Intervention de François Grosdidier

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 16 mai 2018 à 14h20
Audition de Mm. Michel delPuech préfet de police de paris thibaut sartre préfet secrétaire général pour l'administration de la préfecture de police de paris frédéric dupuch directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne christian sainte directeur régional de la police judiciaire éric belleut directeur adjoint de l'ordre public et de la circulation philippe dalvavie conseiller technique chargé des affaires juridiques lucas demurger conseiller technique chargé de la prospective au cabinet du préfet denis safran conseiller technique professeur agrégé de médecine chargé des questions de santé en matière de sécurité intérieure

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier, rapporteur :

Comme l'a rappelé le président, notre commission d'enquête a été mise en place après la vague de suicides au sein de la police nationale et l'expression, hors champ syndical, d'une colère spontanée qui a surpris la représentation nationale et, peut-être, aussi la hiérarchie. Nous souhaitons donc identifier les causes de ce malaise et tenter d'esquisser des propositions et des solutions.

Quelles mesures sont mises en oeuvre pour prévenir les risques psychosociaux dans la police nationale ? La préfecture de police de Paris s'inscrit-elle dans la même politique que la direction générale de la police nationale, pour laquelle un premier plan de prévention des risques psychosociaux (PPRPS) avait été élaboré lorsque M. Bernard Cazeneuve était ministre de l'Intérieur ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises par la préfecture de police ?

Nombre de personnes auditionnées à ce jour ont fait état d'un malaise particulier sur la « plaque parisienne », qui couvre beaucoup de secteurs réputés sensibles, avec de fortes tensions entre les forces de l'ordre et une fraction de la population, où le décalage est le plus grand entre effectifs théoriques et effectifs réels, où les personnels - parfois même les encadrants - sont les plus jeunes. Il ne semble pas que ce problème soit en voie de résolution, puisque même si les recrutements compenseront les déficits, la probabilité est forte que les promotions ainsi recrutées et formées quitteront rapidement la plaque parisienne pour aller en province. Comment pensez-vous réussir à faire en sorte que les effectifs réels correspondent aux effectifs théoriques et comprennent des personnels plus expérimentés ? Des mesures sont-elles à l'étude pour créer des éléments d'attractivité, notamment à travers la rémunération des fonctionnaires qui accepteront une affectation en région parisienne ?

L'accès au logement constitue une difficulté supplémentaire, qui nous a été décrite par des policiers eux-mêmes. Elle concerne notamment les personnels qui sortent d'école ou qui ont déjà une famille. Dans la gendarmerie, bien que les locaux soient souvent vétustes, ce problème ne se pose pas. Au cours de précédentes auditions, il nous a été indiqué que sur 2 500 demandes de logement, 1 500 étaient traitées de manière satisfaisante. Parmi les auteurs des 1 000 restantes, certains doivent se loger dans les pires conditions, ce qui crée un malaise chez les policiers entrants dans le métier et nuit à l'attractivité de la plaque parisienne. Des solutions sont-elles envisagées ? Y a-t-il des partenariats avec les collectivités territoriales ou des bailleurs ? Dans le système du bail social, éventuellement sur contingent réservataire, le locataire relève du droit commun, à la différence d'un logement de fonction. Sur les 25 000 logements du contingent réservataire, combien restent occupés par des policiers qui pourraient se loger ailleurs, voire par des retraités ?

J'en viens à ce qu'on appelle la « politique du chiffre ». La commission a entendu beaucoup de gradés de la police et de syndicalistes, qui avaient tous prêté serment, et elle n'arrive pas à savoir qui a raison : ceux qui affirment qu'une telle politique n'a jamais existé, ceux qui expliquent qu'elle a existé mais n'existe plus, ou ceux qui disent qu'elle perdure. Ce qui est certain, c'est que la base et le sommet n'en ont pas la même perception. Nous voulons donc savoir si la « politique du chiffre » existe et, le cas échéant, quelles en sont les modalités. Les objectifs quantitatifs sont-ils définis de manière parfois quelque peu absurde au regard de leur utilité réelle ou s'agit-il d'un fantasme imaginé par certains policiers ? Parce qu'il est légitime d'avoir une exigence de résultat, détermine-t-on des critères un peu plus qualitatifs que quantitatifs ?

