Merci d'être venus au Sénat devant notre délégation. Nos deux délégations travaillent beaucoup, l'une et l'autre. Nous nous demandons parfois si ce travail est bien reçu, lu et entendu et s'il est suivi d'effets. Travailler à la délégation aux droits des femmes est très enthousiasmant. Toutefois, cela exige également une forte obstination de notre part. Il me semble en tout cas important de travailler ensemble.
Le projet de loi qui nous est présenté comporte trois aspects principaux. Le premier - l'allongement du délai de prescription - était attendu. Il n'avait pas pu aboutir l'année dernière lors de la discussion de la loi Fenech-Tourret. Par conséquent, il a fallu déverrouiller progressivement les blocages qui existaient. J'estime pour ma part que l'imprescriptibilité n'est pas une position taboue. En effet, je ne vois pas en quoi l'élargissement de cette notion aux victimes de crimes sexuels dégraderait la notion de crime contre l'humanité, à laquelle elle est pour le moment limitée. En outre, la question de la déperdition des preuves, fréquemment évoquée contre l'allongement des délais de prescription, existe déjà pour des délais de dix-huit ou de vingt ans. L'allongement à trente ans ne changera pas grand-chose. Toutefois, l'imprescriptibilité ne semble pas mûre à ce stade. Dans ce contexte, le délai de trente ans nous satisfait pour le moment.
Concernant l'outrage sexiste, les circonstances qui permettront de réunir en un même espace-temps une victime, un auteur et un policier seront relativement rares. Pour autant, cette disposition fait partie des lois à vertus pédagogique et civilisationnelle. Il ne s'agit toutefois pas d'une révolution dans la protection et l'avancée des droits des femmes. Cet élément ne mérite donc selon moi ni excès de critiques, ni louanges particulières. Il s'avère cependant intéressant sur le plan de la méthode. J'observe ainsi que le Gouvernement n'a pas tenu compte de l'avis du Conseil d'État pour l'outrage sexiste, ce qui montre bien qu'il est parfois nécessaire de créer des textes juridiquement audacieux afin d'envoyer des messages forts à l'opinion. Si cette démarche fonctionne sur l'outrage sexiste, je me demande pourquoi elle n'a pas été appliquée à l'article 2 ?
S'agissant de cet article, j'espère que nous pourrons comprendre un jour de quelle manière nous sommes parvenus à ce résultat. Pour le moment, nous en sommes réduits à des spéculations sur le revirement opéré par le Gouvernement. Je m'étonne vraiment de ce processus. En octobre dernier, après les « affaires » de Pontoise et de la cour d'assises de Seine-et-Marne, le Président de la République a tenu un discours fort. La secrétaire d'État affirmait dans les médias qu'elle mettrait en place une présomption de non-consentement. Or l'article 2 n'atteint aucun de ses objectifs. Il échoue à la fois sur les plans politique, sociologique et législatif. Personne n'en est satisfait, ni les auteurs de la loi, ni les associations, ni les victimes, ni les professionnels.
J'aimerais donc souligner que l'objectif du projet de loi n'est pas atteint puisqu'il ne pose pas d'interdit clair et absolu sur toute relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans - nous estimons que le seuil de treize ans paraît en effet le plus pertinent. A la place, le texte « bricole » une nouvelle infraction, l'atteinte sexuelle avec pénétration, qui reste dans le domaine délictuel. Elle est punie de dix ans de réclusion alors que le viol sur mineur est puni de vingt ans. En résumé, la voie qui a été choisie ne me paraît pas offrir la meilleure solution. Pourquoi ?
Tout d'abord, nous nous sommes trompés lorsque nous avons voulu nous inscrire dans une extension de la définition du viol. Nous sommes partis des caractéristiques du viol, c'est-à-dire la violence, la contrainte, la menace et la surprise, afin de parvenir à une sorte de présomption éventuellement irréfragable. Or ni la présomption ni la présomption irréfragable n'existent en droit pénal. Nous avions donc choisi une mauvaise orientation. Toutefois, il est toujours possible de reculer et de choisir une autre piste.
