Intervention de Clément Dherbecourt

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 7 juin 2018 à 9h10
L'avenir des relations entre les générations : démocratie patrimoine emploi

Clément Dherbecourt, chef de projet au département société et politiques sociales de France Stratégie :

Vous avez présenté un certain nombre d'éléments que France Stratégie a publiés l'année dernière dans une note intitulée « Peut-on éviter une société d'héritiers ? ». Cette note proposait des éléments de contexte et de prospective sur la question des transmissions.

Nous assistons depuis quelques décennies à un retournement historique dans l'économie et la société française qui correspond à un retour du patrimoine. Thomas Piketty a montré que le patrimoine avait une valeur très importante au XIXe siècle, mais que sa valeur avait diminué par rapport au revenu au cours du XXe siècle. Nous nous situons dans une phase où le patrimoine revient. En effet, dans les années 80, le patrimoine possédé par les Français représentait environ quatre années de revenu disponible des ménages, contre huit années aujourd'hui. Cette augmentation a eu lieu dans les années 2000, et s'explique en partie par l'augmentation du prix de l'immobilier. Néanmoins, 40 % de la fortune se retrouve sous forme de titres financiers d'entreprises. Cette augmentation semble irréversible, car le prix de l'immobilier ne diminuera pas beaucoup à l'avenir selon les travaux des économistes de la Banque de France et de l'Institut des politiques publiques. En effet, la hausse du prix de l'immobilier est liée en partie au vieillissement de la population et il n'existe aucune raison pour qu'il diminue.

Parallèlement à ce retour du patrimoine, nous assistons à une concentration de la richesse au sein des générations les plus âgées. L'INSEE réalise des enquêtes sur le patrimoine des Français depuis les années 80, et sur 30 ans, nous constatons que le patrimoine médian des sexagénaires est deux fois plus élevé que celui des trentenaires, alors qu'ils étaient similaires en 1986. De plus, le patrimoine des septuagénaires est désormais trois fois plus important que celui des trentenaires. Par ailleurs, 50 % des contribuables à l'ISF en 2015 avaient plus de 70 ans. Ce constat n'est pas connu du grand public et des décideurs politiques alors qu'il s'agit d'un changement majeur. Le vieillissement du patrimoine pose un problème d'équité entre les générations, même s'il existe des inégalités au sein d'une même génération, mais aussi un problème d'efficacité économique. En effet, une société où l'essentiel du patrimoine se concentre chez les seniors n'est pas une société où les individus en âge de créer des activités, de se former, d'investir, peuvent accéder au patrimoine et donc contribuer à la croissance.

La dynamique des héritages jusque dans les années 2040-2050 entraînera un renforcement de la concentration du patrimoine au sein des générations les plus âgées. Cela est lié à l'allongement de l'espérance de vie, car dans les années 80, les individus héritaient en moyenne autour de 42 ans, contre 50 aujourd'hui et 58 ans en 2040. De plus, la pleine propriété est héritée lors du décès du second parent. Le deuxième élément conjoncturel est la disparition de la génération des baby-boomers qui a accumulé davantage de patrimoine que la génération précédente et qui disparaîtra à partir des années 2030-2035. L'INSEE a établi plusieurs scénarios en fonction de l'évolution de l'espérance de vie, mais en raison de la pyramide des âges française, nous nous dirigeons vers une augmentation du nombre de décès au cours de ces années.

Enfin, l'enjeu des données me semble fondamental. Nous disposons de très peu d'éléments sur les héritages ou les donations, le ministère des Finances ne possède pas d'outil permettant d'observer les flux de transmission. En effet, depuis les années 60, l'administration fiscale n'a pas souhaité se doter d'un appareil d'observation des transmissions. Des travaux sont en cours pour disposer d'une base de données administrative qui collecte les données patrimoniales et de mutation immobilière, mais il existe encore des incertitudes sur la forme que pourraient revêtir ces données et leur utilité. Nous devons constituer un observatoire de la transmission et rendre ces données accessibles au plus grand nombre afin d'anticiper ce choc inéluctable et évaluer les différentes réformes fiscales que nous pourrions mettre en oeuvre.

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