En effet, les termes choisis dans le texte du projet de loi relèvent d'une nature subjective. Ils seront donc entièrement soumis à l'appréciation du juge. La vulnérabilité ou le discernement s'avèrent extrêmement difficiles à apprécier lorsque les faits sont jugés dix à quinze ans plus tard. Ce texte ne pose aucun interdit clair généralisable à tous les mineurs en-dessous d'un certain âge, ce qui nous pose une grande difficulté. Cet article de loi pourra permettre de caractériser les faits au cas par cas. Les magistrats et les avocats que nous avons eu l'occasion de rencontrer à ce sujet indiquent que le texte prévoit des questions qui se posent naturellement lors d'un procès. Ils n'ont pas besoin que le texte précise la notion de vulnérabilité pour s'interroger sur ce point. Le texte n'apporte rien en ce sens.
En outre, pour répondre à votre question sur l'incapacité de la France à fixer un âge de non-consentement, nous entendons de manière récurrente qu'il s'agit d'un problème de constitutionnalité. En effet, les présomptions irréfragables s'avéreraient probablement inconstitutionnelles. Toutefois, comme Laurence Rossignol l'a rappelé, il incombe au seul Conseil constitutionnel de se prononcer en la matière. Ce point a été évoqué à de nombreuses reprises lors des débats à l'Assemblée nationale. Les législations étrangères comportent toutefois des différences. Le Haut-Conseil à l'Égalité (HCE) a cité l'exemple de l'Angleterre dans son dernier avis. Dans ce pays, l'âge de treize ans a été fixé comme seuil de non-consentement. Une infraction de viol sur mineurs de moins de treize ans (child abuse) a été créée. Or un problème a été soulevé quelques années après autour de l'élément intentionnel, qui ne semblait pas assez caractérisé. Par conséquent, la mission pluridisciplinaire mandatée en France par le Premier ministre a ajouté cette mention afin de contourner ce problème : « lorsque l'auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime. »
En Angleterre, il a été demandé au législateur de repréciser la loi. Même si nos droits diffèrent d'un pays à l'autre, nous sommes tous soumis au respect de la présomption d'innocence. À l'origine, le texte britannique prévoyait que l'infraction était constituée « si l'homme pénètre intentionnellement le vagin, la bouche ou l'anus d'une autre personne avec son pénis et si l'autre personne a moins de treize ans. » L'infraction est punie de l'emprisonnement à vie. Ensuite, la Chambre des Lords a précisé que l'élément intentionnel résidait dans le fait que l'homme utilisait son pénis intentionnellement pour pénétrer l'orifice d'un enfant de moins de treize ans. De ce fait, les respects des droits à la défense sont assurés et le procès est équitable. Les Anglais ont réussi à contourner le problème. De la même manière, la mission pluridisciplinaire a essayé de préciser en quoi consistait l'élément intentionnel.