Intervention de Brice Teinturier

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 7 juin 2018 à 9h10
L'avenir des relations entre les générations : démocratie patrimoine emploi

Brice Teinturier, directeur général délégué France, Ipsos :

Je répondrai rapidement à la question centrale de cette table ronde : la vie politique n'est pas un terrain d'affrontement entre les générations, pour deux raisons principales. En effet, pour qu'un affrontement ait lieu, il est nécessaire d'avoir deux parties prenantes sur le même terrain qui cherchent à se confronter avec un objet de dispute. Ensuite, pour que la vie politique devienne le terrain d'affrontement des générations, des acteurs politiques doivent poser cette question au cours d'une campagne électorale et en faire une controverse politique. Or, jusqu'à maintenant, nous constatons un effet d'éviction plutôt qu'un effet d'imposition d'une problématique. En effet, chaque candidat à la présidentielle a soigneusement évité de construire cet affrontement.

Cependant, il existe un problème, même s'il n'est pas possible de parler d'affrontement entre les générations sur la scène politique. La citation d'André Gide « Famille, je vous hais » n'est plus d'actualité. En effet, nous constatons dans les enquêtes sur le rapport à la famille des Français, qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, que ce rapport est décrit comme confiant, de complicité, de protection, d'échanges mutuels. La famille est survalorisée comme lieu d'affection et de protection, qui permet d'éviter la brutalité du monde. Ainsi, nous ne sommes pas dans un terrain d'affrontement, même si des inégalités sont perçues. Certains jeunes considèrent que la génération précédente est avantagée et qu'ils ne bénéficieront pas de la même retraite, mais cela n'entraîne pas de ressentiment à leur égard. Il n'existe donc pas d'agressivité entre les générations et le sujet n'est pas abordé sous cet angle par les responsables politiques.

Cependant, plusieurs raisons expliquent la problématique choisie pour cette table ronde. Tout d'abord, le niveau de mobilisation à l'occasion des élections pose des questions sur l'avenir de la démocratie représentative, car la participation est extrêmement différente entre les seniors et les jeunes. Nous constatons un désintérêt croissant des plus jeunes à l'égard non pas de la politique, mais de la vie politique telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui et telles que les élections leur apparaissent, c'est-à-dire des moments ritualisés, mais vides de contenu, où un individu est choisi, mais sans espoir que la politique qu'il conduira puisse apporter des solutions. Ainsi, nous constatons autant de défiance que d'indifférence chez les plus jeunes. La question de l'âge est extrêmement déterminante pour la sociologie des électorats. Par exemple, à l'occasion de l'élection présidentielle de 2017, l'électorat de François Fillon était composé très majoritairement de personnes âgées, et les jeunes ne faisaient plus partie de cet électorat. La défiance n'est pas nouvelle et concerne l'ensemble des Français, mais surtout les jeunes, tout comme le désintérêt. Ainsi, ce sont les seniors, qui fabriquent la représentation nationale la plus adaptée à leurs problématiques et leurs préoccupations.

Malgré tout, nous ne sommes pas dans un affrontement entre les générations, il est donc nécessaire de ne pas en déduire que le vote des seniors est seulement déterminé par leurs intérêts, que les jeunes seraient délaissés par la politique et que les plus âgés seraient les grands gagnants parce qu'ils votent. En effet, les seniors s'inquiètent de l'avenir du pays et des générations plus jeunes. De plus, ils ne constituent pas un groupe homogène, tout comme les jeunes. Il est nécessaire de distinguer au moins deux jeunesses : celle incluse dans la société, confiante, disposant du capital économique, financier et culturel pour affronter la mondialisation et les enjeux d'intégration, et une autre jeunesse peu diplômée et précarisée. Ces deux jeunesses votent pour des candidats très différents : la première vote plutôt pour les candidats d'inclusion (Emmanuel Macron ou les candidats de gauche), et la deuxième nourrit les rangs de l'abstention ou du Front national. Ainsi, la mobilisation différentielle justifie la question posée.

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