Nous ne voulons pas de cette correctionnalisation pour différentes raisons. Il est très important d'être reconnu comme victime, et nous le constatons notamment pour des victimes d'atteinte sexuelle. Pour rappel, l'atteinte sexuelle punit un rapport sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de quinze ans, sans reconnaître pour autant que le mineur n'était pas consentant. Cette absence de reconnaissance du non-consentement peut avoir de graves dommages sur la reconstruction psychologique d'une victime. Toute sa vie, elle s'entendra dire qu'elle a consenti, à onze ans, à avoir un rapport sexuel avec un homme de vingt-huit ans, pour reprendre le cas de l'affaire de Pontoise. Cette parenthèse me permet de souligner l'importance de poser les mots de viol et d'agression sexuelle sur de tels actes, en dehors des peines plus graves encourues dans ces cas-là.
Par conséquent, nous avons imaginé plusieurs propositions. La première concerne l'âge du consentement. À l'origine, nous avions envisagé une présomption irréfragable de contrainte pour les mineurs de moins de treize ans, doublée d'une présomption simple pour les mineurs entre treize et quinze ans. Or cette proposition s'est vu opposer une possible inconstitutionnalité. Après examen, nous pensons que cela risque effectivement d'être le cas pour les présomptions irréfragables. En revanche, des solutions existent pour les présomptions simples.
L'avis de la mission pluridisciplinaire, mandatée par le Premier ministre pour réfléchir à un âge du consentement, propose de créer deux nouvelles infractions : une infraction de viol sur mineur de quinze ans et une infraction d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans. Ces deux infractions seraient autonomes par rapport aux infractions de viol et d'agression sexuelle telles qu'elles existent actuellement. La mission proposait en outre de compléter ainsi ce nouvel article : « Lorsque l'auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime ». Par conséquent, l'avis de la mission a tenté au maximum de couvrir l'élément intentionnel, en précisant la connaissance de l'âge de la victime pour qu'il soit clairement possible de ne pas accuser cette présomption d'être irréfragable.
Selon l'avis du Conseil d'État, il y a un risque d'inconstitutionnalité de telles dispositions. Toutefois, ce point de vue n'est pas partagé par les juristes avec lesquels nous avons évoqué ces questions. Nous nous sommes également penchés sur la législation en vigueur dans d'autres pays européens. Les opposants à l'instauration d'un âge du consentement affirment que cela reviendrait à créer une présomption de culpabilité pour les auteurs. Madame Schiappa a d'ailleurs repris cet argument pour ne pas inclure cette disposition dans le texte de son projet de loi. Cependant, un certain nombre de pays européens ont pu instaurer un âge du consentement sans que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) y trouve à redire. À cet égard, le Haut-Conseil à l'Égalité (HCE) prend l'exemple de l'Angleterre où le seuil d'âge n'a pas été jugé contraire au respect des droits de la défense.
Le deuxième argument avancé pendant la discussion en séance publique concerne l'application immédiate de certaines dispositions du texte aux procès en cours, dès sa promulgation. Or concrètement, si le texte actuel du projet de loi était appliqué en l'état, il ne changerait rien à l'appréciation juridique du consentement des mineurs. Nous maintenons donc notre demande concernant l'instauration d'un véritable âge du consentement, quitte à ce que son application ne soit pas immédiate.
S'agissant d'un âge du consentement fixé à treize ans, nous y avons longuement réfléchi et préconisions à l'origine une législation par paliers qui prévoie des sanctions très dures pour les actes commis sur les moins de treize ans et des sanctions plus souples pour ceux concernant les treize-quinze ans. Ces mesures nous paraissaient les plus adaptées au développement de l'enfant. Toutefois, l'aspect le plus important à nos yeux est de créer la notion d'âge du consentement, quel que soit l'âge retenu in fine.
L'article traitant de la contrainte morale dispose : « la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge entre un auteur majeur et une victime mineure et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime ». Nous proposons de remplacer la conjonction « et » par « ou », car actuellement, les conditions sont cumulatives. Or nous estimons que la différence d'âge peut suffire à elle seule à caractériser une contrainte, tout comme la relation d'autorité entre un majeur et un mineur.
Une autre de nos propositions porte sur la définition de la contrainte physique ou morale. Nous estimons que la contrainte physique ou morale peut également résulter d'une vulnérabilité de la personne due à l'âge, à une maladie, à une infirmité ou à une déficience physique ou psychique. Ces éléments constituent actuellement une circonstance aggravante du viol ou de l'agression sexuelle. Nous avons repris la même formulation pour qu'ils deviennent une caractéristique de la contrainte morale. Vous remarquerez que nous incluons l'élément de vulnérabilité due à l'âge, qui s'appliquerait dans notre schéma aux quinze-dix-huit ans au cas par cas, sans aucune présomption. Il permettrait au juge de s'appuyer sur cet article pour constater qu'un mineur est trop vulnérable pour consentir à ces actes. En outre, il nous semblait important d'inclure l'infirmité et la déficience physique ou psychique. Si ce point ne constitue pas le coeur de notre travail, nous savons que les personnes en situation de handicap sont plus fréquemment victimes d'agression sexuelle ou de viol que les personnes dites valides. Il nous semble également bénéfique d'ajouter cette condition dans l'article afin qu'un mineur en situation de handicap puisse voir les faits caractérisés plus facilement.
Nous souhaiterions ajouter un autre élément à la contrainte morale ; il nous semble d'ailleurs aberrant qu'il ne soit pas mentionné dans le projet de loi. Il s'agit de l'inceste. Pour rappel, les deux tiers des agressions sexuelles et des viols commis sur les moins de quinze ans le sont dans le cadre intrafamilial. Deux tiers des cas qui nous occupent relèvent donc de l'inceste. Cependant, ce mot reste absent du projet de loi. Nous ne comprenons pas pourquoi. Actuellement, l'inceste est une surqualification, ce qui signifie qu'une victime d'un viol dont l'auteur serait un membre de sa famille devrait d'abord prouver qu'il y a eu violence, menace, contrainte ou surprise, au même titre que n'importe quelle victime. Ensuite, si les faits étaient reconnus, la surqualification d'inceste serait appliquée, ce qui entraînerait une peine plus grave. Les faits subis seraient alors qualifiés de viol incestueux.
Nous demandons que le fait que l'auteur soit un membre de la famille suffise en soi à caractériser la contrainte, uniquement pour les victimes mineures. Nous souhaitons qu'il soit automatiquement considéré qu'un mineur ne peut pas consentir à avoir un rapport sexuel avec un membre majeur de sa famille. Nous proposons donc la formulation suivante : « La contrainte morale résulte également du caractère incestueux de l'acte sexuel lorsqu'il est commis sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce », selon les termes du code pénal définissant l'inceste.