Intervention de Laurent Lafon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 juin 2018 à 9h10
Communication de la mission d'information sur l'état du système éducatif en guyane

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon :

Avant de vous présenter nos recommandations, je souhaiterais revenir sur un constat qui nous a particulièrement marqué : il s'agit du décalage entre les priorités du Gouvernement en matière éducative - le dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et en REP+ (qui concerne toute la Guyane puisque l'académie entière est quasiment en classée REP+) et l'abaissement à trois ans de l'obligation d'instruction - et les possibilités de leur réalisation en Guyane, alors qu'il s'agit d'un des territoires qui en a le plus besoin.

Le coeur de notre diagnostic est que la transposition du modèle scolaire de la métropole ne permet pas de répondre aux enjeux du territoire. Ce dernier ne prend pas en compte, ou insuffisamment, les enjeux que sont l'immigration et les mobilités, les langues et les cultures locales, les contraintes liées à la distance, etc.

Ce modèle scolaire, c'est là notre thèse, doit être adapté à ces réalités, sans quoi les efforts consentis seront vains. Il s'agit, pour que l'éducation demeure nationale, de l'adapter davantage aux spécificités de la Guyane. Les recommandations que nous vous présentons sont toutes fortement liées : elles doivent s'inscrire dans une réflexion systémique.

C'est le sens de notre première recommandation, qui vise à remédier à la pénurie d'enseignants et mieux former ces derniers à la réalité du métier d'enseignant en Guyane. Le parti pris est simple : c'est en Guyane et parmi les Guyanais eux-mêmes qu'il faut recruter et former les enseignants qui iront enseigner, de manière pérenne, dans l'arrière-pays et qui auront la connaissance indispensable des langues et des cultures locales.

Beaucoup de nos préconisations vont dans ce sens : intensifier le prérecrutement, fidéliser et, sous condition de formation, titulariser les contractuels et les intervenants en langue maternelle, adapter la formation des enseignants au contexte local. La même idée nous mène à proposer l'expérimentation d'un recrutement académique des enseignants du second degré, en explorant d'autres modalités de service comme la bivalence, ce qui permettrait l'exercice de services complets dans les établissements isolés et de rapprocher les services de ceux des professeurs de lycée de professionnel. Enfin, l'amélioration de la condition enseignante est nécessaire ; plus que sur la rémunération, déjà élevée et dont la majoration alimente la cherté de la vie et nuit à l'économie locale, c'est sur des éléments comme le logement ou la qualité de vie qu'il convient d'agir.

Notre deuxième recommandation porte sur la qualité de la vie scolaire des élèves : beaucoup d'écoles n'ont pas de service de restauration scolaire ni d'activités périscolaires. Alors que l'insécurité n'épargne pas les établissements scolaires, il convient d'accroître le nombre d'assistants d'éducation et de lever les obstacles à leur recrutement.

Dans l'idée d'une adaptation de l'organisation de l'éducation nationale, il conviendrait de renforcer l'autonomie du recteur, tant en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines qu'en matière pédagogique. Il s'agit de permettre l'adaptation des modalités de scolarisation ; par exemple, dans les villages et les hameaux isolés, il est impossible d'imposer aux enfants de trois ans de faire une à deux heures de pirogue pour se rendre à l'école. Une école itinérante, permettant de les initier dans leur village ou leur hameau trois à quatre demi-journées par semaine au français, pourrait être une solution.

La même logique doit gouverner aux programmes scolaires : ces derniers doivent être adaptés à l'environnement local, c'est déjà le cas en histoire mais, de manière surprenante, pas en sciences et vie de la terre. Il conviendrait également d'adapter les progressions pédagogiques et les objectifs de cycle, en mettant l'accent sur la maîtrise des fondamentaux. Il ne s'agit pas d'être moins exigeant pour les élèves mais au contraire de l'être davantage dans la maîtrise réelle des fondamentaux.

Le partenariat avec les collectivités territoriales est fondamental. Comme Jean-Claude Carle l'a rappelé, ces dernières ont le plus grand mal à accompagner la pression démographique. L'aide de l'État est indispensable et nous émettons le voeu que les engagements pris dans le cadre des accords de Guyane - l'attribution d'une aide de 250 millions d'euros sur cinq ans à la collectivité territoriale de Guyane pour la construction de collèges et lycées et de 150 millions sur dix ans aux communes pour la construction d'écoles - soient respectés. Nous souhaitons que ce partenariat soit décliné par convention avec l'ensemble des collectivités territoriales, qui sont concernées au premier chef, notamment en matière de qualité de vie scolaire.

Ce soutien ne doit pas être que financier : les normes en matière de bâti scolaire pourraient faire l'objet d'adaptations. Les écoles en chantier le sont dans le respect des normes ; les chantiers sont donc longs, coûteux et difficiles, surtout lorsque les matériaux doivent être acheminés par le fleuve ; de surcroît, l'environnement tropical entraîne une dégradation rapide des bâtiments. En comparaison, les écoles construites de manière traditionnelle sont, en plus d'être plus rapides à construire et nettement moins coûteuses, bien plus durables et plus saines : l'air y circule plus facilement. Là encore, souplesse et adaptation doivent être les maîtres mots.

L'enrichissement et la diversification de l'offre de formation paraît indispensable. Les formations, en particulier dans la voie professionnelle et l'enseignement supérieur, sont concentrées à Cayenne : trop de jeunes renoncent à poursuivre leurs études en raison de l'éloignement. L'absence de certaines formations, comme les écoles d'ingénieurs, alimente une « fuite des cerveaux » vers la métropole et une perte de talents pour la Guyane. Enfin, au vu des ressources et du potentiel de développement du territoire, on ne peut qu'être surpris par l'absence de d'offre dans certains domaines, notamment minier et halieutique, ou sa sous-calibration, par exemple dans les métiers du bois, de la biodiversité ou en matière sanitaire. Compte tenu de l'immensité du territoire, tout ne pourra pas être proposé partout : c'est pourquoi un effort particulier doit être fait pour faciliter la mobilité des étudiants, notamment par le développement des internats.

Enfin, dans un territoire où le taux de chômage des jeunes s'élève à 44 %, la question de l'entrée dans l'emploi est essentielle. À la maison familiale rurale (MFR) de Mana comme au lycée agricole de Matiti, nous avons pu nous rendre compte de la difficulté qu'éprouvent les jeunes diplômés à s'installer ; l'accès au foncier est en effet extrêmement difficile pour les agriculteurs. Nous proposons que l'État, qui possède 95 % du foncier guyanais, mène une expérimentation, en partenariat avec les collectivités et la chambre d'agriculture, visant à mettre à disposition ou en location des terres aménagées et valorisées au profit des aspirants agriculteurs.

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