J'aimerais tout d'abord apporter quelques indications de contexte sur la prostitution des mineurs. En effet, ce sujet rarement abordé reste malheureusement méconnu par les institutions et les élus. Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une question marginale. Au contraire, ce sujet inquiète les acteurs de la protection de l'enfance et les forces de police de manière croissante. Nous ne disposons pas de chiffres officiels sur le nombre de victimes. Toutefois, des calculs réalisés notamment par notre association il y a cinq ou six ans estiment qu'il existe entre 5 000 et 8 000 victimes mineures de prostitution en France, de nationalité française ou étrangère. Les statistiques éparses de la police indiquent que les victimes mineures sont essentiellement de nationalité française.
En outre, cette situation concerne tous les milieux sociaux. A l'ACPE, nous recevons des familles pour les aider, les orienter et les écouter. Je peux vous assurer que tous les milieux sociaux sont touchés, y compris les plus favorisés. Cette problématique reste difficile à évoquer, alors qu'il s'agit d'un véritable sujet de société qui sera amené à poser de plus en plus de questions dans les années à venir.
Du point de vue législatif, il existe depuis 2002 une interdiction de la prostitution des mineurs dans le cadre de la loi relative à l'autorité parentale1(*). En outre, la loi du 13 avril 20162(*) prévoit la pénalisation des clients et des proxénètes. Il manque toutefois des éléments pour accroître la protection des mineurs dans ce domaine. Notre premier souhait en la matière serait que le législateur adopte une définition de la prostitution qui n'existe pas actuellement. En effet, la seule définition est de nature jurisprudentielle. Elle émane de la Cour de cassation et date de 1996. Or le visage et les modes opératoires de la prostitution ont fortement changé depuis lors. La définition de 1996 retient trois critères pour déterminer si une personne se livre à la prostitution : le fait de vouloir satisfaire les désirs sexuels d'autrui, la présence d'une contrepartie (matérielle, financière ou en nature) et un contact physique. Ce dernier critère paraît logique. Cependant, il y a vingt ans, Internet était nettement moins développé qu'aujourd'hui. Nous constatons désormais que de nombreuses mineures adoptent des conduites prostitutionnelles en passant d'abord par Internet.
Par exemple, des jeunes filles prennent des photos érotiques ou réalisent des vidéos érotiques dans lesquelles elles se masturbent devant la caméra ou devant leur téléphone en échange d'une contrepartie : cadeaux, argent ou même rechargement téléphonique. En l'état actuel de la définition jurisprudentielle proposée par la Cour de cassation, cette pratique ne peut être considérée comme de la prostitution, puisqu'elle n'implique pas de contact physique. Nous estimons pour notre part qu'il s'agit d'une marchandisation du corps à des fins sexuelles. En outre, les jeunes filles qui adoptent ce type de conduite peuvent rapidement tomber dans la prostitution stricto sensu.
Par conséquent, pour répondre à ce problème et faire en sorte que toutes les catégories de conduite prostitutionnelle puissent être considérées comme telles par la loi, nous aimerions adopter dans la législation une définition large et précise de la prostitution. Nous proposons donc la définition suivante : « La prostitution doit être entendue comme tout acte de nature sexuelle réalisé à titre personnel et exclusif sur sa personne ou sur celle d'autrui moyennant rémunération financière, matérielle ou en nature, ou en contrepartie de tout autre avantage, afin de satisfaire les désirs sexuels d'autrui. »
Par cette formulation, nous avons tenu à remplacer le mot « besoin », introduit par la Cour de cassation, par celui de « désir ». Nous souhaitons par ce biais supprimer tout sous-entendu lié à de prétendues pulsions sexuelles masculines. En outre, nous précisons que les actes sexuels sont réalisés « sur sa personne ou celle d'autrui », ce qui permettrait d'inclure les jeunes filles qui effectuent des actes érotiques ou sexuels sur elles-mêmes via Internet. Enfin, la formulation « à titre personnel et exclusif » vise à exclure la pornographie de cette définition.
Une définition commune de la prostitution nous semble constituer un prérequis. Nous devons parvenir à y englober tous les phénomènes prostitutionnels qui existent actuellement.
Nous nous interrogeons sur la situation des personnes majeures qui ont des rapports sexuels avec des mineurs dans le cadre prostitutionnel. Aujourd'hui, le recours à la prostitution de mineurs est puni par une peine d'emprisonnement de trois à sept ans selon que le mineur a plus ou moins de quinze ans. Puisque nous réfléchissons de façon générale à l'âge en dessous duquel un mineur ne peut consentir à une relation sexuelle avec une personne majeure, il semblerait nécessaire que les mineurs qui ont de tels rapports dans un cadre prostitutionnel soient pris en compte dans cette législation. En effet, nous ne pouvons pas déclarer d'un côté qu'une personne majeure ayant une relation sexuelle avec une jeune fille de douze ans est coupable de viol et d'un autre côté qu'il ne s'agit que d'un délit de recours à la prostitution si la jeune fille s'y livre. Par conséquent, nous souhaitons que les adaptations législatives qui seront adoptées dans le cadre de cette loi incluent les mineurs qui se livrent à la prostitution. Quel que soit l'âge retenu, il conviendrait de supprimer le délit de recours à la prostitution pour les mineurs qui sont concernés par cette tranche d'âge.
Enfin, comme nous l'avons dit précédemment, Internet représente aujourd'hui un élément incontournable dans le système prostitutionnel, notamment pour les mineurs. Ainsi, le Mouvement du Nid estime que 60 % des contacts entre les clients et les personnes prostituées se font par Internet. Aujourd'hui, les mineurs se prostituent essentiellement en postant des annonces sur Internet ou en se faisant recruter sur les réseaux sociaux. Ces sites Internet génèrent des millions d'euros de chiffre d'affaires chaque année grâce à un système d'annonces publiables moyennant rémunération. De tels sites font office d'intermédiaire entre des personnes qui se livrent à la prostitution et des clients. Selon nous, ils sont coupables à deux égards de proxénétisme. En effet, ils tirent d'une part des revenus de la prostitution d'autrui et ils font d'autre part office d'intermédiaire. Deux plaintes sont d'ailleurs instruites actuellement à l'encontre d'un site bien connu. Nul ne peut toutefois présager de l'issue de ces instructions, car il reste extrêmement difficile d'établir la culpabilité de tels sites Internet, même si le code pénal prévoit la possibilité d'inculper des personnes morales pour proxénétisme. Nous aimerions trouver une meilleure solution pour adopter de nouvelles dispositions législatives qui pourraient faciliter le travail de la justice et aider plus systématiquement à condamner ces sites.