Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 11 mai 2006 à 10h00
Respect effectif des droits de l'homme en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le garde des sceaux, vous êtes irrité par le rapport de M. Gil-Robles, mais il n'a, hélas, surpris ni les professionnels, ni les associations, ni les citoyens qui dénoncent les atteintes aux droits en France et militent pour des avancées.

De rapport en rapport, notre pays est montré du doigt : par le Comité contre la torture de l'ONU, par Amnesty International pour de « graves violations des droits humains » commis par des policiers souvent contre des jeunes, ou encore par la Ligue des droits de l'homme ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

J'ai bien noté la promesse du Président Chirac de faire ratifier, après de nombreuses années, le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais je déplore le peu d'empressement qui est mis à inscrire cette question à l'ordre du jour du Parlement ; il faut que les paroles et les actes concordent.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions envisager les droits fondamentaux dont nous parlons aujourd'hui, ce dont je remercie notre collègue Jacques Pelletier, sans souligner qu'un grand nombre de nos concitoyens sont privés des droits élémentaires : avoir un toit, un travail, une protection sociale. Cela contribue évidemment à déliter le lien social, à accroître la crise sociale et le fossé entre ceux qui dirigent et la population, fossé dont nous mesurons, hélas, la profondeur.

Dire cela, c'est mettre en cause les politiques menées depuis des années et, pour mon groupe, pour nous qui avons une conception globale des droits, il est évident que le respect de ces droits élémentaires est essentiel et appelle des changements politiques pour lesquels nous agissons.

Quant aux violations des libertés, objet plus particulier de notre débat, notre collègue a pointé les rapports accusateurs à l'égard de notre pays et souligné le fossé entre le droit et sa pratique effective.

Je voudrais souligner que, s'il y a des pratiques éminemment contestables qui ne sont pas sanctionnées, nous avons affaire, au-delà, à une régression très préoccupante du droit lui-même dans notre pays.

Ces quatre dernières années, Gouvernement et majorité se sont livrés à une escalade sécuritaire. En effet, pas moins de six lois ont été votées par la majorité qui, toutes, ont contribué à la stigmatisation de telle ou telle catégorie de personnes et à la surenchère pénale, spirale sans fin désagrégeant la solidarité entre les personnes, exacerbant la violence des rapports sociaux et n'ayant aucun effet sur la baisse de la criminalité ; le modèle américain est là pour le prouver.

Et ce n'est pas fini ! J'en veux pour preuve, d'une part, le projet de loi sur l'immigration, modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou projet CESEDA, qui tend tout simplement à nier les droits des étrangers, et, d'autre part, la nouvelle remise en cause de l'ordonnance de 1945, qui régit la justice des mineurs.

Le vote de l'état d'urgence a été, quant à lui, emblématique de l'idéologie dangereuse véhiculée par la droite et alimentée par les dérapages verbaux du ministre de l'intérieur avec le soutien du Gouvernement.

La crise sociale a été ethnicisée. Des boucs émissaires ont été désignés dont, en premier lieu les étrangers, avec le cortège de lieux communs que sont la polygamie, le rap ou les mariages mixtes ! Après les mendiants, les prostituées, hommes ou femmes, ou encore les gens du voyage, ce sont les habitants des quartiers populaires, les pauvres, les jeunes, ainsi, je le répète, que les étrangers, qui ont été stigmatisés.

Ces derniers sont, en effet, l'objet d'une traque grandissante. Ainsi les préfets sont-ils sommés de faire du chiffre en matière de reconduites à la frontière. Quant à la police, elle n'hésite pas à aller chercher les enfants d'immigrés à l'école pour les mener en centres de rétention, alors que l'expulsion de mineurs est interdite en droit français !

Contre ces pratiques honteuses, des associations, des enseignants, des parents d'élèves, des citoyens agissent au sein du Réseau éducation sans frontières, ou RESF, qu'ils ont créé tous ensemble.

Pour sa part, le groupe auquel j'appartiens a déposé une proposition de loi en faveur du respect du droit à l'éducation de ces jeunes, disposition qui empêcherait au couperet de l'année scolaire de fonctionner. Dès lors, monsieur le garde des sceaux, je souhaiterais savoir, comme la collègue qui m'a précédée à cette tribune, ce que vous comptez faire pour éviter que le 30 juin, date des vacances scolaires, les enfants ne soient reconduits à la frontière, car, que je sache, l'éducation est l'un des moyens les plus efficaces de cette intégration dont vous nous rebattez les oreilles.

