Intervention de François Grosdidier

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 15 mai 2018 à 9h30
Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier, rapporteur :

Alors que nous en sommes au quatrième mois de nos investigations et de nos auditions, nous avons constaté la réalité d'une césure, je dirai même plus d'un divorce entre police et justice. Nous nous étions engagés dans ce travail sans préjugés, sans faire crédit aux lieux communs de l'opinion largement diffusés dans les médias, mais à entendre les policiers, à quoi j'ajoute les syndicats de magistrats que j'ai en l'occasion d'entendre sur comme rapporteur sur d'autres textes, on se demande comment le système tient encore et comment policiers et magistrats peuvent travailler ensemble.

Chez les policiers, chez les gendarmes, on sent, au-delà des difficultés matérielles et budgétaires auxquelles ils sont confrontés, une réelle interrogation sur le sens de leur engagement et de leur action, conduite dans des conditions de plus en plus difficiles, avec des risques physiques et juridiques accrus, pour des résultats qu'ils estiment décevants - même s'ils s'abstiennent, pour la majorité d'entre eux, de juger la justice.

On ressent, de fait, une incompréhension mutuelle. Nous savons que les magistrats se forment en faisant des stages dans des commissariats de police ou des unités de gendarmerie, mais ne pensez-vous pas qu'il faudrait bien plus pour que ces deux mondes s'interpénètrent ? Dans les parquets, les jeunes magistrats frais émoulus abordent la police et la gendarmerie avec des idées préconçues, quand les magistrats de plus de métier entretiennent des relations plus faciles. Ma première question est celle-là : comment améliorer les relations entre police, gendarmerie et justice et faciliter l'interpénétration des cultures ?

Ma deuxième question concerne la procédure pénale, dont les policiers et les gendarmes disent qu'elle absorbe les deux tiers de leur temps, ne leur laissant qu'un tiers de temps pour l'opérationnel. Si l'on se tourne vers des pays comparables au nôtre, on constate que les policiers et les gendarmes, en nombre équivalent, consacrent beaucoup plus de temps à l'opérationnel. En France, nous n'avons pas choisi entre l'inquisitoire et l'accusatoire, si bien que nous cumulons les inconvénients des deux systèmes ; et cela ne s'est pas arrangé ces dernières années. Alors que policiers et gendarmes mettaient beaucoup d'espoirs dans la réforme de la procédure pénale annoncée, ils sont déçus. Ils n'y trouvent pas la simplification qu'ils attendaient. Dans ma ville, le bureau de police croule sous les piles de dossiers. Et il en va de même dans tous les commissariats de France.

Les forces de sécurité intérieure ont formulé des propositions complémentaires de nature à simplifier leur travail. Je pense à l'oralisation de certains actes, dans le cadre des affaires simples, avec établissement d'un procès-verbal final de synthèse ; à la simplification du formalisme, via par exemple l'introduction, pour les affaires en flagrance, d'un procès-verbal unique des diligences ; à l'adaptation du régime des nullités, pour limiter notamment l'impact des erreurs de formalisme sur une procédure, fréquentes tant les règles applicables sont complexes. Quelles sont les raisons qui ont conduit le ministère à ne pas reprendre ces propositions ?

Ma troisième question porte sur la numérisation. Police et gendarmerie souffrent d'un grand retard dans la révolution informatique. Ne pourrait-on envisager la mise en place des logiciels communs aux forces de sécurité intérieure et aux parquets, ainsi que de liaisons vidéos permettant au magistrat ou au juge d'instruction d'assister à une audition des services de police judiciaire ? Cela faciliterait les relations et le partage en temps réel des évolutions de l'enquête.

Ma dernière question, enfin, concerne les tâches indues, qui pourraient relever de la police municipale, de l'administration pénitentiaire ou de la sécurité privée.

L'action du policier municipal est limitée par une qualification judiciaire des plus basses, celle d'agent de police judiciaire adjoint. Dès lors qu'une amende n'est pas forfaitaire, s'agît-il d'une simple contravention liée au non-respect d'un arrêté municipal d'interdiction de fréquentation d'un square après 22 heures, il faut que policiers ou gendarmes entendent les contrevenants ou, s'ils sont mineurs, leurs parents, pour que le dossier soit transmis au ministère public, car le policier municipal, aussi expérimenté fût-il, ne peut procéder à aucune audition.

Je n'ignore pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui avait censuré le rehaussement de la qualification judiciaire des policiers municipaux au motif, un peu surprenant, que les policiers nationaux étaient placés sous les ordres du Procureur de la République et les policiers municipaux sous ceux du maire. Mais dès lors que les uns ou les autres mettent en oeuvre une prérogative de police judiciaire, ils sont, de toutes façons, subordonnés au Procureur de la République. La loi pourrait le préciser, en indiquant même qu'ils sont subordonnés à l'officier de police judiciaire territorialement compétent, habilité par le Procureur. C'est d'ailleurs ainsi que cela se passe dans la réalité. Un rehaussement de la qualification des policiers municipaux, au moins dans le cadre de la réglementation municipale ou du code de la route allègerait considérablement les forces de l'ordre.

S'agissant de la sécurité privée, il existe certainement des pistes à développer, mais cela relève peut-être davantage du ministère de l'Intérieur.

En ce qui concerne, enfin, l'administration pénitentiaire, où en est-on du transfèrement ? Alors que des moyens ont été dévolus à la Justice afin qu'elle s'en charge, les progrès, sur le terrain, restent très lents. Les unités de police ou de gendarmerie qui ont une maison d'arrêt dans leur secteur se disent au reste sollicitées par l'administration pénitentiaire pour des incidents à l'intérieur des murs. La loi de sécurité publique a accru les prérogatives de celle-ci, mais on a le sentiment que la Chancellerie est réticente - elle n'a d'ailleurs pas voulu prendre en charge le périmètre immédiat, ce qui renvoie la responsabilité de l'action à la police nationale et la gendarmerie pour mettre fin aux jets d'objets ou aux conversations par-dessus le mur. Bref, nos forces de l'ordre sont toujours amenées à intervenir dans les prisons : ne pourrait-on envisager de doter certains agents de l'administration pénitentiaire de prérogatives de police judiciaire, pour éviter que celle-ci ne soit amenée à solliciter, pour des faits souvent mineurs, les forces de sécurité intérieure ?

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