Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 11 mai 2006 à 10h00
Respect effectif des droits de l'homme en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jacques Pelletier d'avoir suscité en notre Haute Assemblée un débat sur un sujet aussi important que le respect des droits de l'homme dans notre pays.

La France peut s'enorgueillir d'avoir vu naître la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont les valeurs, nées de l'universalisme des Lumières, ont inspiré les hommes et les femmes dans leur conquête de la démocratie. Nous devons continuer à porter ce message de par le monde, en oeuvrant activement au respect de la dignité de la personne humaine.

Pourtant, l'image que nous retenions de notre pays vient d'être soudainement assombrie. La publication, le 15 février dernier, du rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe Alvaro Gil-Robles met en lumière des manquements incompatibles avec les droits de l'homme.

Malgré un droit et une jurisprudence qui se veulent toujours plus protecteurs des libertés publiques, la France est décrite par le commissaire comme « traversée de difficultés persistantes, voire récurrentes ». Cette situation a été stigmatisée par le nombre important de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'homme.

Le rapport met en exergue les problèmes constatés dans des domaines aussi différents que la situation des étrangers, la discrimination et la xénophobie, l'action des forces de l'ordre, le traitement des mineurs délinquants, les gens du voyage, le système carcéral ou l'administration de la justice. Je ne reviendrai pas sur l'inacceptable situation de nos prisons, déjà longuement évoquée par M. Pelletier. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous apporterez des réponses précises et concrètes aux questions soulevées sur ce point.

Nous avons commémoré hier, dans le jardin du Luxembourg, l'abolition de l'esclavage. Néanmoins, la discrimination raciale reste d'actualité. L'année 2004 a été marquée par une hausse de plus de 132 % des actes de racisme et d'antisémitisme, soit 1 565 faits recensés.

Le législateur s'est pourtant engagé depuis de nombreuses années dans le renforcement de la répression de tels actes : loi Pleven en 1972, loi Gayssot en 1990, loi relative à la lutte contre les discriminations en 2001, loi Perben II et création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations, la HALDE, en 2004. Grâce à cette dernière, nous disposons désormais de statistiques fiables, véritable baromètre de la discrimination dans notre pays.

Cette Haute autorité a été saisie de 1 822 cas depuis sa création, soit près de dix réclamations par jour. Deux éléments émergent très nettement parmi les réclamations dont la HALDE est saisie : l'emploi est le champ d'activité dans lequel le plus grand nombre de réclamations se sont exprimées, soit 45 %, suivi par l'accès aux services publics, avec 18 % ; l'origine ethnique est le premier critère mis en avant par les réclamants, 40 %, loin derrière viennent la santé et le handicap, 14 %, puis le sexe, 6 %, et l'âge, 5 %. Cette liste n'est, bien sûr, pas exhaustive.

Mes chers collègues, les discriminations ébranlent les bases mêmes de notre société fondée sur la cohésion, l'égalité réelle des chances tout au long de la vie, le respect égal des droits et de la dignité de toutes les personnes, en toutes circonstances, le refus de toutes les exclusions.

Monsieur le garde des sceaux, cette situation plus que préoccupante nous interpelle sur la capacité de la France à faire coexister dans le modèle républicain des populations de toutes origines.

Encore plus préoccupante est l'augmentation très significative des violences contre les personnes et les biens, comme des profanations des lieux de culte.

Toutefois, il ne s'agit là que de la partie la plus visible des problèmes de racisme. Le rapport Gil-Robles dénonce, à juste titre, les discriminations plus insidieuses qui entravent l'accès à l'emploi, au logement, aux services ou aux loisirs des personnes dont le nom est à consonance étrangère. À diplôme égal, ces dernières sont deux fois plus exposées à un risque de chômage.

