Intervention de Marie-Pierre Rixain

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 19 juin 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Marie-Pierre Rixain présidente et de M. Erwan Balanant co-rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'assemblée nationale

Marie-Pierre Rixain, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale :

Merci pour l'ensemble de vos questions. Je tiens d'abord à vous redire que nous sommes heureux d'échanger avec vous. Il me paraît essentiel que nos délégations puissent communiquer. Je me réjouis d'ailleurs que cette occasion puisse se renouveler prochainement sur un autre sujet. Par ailleurs, sachez que je suis très respectueuse de la navette parlementaire et du travail mutuel que peuvent apporter les deux assemblées, et en particulier le Sénat. J'ai beaucoup de respect pour les réflexions que nous pouvons nourrir ensemble.

J'aimerais maintenant vous faire part des réflexions qui se sont tenues au sein de notre délégation, puisque c'est elle que je représente et non le Gouvernement.

Concernant l'article 2, la manière dont nous avons réfléchi se fondait en effet sur un seuil d'âge. Dans le projet de loi, le choix politique qui a prévalu fixait ce dernier à quinze ans. Cette décision émanait d'un groupe de réflexion instauré par le Gouvernement et comprenant notamment des représentants d'associations, des professionnels de santé et des juristes. Une fois que ce seuil de quinze ans a été établi, la délégation s'est interrogée sur la possibilité d'établir un double seuil d'âge. Le seuil de quinze ans nous semblait utile et nécessaire. Toutefois, nous souhaitions introduire un deuxième seuil à treize ans.

Cette réflexion n'était pas complètement aboutie sur le plan juridique ; il nous semblait en revanche important d'ouvrir le débat sur ce point.

Comme vous le savez, environ 150 000 enfants sont déclarés victimes de viols et tentatives de viols. Il en existe probablement davantage. Pour rappel, ces enfants sont aussi bien des filles que des garçons. Les débats à l'Assemblée nationale ont bien porté sur les deux cas de figure. D'ailleurs, l'amendement que j'évoquais tout à l'heure, adopté à l'initiative d'Erwan Balanant, permet de mieux protéger les garçons.

Nous nous sommes demandé de quelle manière mieux sanctionner les crimes sexuels sur les enfants. La première question consiste à savoir ce que nous entendons par « enfant », ce qui nous amène à la définition du seuil d'âge. Différents avis se sont exprimés au cours des auditions et au sein de la délégation. Des intervenants, et notamment des professionnels de santé, nous ont bien expliqué qu'un être n'est pas le même pendant l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. Toutefois, en droit, pour que la qualification soit retenue, a fortiori dans le domaine criminel, il est nécessaire de disposer d'une assise législative et de prouver la matérialité des faits et l'intentionnalité de l'auteur.

En effet, nous avons rencontré, avec Sophie Auconie, co-rapporteure, dans le cadre du rapport d'information que nous avons fait sur le viol, la brigade des mineurs, qui a traité « l'affaire de Pontoise », qui nous a alertées sur le fait qu'il était parfois difficile d'être pleinement conscient de l'âge réel d'un adolescent. Bien que professionnels, ils ont été eux-mêmes surpris par l'âge apparent d'une des victimes ; l'enfant de onze ans qui s'est présentée à eux paraissait en avoir quinze alors qu'elle n'était pas maquillée et qu'elle portait un simple jogging.

Nous avons mené une deuxième audition à Clichy, où il existe des situations de prostitution sur mineurs impliquant des adolescents qui ont parfois douze ou treize ans. Indépendamment de la répression de la prostitution, les autorités policières ont également souligné la question de savoir comment l'auteur connaît l'âge de la victime, ce qui permet de prouver l'intentionnalité de l'agresseur.

Or, la réalité est variable selon le développement des enfants. A onze ans, il est clair qu'il s'agit d'un enfant. Nous devons par conséquent nous demander comment faire en sorte de criminaliser davantage les violences sexuelles sur mineur en établissant une règle applicable et robuste. Il est primordial de lever tout obstacle constitutionnel, les exigences en la matière étant a fortiori plus fortes en matières criminelle.

Nous avons auditionné la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) afin d'identifier une solution qui soit conforme à la Constitution. Alors que la délégation était attachée à ce sujet du double seuil d'âge, la DACG a émis de forts doutes sur la conformité constitutionnelle de cette solution.

Malgré cet avis, nous nous sommes engagés en faveur du double seuil d'âge, l'avons inclus dans notre rapport d'information sur le projet de loi et l'avons porté à travers un amendement en commission. Deux arguments essentiels nous ont été opposés. Le premier concerne la lisibilité. En effet, il peut s'avérer difficile d'expliquer qu'il existerait une qualification automatique de crime en raison de l'âge de l'enfant, lorsque ce dernier a moins de treize ans, tandis qu'une autre qualification, celle de viol, serait portée si l'enfant a entre treize et quinze ans. Cette logique implique une forme de gradation de la gravité des crimes en fonction de l'âge de la victime.

La deuxième problématique à laquelle nous devons répondre porte sur la constitutionnalité. S'il existe une forme d'automaticité pour l'atteinte sexuelle en raison de l'âge de la victime, nous pouvons nous demander pourquoi une telle automaticité ne serait pas possible pour un nouveau crime fixant un seuil d'âge. Si cela s'avère possible sur le plan délictuel, il n'est pas sûr que ça le soit sur le plan criminel, parce que les enjeux ne sont pas les mêmes et qu'il existe, dans le contexte criminel, une forte suspicion d'inconstitutionnalité. Au vu de ces éléments, nous n'avons pas souhaité redéposer en séance ces amendements.

Par ailleurs, l'article 2 tel qu'il est écrit aujourd'hui prévoit de préciser les notions de contrainte et de surprise, ce qui peut permettre de criminaliser davantage les viols sur mineurs. Les chiffres révèlent que 49 % des viols sur mineurs sont commis sous la contrainte ou la menace, 42 % par surprise et 9 % avec violence. Si nous voulons sanctionner les crimes sexuels sur mineurs, il convient donc de durcir et d'armer davantage le juge pour qu'il puisse retenir la surprise, la menace ou la contrainte. L'article 2 le prévoit en évoquant notamment la notion d'abus de vulnérabilité pour les enfants de moins de quinze ans, de manière à pouvoir retenir plus facilement la qualification de viol.

En outre, le recours à la question subsidiaire ne concerne pas le procureur. Il vise à rendre systématique la sanction pour atteinte sexuelle de l'auteur par la cour d'assises si la qualification de viol ne peut être retenue. Par conséquent, cette disposition de l'article 2 permet de porter un interdit à l'échelle de la société tout en respectant les dispositions constitutionnelles. Il ne pourra donc pas exister d'autres affaires telles que celle de Pontoise puisque l'auteur sera condamné de facto.

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