Intervention de Arthur Melon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 7 juin 2018 : 1ère réunion
Audition du conseil français des associations pour les droits de l'enfant cofrade

Arthur Melon, responsable du pôle plaidoyer de l'association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) :

Bonjour. L'APCE ne s'intéresse pas uniquement à la prostitution des mineurs, malgré son intitulé. Elle s'intéresse également à tous les types de violences sexuelles faites aux enfants.

L'ACPE a été une association pionnière dans la dénonciation de l'exploitation sexuelle des enfants, par exemple à travers le tourisme sexuel impliquant des enfants. À cette époque, il y a trente ans, ce sujet était largement méconnu.

Les missions de l'association n'ont jamais été des missions de terrain. Nous menons plutôt des actions de plaidoyer, de sensibilisation et de communication. Nous engageons aussi des actions en justice en nous constituant partie civile, ce qui a nourri notre réflexion sur ce dossier. Depuis 2010-2012, l'ACPE se concentre davantage sur la question de la prostitution des mineurs en France, sur laquelle il reste un travail considérable à effectuer. Nous souhaiterions vous soumettre aujourd'hui des propositions relatives à cette problématique.

Nous aimerions tout d'abord vous exposer les raisons pour lesquelles, selon nous, le projet de loi présenté par Marlène Schiappa et la proposition de loi présentée par Marie Mercier soulèvent des difficultés et ne répondent pas tout à fait aux problématiques qui se posent aujourd'hui. Nous aborderons ensuite les solutions que nous avons envisagées et vous expliquerons également quelles autres dispositions nous suggérons au Sénat.

Pourquoi estimons-nous que ces deux textes posent problème ? Comme de très nombreuses associations, nous attendions l'instauration d'un âge de consentement, qu'il soit fixé à quinze ans ou à treize ans. Nous aurions en effet souhaité qu'en dessous d'un certain âge, il n'y ait aucun débat sur le fait de savoir si le mineur en question était consentant pour l'acte sexuel avec une personne majeure. Or la formulation des deux textes laisse une marge d'appréciation au juge.

En premier lieu, cette formulation porte encore et toujours l'attention sur le comportement de la victime. La victime sera donc obligée de se justifier, alors que cela devrait incomber à l'auteur des faits. Nous estimons qu'un enfant de dix ou douze ans n'a pas à expliquer la raison pour laquelle un acte sexuel a eu lieu avec une personne majeure.

En second lieu, des disparités de traitement des dossiers risquent d'exister selon les tribunaux et selon les juges. Pour nous en convaincre, il suffit de se demander quelles auraient été les décisions de justice à Meaux et à Pontoise si l'un de ces deux textes avait été adopté : cela n'aurait rien changé ! Ainsi, nous étions partie civile dans l'affaire de Pontoise, aux côtés de cette jeune fille de onze ans victime d'un rapport sexuel, selon nous, contraint, avec un homme de vingt-huit ans. De nombreux débats ont eu lieu afin de déterminer si la victime était consentante. Si les textes de Madame Schiappa et de Madame Mercier avaient alors été en vigueur, les mêmes débats se seraient posés : la jeune fille a-t-elle suffisamment de discernement pour consentir à de tels actes ?

Cette problématique du discernement de la jeune fille est mineure se posera également lorsqu'elle sera majeure. En effet, bien souvent, les faits sont jugés très longtemps après les actes commis, raison pour laquelle le délai de prescription a été repoussé. Lorsqu'une femme de trente-cinq ans accuse un homme de viol ou d'agression sexuelle devant le tribunal, si les faits remontent à vingt-cinq ans, comment savoir si la jeune fille avait le discernement nécessaire à cette époque pour consentir à de tels actes ? Cela nous paraît impossible à prouver. Aussi souhaitons-nous l'instauration d'un âge du consentement pour éviter tout débat.

Nous identifions un autre risque, qui concerne la correctionnalisation : si nous ne suspectons pas le Gouvernement de vouloir rétrograder à tout prix des crimes en délits, nous estimons toutefois qu'il existe un risque de correctionnalisation malgré la bonne volonté du texte. Alors même que l'atteinte sexuelle n'est aujourd'hui punie que de cinq ans d'emprisonnement, nous constatons de nombreux cas « d'auto-correctionnalisation ». En effet, il s'avère souvent difficile de prouver la contrainte dans le cas d'un viol. Dans d'autres cas, le débat se focalise sur le comportement de la victime, sur son attitude potentiellement séductrice, créant la suspicion et rendant ainsi plus difficile de porter l'affaire devant la cour d'assises pour juger les faits comme un viol et non seulement comme une atteinte sexuelle.

Aujourd'hui, la peine encourue pour une atteinte sexuelle est de cinq ans et de vingt ans en cas de viol avec circonstances aggravantes. Or des avocats et des victimes préfèrent correctionnaliser, parce qu'ils estiment qu'ils prennent moins de risques qu'aux assises et que la procédure sera plus rapide. Que décideront-ils lorsqu'ils apprendront que l'atteinte sexuelle sera punie de dix ans en cas de pénétration ? Nous craignons qu'il y ait encore davantage de correctionnalisation, étant donné que l'écart sera moins significatif entre l'issue en cour d'assises et l'issue au tribunal correctionnel. Spontanément, de nombreuses victimes renonceront à porter des affaires devant les cours d'assises, ce que nous regrettons.

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