraient parfois laisser croire. C'est pourquoi nous voulons faciliter le geste de tri, par exemple en harmonisant les couleurs des poubelles d'ici 2022. Aujourd'hui, ces couleurs varient d'une commune à l'autre, ce qui empêche le développement d'automatismes. Nous voulons aussi mettre en place des systèmes de consignes solidaires pour faciliter la collecte et le recyclage des bouteilles et emballages plastiques, ainsi que des canettes.

Il nous faut avancer de manière plus résolue vers une écoconception des produits grâce à la mise en place d'un système de bonus-malus, une telle modulation permettant d'envoyer un véritable signal sur les prix.

La feuille de route repose également sur un ensemble de mesures fiscales. Nous sommes aujourd'hui dans une situation absurde, puisqu'il est moins cher de mettre en décharge que de recycler, alors même que les ressources de la planète s'épuisent. C'est pourquoi il faut changer les signaux économiques adressés aux différents acteurs. Certes, les taxes de mise en décharge et d'incinération ont été réformées en 2016, mais l'effet a été faible sur les investissements et nous sommes encore loin de ce qui se pratique chez nos partenaires européens.

J'entends parfois des inquiétudes, mais notre objectif n'est pas d'alourdir la pression fiscale. Il s'agit plutôt de la répartir autrement, de manière cohérente avec nos objectifs de politique publique. Cela nécessitera du temps. Si nous voulons changer le système de manière durable, nous ne devons pas brutaliser les collectivités ou les entreprises, qui doivent avoir le temps de s'adapter.

Nous voulons améliorer la gouvernance du système de gestion des déchets de façon à le rendre plus efficace. Cela passe en particulier par une refonte des filières REP et une extension de ces filières aux jouets et aux articles de sport et de jardinage. Nous voulons simplifier la gestion des éco-organismes et leur fixer des objectifs en termes de résultats plutôt que de moyens.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est maintenant que tout commence ! Une fois les objectifs définis, les grandes lignes tracées, il faut se mettre concrètement en route et déployer rapidement les mesures annoncées. Depuis la présentation de la feuille de route par le Premier ministre le 23 avril, nous avons continué de travailler et le comité de pilotage que nous avions mis en place pour la concertation se réunira à nouveau dès le 23 juillet afin de définir un calendrier précis de mise en oeuvre. Ces mesures nécessitent un important travail administratif, certaines devront trouver une traduction législative ; en tout état de cause, nous profiterons aussi de la transposition de la directive déchets.

En ce qui concerne la fiscalité, j'ai d'ores et déjà présenté les grands axes de la feuille de route et des chiffres concrets à la Conférence nationale des territoires. Notre objectif est de rendre neutre pour les collectivités l'effort de bascule vers une politique de tri et de valorisation plus efficace.

Je dois aussi vous dire que le mouvement que nous avons créé en France, notamment grâce aux groupes de travail que nous avons réunis, suscite beaucoup d'intérêt au niveau européen.

Certaines propositions vont être mises en oeuvre dans des délais courts, comme l'incorporation de matières premières recyclées, la gestion des décharges sauvages et des déchets du bâtiment, les nouvelles filières REP, la collecte des biodéchets, l'information du consommateur...

Je peux aussi vous assurer que, d'ici le 2 juillet, les industriels auront pris des engagements volontaires concernant les volumes de plastique recyclé incorporé dans leurs produits : il est essentiel que les matières plastiques recyclées trouvent des débouchés.

J'annoncerai la semaine prochaine à Nancy, à l'occasion du World Materials Forum, d'autres initiatives relatives à la gestion des plastiques et nous publierons un plan national de gestion des ressources, en particulier pour celles qui sont critiques. La question de la rareté des ressources montre que l'économie circulaire constitue un enjeu à la fois en termes de protection de l'environnement et de compétitivité pour la France. Je crois que nous devrions mettre en place, comme pour l'énergie, une programmation pluriannuelle en matière de ressources.

Les premières expériences de consignes solidaires commenceront dès le mois prochain sur des territoires pilotes que nous avons identifiés. Nous souhaitons ainsi renforcer notre capacité à mieux collecter les emballages alimentaires, en récompensant cette collecte par l'abondement d'une grande cause.

Par ailleurs, j'ai convoqué les industriels du tabac pour avancer sur la question de la lutte contre la pollution des mégots ; ils doivent me proposer des mesures très concrètes à la fin de l'été.

En conclusion, je dois vous dire que nous avons besoin de vous pour faire vivre cette feuille de route de l'économie circulaire, car il est très important d'identifier toutes les initiatives locales. Il y a urgence. Nous nous sommes engagés à sortir d'une économie linéaire, ce qui représente une profonde transformation de notre société et nécessite d'associer étroitement l'ensemble des Français.

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