Intervention de Dominique Bailly

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 7 juin 2018 à 9h10
L'avenir des relations entre les générations : démocratie patrimoine emploi

Photo de Dominique BaillyDominique Bailly, ancien conseiller du directeur général du groupe La Poste, expert en prospective et stratégie de transformation sociale :

La Poste emploie 250 000 salariés et dispose d'un modèle social fondé sur les carrières longues. La moyenne d'âge est de 47 ans, et l'entreprise connaît un très faible turnover.

L'écart des attentes entre les générations correspond davantage à une représentation qu'à une réalité. Cependant, même s'il s'agit seulement de représentations, elles doivent être prises en compte.

La question de la coopération entre générations et des différences de comportements a été saisie par le débat médiatique avant la recherche. Le premier chercheur qui a étudié cette question est François Pichault, professeur à l'HEC Liège et à l'ESCP Paris. Ayant constaté que les études précédentes portaient seulement sur les jeunes diplômés, il a réalisé une étude sur un échantillon représentatif de la totalité de la population salariée, et a identifié davantage de points communs que de différences : l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, le sentiment d'être utile (qui représente le premier moteur de motivation), le besoin de reconnaissance personnelle, la dénonciation des comportements individualistes, les valeurs de solidarité et d'esprit d'équipe, le besoin d'une sécurité de l'emploi, la possibilité de se développer à l'intérieur de l'entreprise. Les points de divergence portent sur la créativité et les questions environnementales, privilégiées par la génération Y, qui est également plus sensible à la nécessité de développer elle-même ses compétences.

Le numérique constitue le dernier point de divergence entre les générations, même s'il est nécessaire de nuancer ce constat. Par exemple, afin d'accompagner la diversification des activités des facteurs, nous avons décidé de les équiper de smartphones, et nous souhaitions savoir s'ils étaient capables de s'en servir. Cette étude a été confiée à un laboratoire de recherches qui a étudié les pratiques numériques personnelles des postiers. Il a constaté qu'il n'existait aucune rupture. En effet, tous les postiers ont une pratique quotidienne d'au moins un outil numérique. Nous sommes déjà en pleine révolution numérique, les populations les plus âgées ne sont pas totalement démunies face au numérique, même si les jeunes générations cultivent leur statut de geek.

Pourquoi existe-t-il un écart entre l'idée des différences entre générations et la réalité ? Ce constat peut s'expliquer tout d'abord par la présence d'un marché des conseils et d'un marché des médias. Par ailleurs, nous avons tendance à étudier ce problème à partir des jeunes diplômés, alors qu'un jeune diplômé d'HEC possède davantage de points communs avec un dirigeant senior qu'avec un jeune de cité, et cette diversité sociale est plus significative que la différence de génération. Nous comparons la génération Y d'aujourd'hui à la génération des seniors (au moment où ils étaient jeunes). Néanmoins, l'ensemble de la société a changé.

Pour autant, ces représentations sont tenaces et doivent être travaillées. Une étude a été menée par IMS afin d'identifier les stéréotypes répandus. Les jeunes des générations Y sont vus par les seniors et par les générations X comme ambitieux, volatiles, trop connectés au détriment du travail, attachés à leur vie privée et moins respectueux des codes sociaux. Mais la génération Y ne se perçoit pas de cette façon, et elle s'estime moins considérée par les autres. La génération X est la plus hybride, car elle présente peu d'écart entre la façon dont elle se représente et la façon dont elle est perçue. Elle ne se sent pas freinée dans sa carrière alors qu'il s'agit de la plus bridée dans son évolution par la génération précédente. Quant aux seniors, ils sont vus comme favorisés, privilégiés, passéistes. Cependant, ils refusent d'être considérés comme des travailleurs de seconde catégorie et souhaitent être formés comme les autres afin d'avoir accès à la mobilité.

Que pouvons-nous faire ? Nous avions mis en place une formation sur le management intergénérationnel, car ces représentations peuvent freiner l'intégration. Plus l'entreprise s'engage dans la diversité, moins les stéréotypes négatifs sont présents. La difficulté est que l'emploi des seniors constitue un point de tension entre les politiques micro et macro économiques. Il est nécessaire de ne pas exclure les seniors de l'emploi. Ainsi, La Poste réserve 8 % de ses recrutements aux plus de 45 ans. Le tutorat, la capitalisation des savoirs, la flexibilité constituent des solutions. Le télétravail ou le temps partiel peuvent être favorisés.

Enfin, les débats sur la génération Y nous renseignent sur les évolutions globales à prendre en compte. Nous avons constaté l'importance du sens (La Poste a pris garde à conserver le sens dans sa modernisation), de la reconnaissance, de l'intégrité, et du collaboratif. La confiance est un élément très important de l'évolution des entreprises, car il s'agit de la meilleure façon d'articuler coopération et compétition.

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