Intervention de Denis Rapone

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 juin 2018 à 9h10
Audition de M. Denis Rapone président de la haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet hadopi

Denis Rapone, président de la Hadopi :

Je tiens à souligner que le Sénat a toujours été, avec la Hadopi, dans une forme d'impartialité et d'objectivité qui nous a constamment été précieuse, en particulier face aux critiques dont l'institution a été l'objet.

Dans le cadre de sa mission d'observation, la Hadopi dispose d'une expertise reconnue en France et à l'étranger. Elle peut participer, de manière objective, au débat public.

Je voudrais rappeler les grands principes de la réponse graduée qui vise à responsabiliser l'internaute. Elle n'intervient que pour les échanges dits « de pair à pair ». Les internautes reçoivent un courrier si leur adresse Internet Protocol (IP) trahit un manquement aux règles. Cette procédure est répétée trois fois, ce qui montre bien le caractère avant tout pédagogique de la celle-ci. Si, après trois avertissements, l'internaute persiste à télécharger de manière illégale, la Hadopi transmet le dossier au Parquet qui apprécie l'opportunité d'engager des poursuites. Si la procédure est souvent critiquée par les ayants droit, c'est principalement en raison de la partie judiciaire du processus qui ne donne souvent pas suite au signalement, ou de manière marginale.

Le problème du piratage reste préoccupant en raison de l'avancée des techniques. On estime que deux milliards d'actes de contrefaçon sont commis par an en France, ce qui est non seulement une atteinte à la création mais également un risque pour les internautes, notamment les plus jeunes, qui se trouvent confrontés à des contenus indésirables et s'exposent à des problèmes de sécurité informatique. Ce phénomène créé également une distorsion de concurrence avec les offres légales et une perte de recettes pour l'État.

La contrefaçon a pris une telle proportion qu'elle constitue désormais non seulement un trouble à l'ordre public, ordre public économique, social, mais également ordre public général, compte tenu des infractions en cause et des risques en matière de santé, d'honneur et de dignité. Ne pas s'y attaquer de manière frontale remettrait en cause la crédibilité de l'action publique.

Les difficultés rencontrées à l'origine par la Hadopi étaient liées au scepticisme et à la raillerie sur l'opportunité des missions qui lui avaient été confiées. Les dangers du piratage étaient sous-estimés dans un contexte de « diktat » du libertarisme de l'Internet au détriment de la protection des droits d'auteur. Toutefois, les mentalités ont évolué, notamment avec le développement de nouveaux contenus problématiques - cyberpornographie, cybersécurité, incitation à la haine raciale - qui ont renforcé la nécessité d'une régulation. La question se pose désormais de savoir ce qui peut être entrepris.

Tout d'abord, et au risque de décevoir certains, il n'existe pas de solution unique ni de solution miracle. Toutefois, plusieurs actions publiques et privées peuvent être menées, en collaboration avec les ayants droit et en coordination avec les initiatives prises aux niveaux européen - révision de la directive sur le droit d'auteur - et international.

Quatre axes doivent être privilégiés.

D'abord, la sensibilisation des usagers doit être renforcée. En effet, de nombreuses pratiques illicites sont liées à une méconnaissance des règles liées à la protection du droit d'auteur, notamment de la part des jeunes. L'éducation nationale a donc un rôle important à jouer afin d'éduquer et de sensibiliser les élèves sur ces questions.

Ensuite, il faut mener une action auprès des sites Internet qui diffusent des produits culturels et qui bénéficient d'une responsabilité limitée en matière de protection de droit d'auteur. Je veux parler des plateformes Internet comme YouTube, Twitter ou encore Facebook.

Par ailleurs, il faut s'allier avec les intermédiaires qui assurent le paiement en ligne, la publicité en ligne ou encore se chargent de l'hébergement des sites et qui sont indispensables au fonctionnement des sites pirates. Il faut arriver à les convaincre de rompre toute relation contractuelle avec lesdits sites afin de les « assécher » économiquement.

Enfin, nos actions doivent viser les sites illégaux. À cet égard, il nous faut d'urgence développer de nouveaux instruments juridiques pour lutter contre ces sources de production de contenus illicites dans la mesure où la réponse graduée est inopérante pour des raisons à la fois technique et juridique face aux nouvelles techniques de piratage telles que le téléchargement direct et le streaming.

En ce qui concerne le travail de pédagogie en direction des élèves, la Hadopi mène depuis plusieurs années et sans le soutien de l'État, des actions de formation à un usage responsable d'Internet à travers l'organisation d'ateliers en collaboration avec des enseignants volontaires. Plutôt que de tenir aux jeunes un discours anxiogène, nous les plaçons en situation de créateurs (films, bandes dessinées) puis organisons la diffusion de leur oeuvre au sein d'une classe ou d'un établissement. À cette occasion, nous les sensibilisons sur les effets négatifs de la captation de leur oeuvre par un tiers et de sa large diffusion sans accord préalable.

Je tiens à faire remarquer que nous avons négocié depuis plusieurs mois avec le ministère de l'éducation nationale une convention afin de renforcer les actions de sensibilisation de la Hadopi en milieu scolaire pour l'utilisation maîtrisée et responsable des outils et ressources numériques. Pourtant, cette convention peine à être signée par le ministère de l'éducation nationale. Sans cet engagement fort de l'État et une vraie volonté politique, les actions de la Hadopi resteront au stage du « bricolage ».