De plus, dans une circulaire ministérielle du 21 février, il est prévu que les étrangers en situation irrégulière pourront être arrêtés même s'ils se trouvent dans un bloc opératoire. Voilà qui est pour le moins monstrueux !

S'agissant de la justice, sa lenteur, qui est surtout due à l'insuffisance de personnels, ne doit pas masquer la multiplication des procédures expéditives à l'encontre tant des jeunes des banlieues, en novembre dernier, que des manifestants anti-CPE ou encore des étrangers en zone d'attente, comme le confirme le rapport de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, l'ANAFE.

En revanche, monsieur le garde des sceaux, rien n'est fait pour favoriser le « vivre ensemble », qui repose avant tout sur l'intégration dont vous nous parlez sans cesse. Vous avez même refusé d'accorder le droit de vote aux étrangers lors des élections locales, alors que vous savez pertinemment combien ce droit est symbolique de l'intégration et du lien social ; dois-je rappeler que ce droit de vote est réclamé par la majorité de la population ?

S'agissant de la détention, je fais partie des quelques parlementaires, sénateurs ou députés, qui se rendent régulièrement dans les centres de détention. J'invite donc l'ensemble de mes collègues à faire de même.

La réalité, souvent insupportable, correspond tout à fait à celle qu'a décrite M. Gil-Robles. C'est ainsi que le centre de rétention de Paris, par exemple, est bien dans l'état immonde qu'il évoque. Or ce centre est toujours ouvert, alors qu'il aurait dû être fermé l'an dernier. On nous dit maintenant qu'il fermera ses portes au mois de juin prochain ; quoi qu'il en soit, nous serons très vigilants sur ce point.

Il est, par conséquent, inconcevable, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez considéré le rapport de M. Gil-Robles comme « injuste » et ne reflétant pas « la réalité des efforts menés par les gouvernements successifs depuis 2002 ».

Concernant les prisons, notre collègue a raison d'affirmer que le fait de continuer à en construire, loin d'apporter une solution à la surpopulation carcérale, participe, au contraire, d'une véritable fuite en avant.

À Liancourt, une nouvelle prison a été construite pour remplacer l'ancienne. Or le résultat est le suivant : les deux fonctionnent !

Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement quand les lois sécuritaires que j'ai évoquées ont pour effet direct l'augmentation constante du nombre des détenus ?

Pour ce qui est des mineurs, vous avez, monsieur le garde des sceaux, confirmé la création de vingt-neuf centres éducatifs fermés et de six nouveaux établissements pénitentiaires d'ici à 2007 : autant de « réponses » correspondant à l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale et à la primauté donnée à la sanction sur l'éducation et la prévention, cette dernière étant toujours absente des projets de ce Gouvernement et de sa majorité.

Parallèlement, j'ai dénoncé la fermeture programmée du quartier intermédiaire pour sortants, ou QIS, du centre pénitentiaire de Fresnes, l'une des rares structures participant à la réinsertion des détenus les plus vulnérables et à la lutte contre la récidive.

À cet égard, le médecin chef-psychiatre de Fresnes, Mme Christiane de Beaurepaire, envisage, comme cela a déjà été dit, d'user de son droit d'alerte pour obtenir des effectifs infirmiers. Pour avoir personnellement visité ce centre l'an dernier, je comprends vraiment son inquiétude. Quelle réponse allez-vous y apporter, monsieur le garde des sceaux ?

Il vous faut entendre cette personnalité, comme il vous faut être attentif à l'appel des associations et des personnalités qui déclarent, au sujet des prisons, que « trop c'est trop » ; par ailleurs, il vous faudra tenir compte des propositions des états généraux de la condition pénitentiaire, idée lancée par l'Observatoire international des prisons, l'OIP.

Pour l'heure, vous semblez rester sourd alors que vous devez agir : les discours ne suffisent pas !

En 2001, des sénateurs, dont certains sont présents aujourd'hui, avaient qualifié les prisons françaises « d'humiliation pour la République ».

Combien faudra-t-il de condamnations de la France, voire de suicides dans les prisons, pour que vous acceptiez de réfléchir réellement à une transformation des conceptions carcérales ? En effet, depuis 2001, je n'ai guère eu de soutien de votre part en faveur de tous ceux - professionnels, associations, détenus - qui tirent la sonnette d'alarme et se mobilisent pour que le rapport parlementaire de 2001 ait une suite.

Vous étiez même favorables à l'époque, mes chers collègues, à la mise en place d'un contrôleur général des prisons, extérieur à l'administration pénitentiaire. Or, depuis, rien ne s'est passé !

