Intervention de Marie-Pierre Rixain

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 19 juin 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Marie-Pierre Rixain présidente et de M. Erwan Balanant co-rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'assemblée nationale

Marie-Pierre Rixain, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale :

Merci, madame la présidente. Mesdames les sénatrices, je tiens tout d'abord à vous remercier chaleureusement pour votre invitation à venir présenter devant vous les travaux que nous avons menés en tant que co-rapporteurs de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale. La coopération entre nos deux délégations est, à mes yeux, primordiale. Il me semble tout à fait pertinent que nous puissions avancer de concert sur des problématiques aussi importantes que la lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous poursuivons en effet le même objectif. Il est nécessaire de mettre fin à toute forme de violence sexiste et sexuelle si nous voulons permettre l'avènement d'une société d'égalité et garantir aux femmes d'y trouver leur juste place. Pour y parvenir, toutes les formes de violence doivent être réprimées. Ainsi, les victimes doivent être mieux protégées et les auteurs mieux sanctionnés. En outre, nous conviendrons tous que les violences commises sur les mineurs doivent faire l'objet d'une attention toute particulière et d'une répression absolue. Il nous incombe de tout mettre en oeuvre pour les prévenir. Mieux protéger les victimes et mieux sanctionner les agresseurs : voici la double conclusion à laquelle nous sommes parvenus avec Sophie Auconie, au terme des travaux sur notre rapport d'information sur le viol3(*) que nous avons conduits pendant plusieurs mois en auditionnant près de quatre-vingt personnes et en nous déplaçant en France et à l'étranger, en Suède en particulier. Cette démarche s'est avérée fortement utile pour poursuivre notre réflexion.

Mieux protéger les victimes et mieux sanctionner les agresseurs constitue également le double objectif poursuivi par le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ce texte renforce donc le droit existant, répond à certains vides juridiques et envoie surtout un signal extrêmement fort. En effet, les violences faites aux femmes sont intolérables. Nous ne les acceptons plus. La réponse pénale devra s'avérer sans faille. Notre démarche s'inscrit en outre dans le puissant mouvement de libération de la parole des femmes, dans le monde entier.

Je voudrais tout d'abord souligner plusieurs avancées portées par ce projet de loi. En premier lieu, l'allongement du délai de prescription constitue une évolution fortement positive, qui était attendue par les victimes et qui avait été préconisée par la Mission de consensus menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes à la demande de votre collègue Laurence Rossignol, alors ministre chargée des Droits des femmes, que je salue. Il permettra de mieux sanctionner les auteurs de viols et d'inclure dans le cadre de la procédure judiciaire un plus grand nombre de victimes.

En outre, comme nous l'avons constaté tout au long de nos auditions, l'allongement de ce délai de prescription constitue une nécessité, afin de mieux prendre en compte les nombreux cas d'amnésie traumatique, en particulier lorsqu'il s'agit de jeunes victimes qui, en raison de leur âge ou de leurs liens familiaux avec l'auteur des violences, se trouvent en incapacité de révéler sur le moment les violences qu'elles ont subies. Cette réforme se place ainsi dans le camp des victimes et traduit une volonté claire de faire avancer la lutte contre les infractions sexuelles. Je crois que ce point emporte un consensus majeur.

En second lieu, nous avons renforcé notre arsenal pour mieux réprimer le viol comme crime. Les débats, riches et fournis, que nous avons eus en délégation, en commission des lois et en séance, ont permis de compléter utilement les dispositions du projet de loi, en particulier grâce à un amendement porté par mon collègue Erwan Balanant, qui revoit la définition du viol pour mieux prendre en compte les différentes situations de viol. En effet, la formulation « pénétration commise sur autrui » empêchait auparavant de réprimer comme un viol les cas où la pénétration était faite sur l'agresseur. Nous avons corrigé cette définition et retenu la formule « pénétration commise sur ou avec autrui », ce qui permet d'inclure notamment les cas de fellation imposée à de jeunes garçons. Il s'agit là d'une véritable avancée qui permet la répression de toutes les formes de pénétration.

