J'inscrirai mon propos dans la continuité de la présentation effectuée par Brice Teinturier. Plutôt que l'affrontement, il est nécessaire d'évoquer la question de la reconfiguration du rapport à la politique dans les jeunes générations afin de comprendre les liens entre les générations et la politique. La construction du lien à la politique et les formes d'expression citoyennes changent. Cette reconfiguration concerne le vote et la participation électorale. Quel que soit le scrutin, nous observons un taux d'abstention des jeunes supérieur de 10 points au taux d'abstention moyen. Cependant, ce mouvement d'augmentation de l'abstention concerne l'ensemble de l'électorat. Ainsi l'abstention ne cesse d'augmenter depuis une trentaine d'années et pose la question de la légitimité de l'élection.
L'augmentation de l'abstention peut s'expliquer par plusieurs raisons. Tout d'abord, la hausse du niveau de formation des jeunes aurait dû entraîner une participation électorale plus importante. Or ce n'est pas le cas, nous ne pouvons plus expliquer l'abstention par des grilles d'analyse sociologique classiques qui opèrent un lien entre les conditions d'insertion socio-économiques, professionnelles et la participation électorale. L'abstention est devenue un comportement électoral qui peut être utilisé pour envoyer des messages politiques et qui s'apparente à un acte d'expression démocratique. Nous constatons un net affaiblissement du devoir du vote au profit d'une revendication du vote comme un droit, et donc du droit de ne pas voter. C'est un phénomène que nous observons en France, mais également dans d'autres pays, qui interroge le fonctionnement de nos démocraties. La démobilisation des jeunes s'insère dans le mouvement d'ensemble d'augmentation de l'abstention.
Cependant, l'abstention n'a pas les mêmes conséquences sur le renouvellement générationnel. En effet, les travaux de la sociologie politique ont démontré que la façon dont les citoyens participent aux premières élections influence la trajectoire de la participation électorale au cours de leur vie. Ainsi, si un individu débute sa vie électorale avec un lien distant vis-à-vis de la participation politique, il existe de fortes chances de rester un électeur inconstant tout au long de sa vie. Ce rapport intermittent est une donnée fondamentale qui reconfigure les conditions de l'expression démocratique. L'abstention doit être comprise au travers de cette transformation. Sauf en cas d'instauration du vote obligatoire, il est peu probable que ce mouvement s'inverse à l'avenir. La proportion des électeurs systématiques, c'est-à-dire de ceux qui votent par devoir même s'ils ne s'intéressent pas à l'élection, se limite désormais aux électeurs appartenant à des classes d'âges supérieures à 65 ans.
Par ailleurs, même si nous observons la diffusion d'une posture protestataire dans l'ensemble de la population de nos sociétés démocratiques (dans le baromètre de confiance politique du CEVIPOF, entre 5 et 6 Français sur 10 déclarent qu'ils sont prêts à descendre dans la rue pour défendre leurs idées), la légitimité de la protestation est encore plus élevée chez les jeunes générations. Ainsi, 39 % des 18-24 ans de notre pays ont déjà participé à une manifestation. Une culture protestataire se diffuse, la citoyenneté devient plus contractuelle et plus critique, donc potentiellement plus protestataire.
Avec Olivier Galland, nous avons réalisé une grande enquête auprès de 7 000 lycéens répartis dans quatre académies sur le territoire national. Nous avons constaté l'importance de la pénétration des idées radicales en matière de politique, de religion, de rapport à l'information dans la population lycéenne, notamment chez les 14-16 ans qui considèrent qu'un blocage de lycée est un moyen acceptable d'expression pour bloquer une réforme de gouvernement. La disposition protestataire reconfigure le rapport à la politique des jeunes générations et semble plus marquée.