En outre, selon le rapport de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, il ressort que vous étiez hostiles à l'incarcération de ces derniers. Pourtant, depuis cette date, le Gouvernement n'a cessé de la promouvoir !

La lamentable affaire d'Outreau a amené certains à pousser des cris d'orfraie sur la détention provisoire. Or tout ce qui a été voté depuis quatre ans va précisément dans le sens de la détention provisoire !

Voilà plus de trente ans, Valéry Giscard d'Estaing avait eu le mérite de dire que la prison était la privation de liberté et rien d'autre. Hélas, les conditions de détention dans nos prisons entraînent non seulement la privation de liberté, mais aussi la dégradation à coup sûr de l'état social, sanitaire et psychique des détenus !

Aujourd'hui, la prison fait d'eux des personnes irresponsables, sans droits, sans avenir. Il est donc urgent d'améliorer les conditions matérielles de détention, en luttant contre l'oisiveté grâce au travail et à la formation, et en permettant aux détenus de participer à l'organisation de la vie en détention. Il convient de leur octroyer des droits - je pense, notamment, à un revenu minimum - et de leur donner les moyens de se réinsérer, comme nous y invite, d'ailleurs, le rapport du Conseil économique et social de février dernier. Il s'agit là d'un rapport très intéressant et que les parlementaires qui, en 2001, se sont insurgés contre les conditions de détention ont dû lire avec intérêt !

De la même manière, il faut accorder des droits supplémentaires aux personnels pénitentiaires, passant par une formation de qualité et une redéfinition de leurs statuts qui ne les excluent plus des droits généralement accordés aux citoyens. Il faut leur donner les moyens de travailler dans la dignité et de prendre en charge les personnes incarcérées dans le respect des droits de chacun.

En outre, il est urgent de lever le secret sur l'administration des prisons, grâce à la création du poste de contrôleur général des prisons, extérieur à l'administration pénitentiaire, rôle que ne peut remplir le Médiateur de la République, malgré les qualités de ce dernier.

Enfin, il est nécessaire d'engager un débat serein sur la perpétuité et les peines de sûreté. Vous qui aimez les comparaisons européennes, monsieur le garde des sceaux, ayez donc le courage de constater que la France est le seul pays à prévoir des peines de sûreté aussi longues. Aux dix condamnés à perpétuité de Clairvaux qui, l'an dernier, ont demandé « le rétablissement de la peine de mort » pour eux-mêmes, vous avez répondu en ironisant sur leur démarche et sur les conditions de détention dans cette prison. S'il n'y a rien de très étonnant dans cette prise de position de la part d'un ancien député ayant voté contre l'abolition de la peine de mort, elle n'en est pas moins proprement scandaleuse lorsqu'elle émane d'un ministre de la justice !

Il est grand temps d'entamer un débat national - certains parlent d'un projet de loi pénitentiaire que la gauche n'a pas eu le courage de présenter ni, a fortiori, de faire voter, ce que, personnellement, je regrette - qui porterait sur l'utilité et le sens de la peine ainsi que sur les missions de l'administration pénitentiaire.

Il est grand temps d'appliquer les préconisations européennes en matière de détention concernant, en particulier, les moyens que notre pays entend consacrer à la justice, alors qu'il se situe aujourd'hui au vingt-troisième rang des pays européens ; puisque vous aimez les comparaisons, monsieur le garde des sceaux, essayez donc de prendre en compte les besoins réels de la justice dans notre pays !

Notre collègue Jacques Pelletier a été bien inspiré en souhaitant qu'un tel débat ait lieu aujourd'hui. Pour ma part, j'émets le voeu que le groupe d'études sur les droits de l'homme du Sénat, qu'il préside et auquel je participe, soit en état de veille permanente pour dénoncer toute atteinte aux droits des personnes.

En effet, il nous faut tenir compte tout à la fois de certaines évolutions préoccupantes telles que le développement de la surveillance et du fichage, de différents textes actuellement en discussion ou en préparation concernant les migrants ou la justice des mineurs. Je n'aurai garde d'oublier le gigantesque « bordel » qui se produira à l'occasion de la prochaine Coupe du monde de football, si nous ne nous mobilisons pas. À cet égard, il me semble que les parlementaires devraient montrer l'exemple !

En conclusion, je dirai simplement que l'on ne saurait être sélectif en matière de droits de la personne. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à vous préoccuper constamment de la situation de notre pays dans tous les domaines que j'ai évoqués.

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