De plus, le travail législatif en première lecture a également permis de mieux réprimer les cas d'inceste, qui constituent une large partie des violences sexuelles commises sur mineurs. Nous nous sommes interrogés sur ces points en délégation, mais il a nous semblé qu'il s'agissait là d'un sujet si complexe et important qu'il convenait de le traiter en tant que tel, peut-être dans un autre texte, de façon plus complète et plus ciblée.

Concernant l'article 2 du projet de loi, j'aimerais répondre à une fausse interprétation du texte tel qu'il a été adopté à l'Assemblée nationale. En effet, contrairement à ce que plusieurs médias ont pu dire, il ne conduit en rien à une correctionnalisation des viols. Le viol reste un crime et nul n'entend le correctionnaliser. Ce n'est ni l'esprit, ni l'objet de ce projet de loi. La question qui se pose est celle de la réponse pénale qu'il convient d'apporter à la relation sexuelle d'une personne majeure avec un mineur. Rappelons que notre droit, avec l'atteinte sexuelle, pose déjà un interdit. Ce dernier était toutefois mal compris et mal appliqué.

Comme l'a rappelé madame la garde des Sceaux devant votre délégation, le projet de loi apporte une précision interprétative sur les notions de surprise et de contrainte, c'est-à-dire sur deux des éléments caractérisant le viol. Cette précision permettra concrètement de poursuivre plus facilement pour viol, puisqu'il sera plus simple de démontrer l'existence d'une contrainte ou d'une surprise. Par conséquent, cette réforme arme mieux les juridictions pour sanctionner les viols.

Par ailleurs, et ce point a été peu relevé lors des débats, le texte prévoit que la cour d'assises devra systématiquement poser la question d'une requalification en délit d'atteinte sexuelle, si jamais elle décidait de ne pas retenir la qualification de crime. Ce changement aura des conséquences importantes puisque les procureurs hésiteront d'autant moins à porter les affaires devant une cour d'assises qu'ils seront assurés de cette possibilité alternative de sanction, s'il ne s'avérait pas possible de retenir finalement les éléments caractéristiques du viol.

Quant à la création d'une infraction autonome pour les actes sexuels commis par un adulte sur un mineur de moins de treize ans, nous avons conduit une longue réflexion sur ce point. Comme vous l'avez souligné, nos délégations adoptent des approches convergentes en la matière. À l'Assemblée nationale, la délégation a souhaité ouvrir le débat. Il me semble d'ailleurs que l'un de nos rôles consiste à explorer toutes les pistes possibles.

Comme l'a souligné madame la garde des Sceaux, la piste d'un double seuil d'âge de quinze ans et de treize ans semblait a priori prometteuse. J'insiste sur la notion de double seuil, car nous visions à combiner deux dispositifs. Un examen plus approfondi a cependant fait apparaître des risques constitutionnels importants. De plus, ce double seuil d'âge risque de manquer de lisibilité. D'ailleurs, la façon dont la presse a évoqué le texte montre à quel point il est aisé de mal interpréter un dispositif pénal techniquement complexe. L'instauration d'un double seuil d'âge entraînait le risque d'entretenir une confusion et de rendre le dispositif pénal peu compréhensible, voire incompréhensible.

Il nous a donc semblé préférable de préserver l'équilibre du texte et son caractère très opérationnel qui permettra, dès le lendemain de sa promulgation, de mieux réprimer les viols commis sur les mineurs. D'une part, il sera plus facile de prouver et de condamner le viol grâce à la précision interprétative des notions de contrainte et de surprise. D'autre part, si jamais le viol ne pouvait être prouvé malgré cela, la cour d'assises sera obligée d'envisager une requalification en délit. Enfin, si cette requalification a lieu, les peines seront renforcées pour garantir une meilleure protection de tous les mineurs de moins de quinze ans contre les violences sexuelles.

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