On sent qu'il y a une crise morale beaucoup plus forte au sein de la police nationale que de la gendarmerie, alors que les conditions d'exercice, tant matérielles que juridiques, sont les mêmes. Les difficultés liées au sous-équipement ou à la vétusté des locaux sont identiques, les interrogations sur le sens de l'action en l'absence de réponse pénale adaptée sont partagées, ... Les raisons de la différence d'état d'esprit ne s'expliquent pas par le statut militaire des gendarmes : les compagnies républicaines de sécurité, qui ont un statut civil, ne connaissent pas cette crise. Au sein de la gendarmerie nationale, il y a un esprit de corps, un général considérant comme un camarade un gendarme auxiliaire ou un brigadier, alors que les trois corps de la police nationale développeraient plutôt un esprit de caste. Les commissaires et, moins encore, les préfets ne souffrent à aucun moment de leur formation ou de leur carrière aux côtés des policiers qu'ils doivent diriger ; ils ne partagent pas les mêmes conditions. Au fil des auditions et des déplacements sur le terrain, cette problématique, qui peut sembler secondaire, s'est révélée être un élément important du malaise des policiers.

Comment rapprocher les formations initiales et continues entre les trois corps afin, notamment, de former les commissaires dans des conditions plus proches de celles des agents qu'ils auront à commander ? Concernant le management, il a été déploré devant la commission d'enquête que les « meneurs d'hommes » d'autrefois aient disparu au profit des « gestionnaires », en raison de la formation qu'ils reçoivent, mais aussi des contraintes nouvelles qui leur sont imposées. Le « meneur d'hommes » devient le marginal ; le gestionnaire est la norme. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet.

Par ailleurs, pensez-vous que la formation technique initiale des policiers les prépare à ce qu'ils pourront trouver sur le terrain, c'est-à-dire parfois des scènes de terrorisme ou une violence qui peut leur être incompréhensible ? Les personnels sont-ils également accompagnés lorsqu'ils y sont confrontés ? La délinquance et la société étant évolutives, comme le montre le développement de l'enregistrement vidéo d'interventions policières au moyen de téléphones portables, la formation continue prend-elle en compte ces transformations ?

Ma question suivante porte sur la police de sécurité du quotidien (PSQ), qui ne concerne peut-être qu'à la marge la préfecture de police de Paris. Il a été considéré qu'une police déconcentrée, jouissant localement d'une plus grande autonomie, pouvait mieux répondre à la demande de terrain, qui est parfois, en province, prise en charge par la police municipale. Quel est votre avis sur cette déconcentration ?

Par ailleurs, tout le monde conviendra qu'il est très bien de renforcer les contacts entre la police nationale, les élus, les institutions et la population, mais si on sanctuarise ce « temps de contact » à effectifs et volumes horaires constants, cela ne se fera-t-il pas au détriment du temps d'intervention et d'investigation ? L'expérimentation de la police de proximité, sur laquelle j'avais travaillé, a montré que sans une augmentation des moyens, les renseignements supplémentaires collectés ne pouvaient pas être traités, faute de ressources ; le résultat était donc très décevant. Ne risque-t-on pas d'observer la même chose avec la police de sécurité du quotidien ?

Pour disposer de personnel, de temps de travail supplémentaire, on imagine qu'on pourrait économiser sur la procédure pénale et les tâches administratives, et renforcer le déploiement sur le terrain. On commence à connaître les projets du gouvernement en ce qui concerne la réforme du code de procédure pénale. Pensez-vous que ce qui est envisagé suffise pour gagner du temps de travail de policiers et redéployer ceux-ci sur le terrain ? Y a-t-il d'autres pistes pour alléger la procédure pénale, que ce soit au travers du code de procédure pénale ou par le recours à de nouveaux moyens techniques et logiciels ? Les policiers et les citoyens n'aspirent qu'au redéploiement des effectifs sur le terrain.

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