À l'heure actuelle, la nécessité d'informer les élèves des risques de téléchargement illégal figure dans le code de l'éducation mais elle est limitée au cadre de l'enseignement artistique. Dans le rapport d'information fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat par Loïc Hervé et Corinne Bouchoux, il était proposé de généraliser cette sensibilisation à tous les programmes scolaires. Cela me paraît indispensable.

Dans le cadre de la réponse graduée, la Hadopi mène également une stratégie de sensibilisation pédagogique des internautes avec des résultats très positifs : deux tiers des abonnés avertis par la Hadopi ne font plus l'objet de signalement de la part des ayants droit auprès de l'autorité, ce qui confirme la vertu de l'approche pédagogique. Par ailleurs, je rappelle que nous traitons 70 000 signalements par jour, ce qui justifie les sommes consacrées à la réponse graduée.

En réalité, l'approche pédagogique fonctionne bien. C'est la phase ultérieure - la transmission de l'infraction à l'institution judiciaire - qui comporte des limites. D'abord, la caractérisation de l'infraction est complexe dans la mesure où il ne s'agit pas d'un délit de contrefaçon, mais d'une négligence caractérisée du titulaire de l'abonnement qui n'a pas sécurisé l'accès à Internet. Pour justifier d'une infraction, l'internaute doit avoir fait l'objet de plusieurs avertissements. La Hadopi s'efforce de sensibiliser les parquets sur les préjudices causés par le piratage, notamment à travers l'organisation de tournées dans les juridictions. Pour autant, l'indépendance de la justice et le principe d'opportunité des poursuites aboutissent souvent à des solutions peu satisfaisantes pour les ayants droit, comme le classement des poursuites ou le rappel à la loi alors même que la Hadopi a déjà adressé trois avertissements à l'internaute.

Nous avons fait réaliser une étude juridique afin d'examiner les différentes possibilités pour faire évoluer le régime des sanctions, ce qui a permis d'identifier trois pistes : l'amende pénale forfaitaire, l'amende administrative - c'est la voie préconisée par le rapport de Loïc Hervé et Corinne Bouchoux - et la transaction pénale. Cette étude a permis d'établir qu'il n'y avait pas d'obstacle d'ordre constitutionnel au renforcement des sanctions même si dans ce domaine le risque zéro n'existe pas. Ces propositions sont aujourd'hui sur la table et à la disposition des pouvoirs publics.

Le deuxième élément concerne les plateformes qui sont, à l'image de YouTube, devenues le mode principal d'accès aux contenus culturels en ligne, notamment musicaux. Ces intermédiaires ont le statut de simple « hébergeur », leurs seules obligations consistent donc à devoir retirer promptement l'oeuvre protégée après signalement de la part des ayants droit. Il s'agit d'une pratique aléatoire car les ayants droit ne peuvent identifier l'ensemble des oeuvres protégées qui seraient illégalement mises en ligne. Certaines plateformes ont mis en place des systèmes de reconnaissance automatique des contenus. La plateforme doit se retourner ensuite vers les ayants droit pour savoir si ces derniers souhaitent retirer l'oeuvre identifiée ou s'ils souhaitent bénéficier d'un partage de la monétisation. La relation est toutefois déséquilibrée entre la plateforme et les ayants droit car la monétisation ne fait pas l'objet d'une véritable négociation et il s'agit davantage d'une offre « à prendre ou à laisser ». Cette situation rend nécessaire l'intervention d'une autorité publique pour vérifier la qualité du système de reconnaissance automatique et permettre, par ailleurs, un équilibre dans la relation contractuelle entre plateformes et ayants droit.

Il existe d'autres intermédiaires qui permettent au piratage d'exister comme les acteurs de la publicité en ligne, des moyens de paiement et des noms de domaine. Des chartes de bonnes pratiques ont été développées avec ces acteurs.

Il n'y a pas de recours possible aujourd'hui à la disposition des ayants droit. L'Hadopi pourrait ainsi être chargée de caractériser les sites contrevenants de manière plus efficace tout en garantissant une phase contradictoire. Le site concerné pourrait faire part de ses observations et aurait la possibilité de contester la décision devant l'autorité judiciaire.

Il faut acquérir de nouveaux moyens pour s'attaquer à ces sites. L'Hadopi bénéficie d'une compétence qui est importante et non utilisée jusqu'alors, afin de caractériser ces sites. Elle pourrait également jouer un rôle d'expert auprès des juges. L'article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle permet au juge d'ordonner à la demande des titulaires de droits et de leurs ayants droit, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. Cette procédure est toutefois coûteuse et complexe à mettre en oeuvre, notamment auprès des fournisseurs d'accès à Internet au regard du régime de la preuve. L'Hadopi propose d'alléger ce régime afin de permettre une action plus rapide et plus directe pour déréférencer les sites concernés. L'Hadopi pourrait également agir à l'encontre des sites « miroirs » et « répliques » dans le cadre d'une capacité de suivi ne nécessitant qu'une intervention réduite du juge.

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