Une autre voie ne rencontre à mon avis aucune difficulté sur le plan constitutionnel. En effet, faire de toute relation sexuelle avec pénétration entre un adulte et un mineur un crime de violence sexuelle sur enfant, puni d'une peine de vingt ans, n'est pas inconstitutionnel. Dans ce cas, il n'existe pas de présomption irréfragable. Le Parlement, dont c'est le métier, définit un nouveau crime dans le code pénal. Rien dans cette formulation ne porte atteinte aux principes généraux du droit pénal ni à ceux du droit de la défense. Le parquet garde d'ailleurs l'opportunité des poursuites. Une fois devant la cour d'assises, la défense pourra arguer de tout moyen, notamment le fait de ne pas connaître l'âge de la victime. En outre, j'aimerais réaffirmer que les questions de constitutionnalité doivent être évaluées par le seul Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État n'est pas le juge constitutionnel. Il faudrait distinguer les rôles de ces deux instances.
Par ailleurs, je connais bien l'argumentation de madame la ministre qui, selon moi, n'est pas cohérente. J'aimerais rappeler tout d'abord qu'il est nécessaire de rassembler soixante parlementaires pour porter un texte devant le Conseil constitutionnel. Or je n'imagine aucun d'entre nous rentrant dans sa circonscription en disant à ses administrés qu'il effectuerait une telle démarche pour une loi visant à protéger les enfants des agressions sexuelles... Peu d'entre nous seraient enclins à initier une telle procédure. Il faudrait ensuite attendre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Lorsque nous avons rencontré de telles difficultés au sujet du harcèlement sexuel en 2012, nous avons refait une loi six mois après. De plus, aucun vide juridique ne serait ouvert durant cette période, à supposer que nous nous trouvions dans une telle hypothèse. La loi continuerait à punir les agresseurs sexuels et les violeurs, en vertu du code pénal actuellement en vigueur. Si nous suivons les propositions de notre délégation, le viol et l'atteinte sexuelle demeurent. Nous n'envisageons pas de déconstruire ce qui existe. L'intention du législateur, pour sa part, serait connue par la loi qui a été votée.
J'aimerais également lever un malentendu pour mes collègues sur la requalification en délit que vous évoquez. Les juges auront la possibilité de poursuivre sur les deux chefs d'inculpation, à savoir l'atteinte sexuelle avec pénétration et l'atteinte sexuelle, afin d'éviter l'acquittement, de façon systématique. Il convient d'éviter une affaire comme celle de la Seine-et-Marne dans laquelle l'agresseur a été acquitté parce que le jury n'a pas retenu le viol. Il faut donc prévoir une solution de repli, ce dont les juges disposent actuellement, mais à laquelle ils craignent de recourir parce qu'elle adresse un mauvais message envers le jury. Cette sécurité devant la cour d'assises ne répond toutefois pas à nos objectifs.
En conclusion, j'aimerais savoir comment sortir de cette situation. J'ai lu vos travaux. Vous aviez formulé de nombreuses propositions, dont une seule se retrouve dans la loi, à savoir la plus consensuelle. Sur le seuil d'âge, vos conclusions étaient initialement les mêmes que les nôtres.
Certes, il y a urgence. Cependant, l'urgence n'est pas toujours la meilleure façon de procéder, en particulier lorsqu'il n'existe pas de vide juridique total. En outre, le fait qu'une seule lecture soit prévue pour chaque assemblée nous laisse peu de temps pour travailler conjointement. Pourtant, le temps parlementaire est utile. En effet, nos pensées se sont affinées depuis le mois d'octobre. Nos positions se sont affirmées et nos rédactions juridiques ont évolué. Le Sénat tentera de revenir sur la proposition que porte la délégation aux droits des femmes relative à la nouvelle qualification de crime de violence sexuelle sur enfant. J'estime d'ailleurs que cette proposition ne comporte pas de risque d'inconstitutionnalité. À nouveau, nul ne peut se prononcer sur ce point hormis le seul juge constitutionnel.