Intervention de Nicole Belloubet

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 15 mai 2018 à 9h30
Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, un « divorce » entre police et justice. Je comprends que vous faites état d'un propos que vous avez entendu, mais comme garde des sceaux, je m'inscris en faux contre ce propos. Nous sommes très loin de cet état d'esprit. Avec Gérard Collomb, nous sommes au contraire animés d'un état d'esprit de collaboration et d'intercompréhension et d'évolution réciproque.

Nous connaissons bien, au ministère, le malaise des forces de sécurité, et c'est pourquoi, dans le cadre des cinq chantiers de la justice lancés en octobre dernier par le Premier ministre, j'avais souhaité que l'un soit consacré à la procédure pénale. Ce chantier, piloté par MM. Jacques Beaume et Franck Natali, est conduit avec les forces de sécurité intérieure. J'ai participé, à plusieurs reprises, à des rencontres entre magistrats et forces de sécurité intérieure ; à Amiens, où nous nous sommes rendus avec Gérard Collomb, les uns et les autres ont exposé leurs souhaits, leurs attentes, et donné corps à ce dialogue institutionnel dont nous voulons être porteurs.

Je ne suis pas naïve pour autant et sais que la présence de ministres à de telles rencontres ne facilite pas l'expression de ce qui est réellement ressenti, mais il reste que ces rencontres ont témoigné d'une écoute, d'un dialogue, et donné lieu à des propositions.

Outre votre souci de voir s'approfondir l'échange des cultures entre les institutions, sur lequel je reviendrai, vous avez évoqué la question de la procédure pénale, dans une perspective d'amélioration du fonctionnement de la chaîne pénale, et celle des tâches indues, sur lesquelles vous souhaitez une clarification.

On constate effectivement une désaffection pour la mission de police judiciaire au sein de la police ou de la gendarmerie nationales, souvent imputée à la technicité, à la complexité de la procédure pénale. Vous vous faites le porteur du reproche que l'on entend parfois formuler sur les propositions du texte que je serais amenée à défendre dans les prochains mois ne seraient pas assez ambitieuses. Il faut le dire clairement : les travaux que nous avons conduits n'aboutiront pas à une refonte du code de procédure pénale. Un tel travail ne pouvait être conduit en quelques mois. Avec Gérard Collomb, nous nous sommes donc accordés sur l'idée de conduire des réformes pragmatiques, venues du terrain, permettant de dénouer une certaine complexité lourde à porter pour les services d'enquête et les magistrats.

L'enquête pénale a pour objectif le recueil de preuves et la recherche de la vérité grâce au recours, en tant que de besoin, à des instruments coercitifs que sont la garde à vue, les perquisitions, etc, sous le contrôle des magistrats, gardiens, aux termes de l'article 66 de la Constitution, des libertés individuelles.

La procédure pénale doit, à ce titre, concilier l'intérêt social et l'intérêt individuel, la recherche des preuves mais aussi la protection contre l'arbitraire. C'est dans cet équilibre que nous avons construit le projet de réforme que je vous présenterai.

Nous savons que les auteurs d'infractions sont sans cesse à la recherche d'une plus grande « discrétion » et n'hésitent pas à recourir à de nouveaux moyens de déjouer la surveillance mise en place par les enquêteurs. Face à des délinquants qui peuvent avoir recours à des modes opératoires toujours plus astucieux, notamment grâce aux nouvelles technologies, les investigations s'inscrivent, en pratique, dans un temps nécessairement long et requièrent de plus en plus le concours et l'expertise de services techniques.

Dans ce contexte, et y compris face à la délinquance du quotidien, l'enquête pénale peut apparaître contraignante, fastidieuse, d'où une forme de désaffection. Mais c'est aussi la raison pour laquelle, dans le respect des exigences conventionnelles et constitutionnelles, la philosophie globale de projet de loi à venir va à la recherche de la simplification, dans un souci de pragmatisme et d'écoute des praticiens de terrain. Nous avons beaucoup consulté, adressé des questionnaires à toutes les juridictions, ainsi qu'au ministère de l'Intérieur, qui les a répercutés sur l'ensemble des forces de police et de gendarmerie. Nous avons également consulté les professions du droit - avocats, greffiers, notaires. Jacques Beaume et Franck Natali ont analysé ces remontées du terrain, et les ont synthétisées dans le rapport qu'ils m'ont remis en janvier. Ils ont eux même été conduits à entendre les syndicats de police et de gendarmerie, les conférences des procureurs, les représentants des différentes professions. C'est sur le fondement de ce travail de consultation que nous avons rédigé le projet de loi, un texte à mon sens équilibré, pour plus d'efficacité et de rapidité des enquêtes, tout en veillant à ce que celles-ci se fassent toujours dans le respect des libertés dont les magistrats sont les garants.

Ces mesures de simplification portent sur cinq priorités. Le projet vise en premier lieu à renforcer l'efficacité de l'enquête pénale en harmonisant les techniques d'enquête. En l'état du droit chaque technique spéciale d'enquête répond à un régime particulier, avec des dispositions différentes qui nécessitent, de la part des enquêteurs et des magistrats, la réalisation d'analyses juridiques parfois complexes pour déterminer la norme applicable, sa portée, son adéquation avec une procédure donnée. Pour simplifier le cadre juridique actuel, le projet que je vous présenterai unifie le régime juridique applicable aux techniques spéciales d'enquête, de sonorisation, de captation d'images, de recueil des données techniques de connexion et de captation de données informatiques. Il prévoit une harmonisation de leurs conditions d'autorisation de durée de mise en oeuvre et de conservation. Afin d'accroître l'efficacité des enquêtes, cette disposition ouvre également la possibilité de recourir à ces techniques spéciales d'enquête pour les crimes et non plus seulement pour les infractions qui relèvent de la criminalité de la délinquance organisée. Le projet simplifie et renforce également la cohérence des dispositions relatives aux interceptions par la voix de communications électroniques et de géolocalisation.

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