Je souhaite partager avec vous plusieurs remarques. Je suis personnellement consternée par l'évolution que prend le projet de loi. À l'origine, il rencontrait les objectifs des associations de protection de l'enfance ainsi que des associations féministes. Pourtant, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où nul n'en semble satisfait. Au Sénat, nous nous demandons par conséquent s'il existe une possibilité de trouver une issue favorable à cette impasse.
Mon analyse est la suivante. Nous avons voulu poser un interdit sur les relations sexuelles entre personnes majeures et personnes mineures. Je laisse d'ailleurs de côté la question du seuil d'âge, même si je suis désormais d'avis de le fixer à treize ans, puisque cette option semble consensuelle. Le HCE s'est prononcé en ce sens. J'estime cependant que nous nous sommes trompés sur les plans technique et juridique en cherchant à étendre le viol à la relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure. L'objectif consiste en réalité à la criminaliser. Comme le viol répond à ses propres caractéristiques et à ses propres conditions, et que nous envisagions une présomption de contrainte, nous nous sommes heurtés au fait qu'il n'existe pas de présomption en droit pénal, a fortiori de présomption irréfragable.
Par ailleurs, nous ne parvenons pas à résoudre la question de l'inconstitutionnalité. Or seul le Conseil constitutionnel est habilité à se prononcer sur ce point. Pourtant, de nombreuses spéculations circulent, notamment dans les médias, et affirment que la ministre a dû effectuer certains choix par crainte que son texte ne soit déclaré inconstitutionnel. Nous devons donc sortir de cette problématique.
Notre ambition est qu'une relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure soit soumise à un interdit et passe du niveau de délit à celui de crime. Une telle relation sexuelle doit être traitée comme le viol, c''est-à-dire en tant que viol et autant que le viol. Par conséquent, nous travaillons collectivement sur l'idée d'une disposition plus simple et respectueuse des principes généraux du droit pénal, qui consisterait à considérer qu'une relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans est un crime puni d'une peine de réclusion criminelle. De cette manière, nous ne nous raccrochons pas à la définition pénale du viol. Certes, une telle relation sexuelle constitue un viol, notamment d'un point de vue moral, mais elle serait traitée différemment d'un point de vue pénal. L'essentiel à mes yeux consiste à dire qu'il s'agit d'un crime. Nous oeuvrons en ce sens.
En outre, je partage votre avis sur la question de la prostitution des mineurs. La Brigade de protection des mineurs (BPM) estime ainsi que vingt-cinq affaires de prostitution de mineurs ont été traitées en 2014, contre quatre-vingt-dix en 2017. Cette augmentation est considérable. Ces mineures revendiquent la liberté de faire ce qu'elles veulent de leur corps. Forte de mon expérience sur la loi de pénalisation du client de la prostitution et de sortie du parcours, adoptée en 2016, je remarque de quelle manière ce discours sur la liberté de disposer de son corps a des effets dévastateurs lorsqu'il est appliqué à la prostitution et qu'il est réutilisé par des mineurs. Or les services de police affirment qu'il se trouve toujours un proxénète derrière chacun de ces mineurs qui revendique sa liberté. Il n'existe pas de prostitution sans proxénète, y compris chez les mineurs. Je continue de penser que la loi de 2016 demeure sous-utilisée, puisque le Gouvernement se désengage de ce sujet. Une formation des services de police serait d'ailleurs indispensable afin de parvenir à appliquer l'ensemble des outils législatifs existants, aussi bien sur le volet lié au proxénétisme que sur la pénalisation du client.
Par ailleurs, votre nouvelle définition de la prostitution me paraît intéressante. Je me pose toutefois une question : dès lors qu'un interdit serait posé sur une relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure, cette définition n'inclurait-elle pas systématiquement la même relation sous forme de prostitution ? Parallèlement, je me demande si le principe de la loi pénale la plus douce ne viendrait pas heurter cette définition. Il me semble qu'une expertise juridique doit être menée sur ce point.
Enfin, j'entends vos remarques sur l'inceste. Pour rappel, la loi du 14 mars 20163(*) a réintroduit l'inceste dans le code pénal, comme notion et non comme crime spécifique. Nous avions eu de longues discussions avec les services de la Chancellerie à l'époque, étant donné qu'il s'agit d'un sujet récurrent. J'avais alors été convaincue par l'argument selon lequel le code pénal permet de viser presque toutes les situations d'inceste, dès lors qu'elles impliquent un ascendant. Pour cette raison, je ne me montre pas totalement favorable à rouvrir la question de l'inceste. Il s'agit selon moi d'un puits sans fond de controverse judiciaire.
Je souhaitais par ailleurs vous poser une question. La définition du viol comporte un vide juridique. En effet, le viol se définit comme une pénétration par tout moyen, y compris avec des objets. En revanche, le cas d'une fellation pratiquée par une personne majeure sur un mineur ne relève pas du viol. Or il s'agit à mon sens d'un viol d'un point de vue moral. Toutefois, ces situations se retrouvent toujours classées comme des atteintes sexuelles. Quelle est la meilleure traduction juridique selon vous ?