Le respect de la dignité humaine concerne, certes, la protection de l'intégrité physique. Mais elle renvoie surtout à une lutte quotidienne qui doit intégrer tous les aspects de la vie d'un citoyen. En filigrane se pose donc l'efficacité des politiques d'intégration menées depuis vingt ans, souvent de façon erratique et donc sans cohérence. L'État se doit de garantir l'égalité effective entre tous les individus afin que le modèle républicain auxquels nous sommes attachés ne soit pas vidé de sa substance.

Monsieur le ministre, si notre arsenal législatif est déjà très important en la matière, quelles mesures d'ordre social et éducatif le Gouvernement entend-il prendre pour faire cesser cette intolérable inégalité de traitement, qui n'est pas digne des traditions héritées du siècle des Lumières et de la tentative de leur mise en pratique en 1789 ?

Au travers de la discrimination se pose la question de la situation des étrangers en France. Notre assemblée aura prochainement l'occasion de débattre longuement de ce point à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'immigration et l'intégration. Mais force est de constater que les zones d'attente, spécialement à l'aéroport de Roissy, constituent des lieux où le droit ne s'applique pas toujours conformément à la lettre.

Le commissaire Gil-Robles met également en exergue les allégations de violences lors des expulsions et des reconduites à la frontière. Si les agents de la police aux frontières doivent recourir à des moyens proportionnés lorsqu'ils escortent un individu devant quitter le territoire national, de nombreux certificats médicaux font état d'ecchymoses et autres traces de coup.

Je sais, monsieur le ministre, que votre collègue ministre d'État, ministre de l'intérieur, est particulièrement attentif à ce que les forces de l'ordre soient irréprochables sur ce point. Mais les difficultés de la reconduction génèrent des tensions et donc des violences explicables, quoique non excusables dans notre pays. Faudrait-il que des certificats médicaux soient transmis au procureur de la République ?

Par-delà la situation des étrangers, je ne peux passer sous silence l'existence alléguée de véritables traites des êtres humains sur notre sol : 75 % des victimes de telles pratiques sont d'origine étrangère, principalement en provenance d'Europe de l'Est et des Balkans, d'Afrique de l'Ouest et de Chine.

Nous savons malheureusement comment se manifeste cette traite : travail non rémunéré, exploitation domestique, parfois avec violence, et prostitution. Cette violation continue de la dignité humaine se retrouve dans tous les milieux, des moins nantis aux plus aisés.

En réaction à cette pratique honteuse, le législateur a créé en 2003 l'incrimination pénale de traite des êtres humains, doublée d'une protection accrue offerte aux victimes, le plus souvent réduites au silence et à la honte. C'est une mesure tout à fait positive.

C'est sur ce terreau malsain que se greffent des réseaux de criminalité organisée qui s'enrichissent à bon compte en bafouant les droits de ces hommes et de ces femmes, souvent venus de loin pour trouver chez nous une vie meilleure.

Depuis 2002, les pouvoirs publics ont considérablement consolidé les dispositifs de répression à l'égard de ce type de criminalité ; je pense surtout à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Pourtant, l'application de ce dispositif semble encore peu fréquente. À cela s'ajoute l'inexistence des dispositifs d'accompagnement et de réinsertion des victimes. Il est consternant que la Cour européenne des droits de l'homme ait estimé en 2005 que l'esclavage et la servitude ne sont pas « en tant que tels réprimés par le droit pénal français », cela malgré l'intervention du législateur que je viens de mentionner.

La Cour a exhorté la France à adapter rapidement la législation issue de la loi du 18 mars 2003. Le commissaire Gil-Robles abonde en ce sens. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, si votre ministère a d'ores et déjà amorcé cette démarche législative ?

Le constat du commissaire aux droits de l'homme est sans ambiguïté : la France doit mieux faire. L'intensification de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie doit être une priorité des pouvoirs publics. Cette politique passe par une application systématique des dispositifs de lutte contre les discriminations, mais aussi par une prise de conscience de l'ensemble de nos concitoyens.

Il est temps de mettre fin à des pratiques qui entachent l'image de la France à l'étranger et heurtent beaucoup de Français.

Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des réponses concrètes qui permettent de rendre effectif pour tous le respect des droits de l'homme.

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