Intervention de Roland Ries

Réunion du 11 mai 2006 à 10h00
Autopartage — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission.

Photo de Roland RiesRoland Ries, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui porte sur l'autopartage, et vous me permettrez en préambule de rappeler brièvement ce qu'est l'autopartage, car il règne une grande confusion à ce sujet.

Un philosophe de l'Antiquité disait : « Il est beaucoup plus intéressant d'utiliser que de posséder. » Cette réflexion d'une étonnante modernité est au coeur du dossier qui nous occupe aujourd'hui.

En effet, l'autopartage - en anglais, car sharing - consiste, pour une société ou une association, à mettre une flotte d'automobiles à la disposition d'abonnés ou de porteurs de parts de la société pour de courtes durées, de l'ordre de vingt-quatre heures. L'autopartage s'apparente donc à une forme particulière de location et est très différent du covoiturage, qui consiste, lui, à partager un trajet en regroupant dans une même voiture plusieurs passagers intéressés par un même itinéraire.

L'intérêt de l'autopartage est donc de permettre aux citadins qui le souhaitent de ne plus être propriétaires d'une voiture dont ils se servent trop peu, tout en ayant la possibilité d'utiliser de façon ponctuelle un véhicule.

L'autopartage a connu en l'espace d'une décennie un développement spectaculaire dans plusieurs pays européens du Nord, ainsi qu'aux États-Unis et au Canada.

En France, hélas, cette formule de mutualisation de l'usage des véhicules automobiles n'a pas connu le même essor. Il y a bien quelques expériences prometteuses à Paris, avec Caisse-Commune, à Strasbourg, avec Autotrement, et dans plusieurs autres villes de l'Hexagone, mais, globalement, la France est dans ce domaine très en retard sur les autres pays de l'Union européenne ; et je n'évoque même pas la Suisse, qui dispose d'un système d'autopartage couvrant l'ensemble de son territoire.

L'explication parfois avancée pour rendre compte de ce retard, c'est que les Français seraient naturellement plus attachés à la propriété de leur voiture que les citoyens des autres pays. Cette explication de caractère culturel, voire ethniciste, ne résiste cependant pas à l'analyse. La relation irrationnelle à l'automobile, d'ailleurs entretenue au quotidien par un matraquage publicitaire de grande ampleur, existe aussi dans les autres pays, qui, malgré cela, sont largement en avance sur nous pour l'utilisation mutualisée de l'automobile.

Ce constat m'a conduit, pour y voir plus clair, à organiser le 5 décembre dernier, ici même au Sénat, un colloque consacré à l'autopartage. L'une des conclusions de cette rencontre, à laquelle ont participé une centaine de responsables de l'autopartage en France et en Europe, était que, à côté des freins qui s'opposent communément à l'autopartage, la France était victime d'un handicap supplémentaire de caractère juridique et institutionnel. Par exemple, alors que dans la plupart des autres pays la mise à disposition de places de stationnement pour donner une bonne visibilité au système ne pose pas de problème juridique particulier, il n'en va pas de même chez nous : le caractère non privatisable du domaine public en droit français a empêché jusqu'à présent les collectivités locales de mettre à la disposition des structures d'autopartage les places de stationnement des véhicules mutualisés.

De même, la frontière entre la location classique et l'autopartage n'ayant pas été, chez nous, définie avec précision, le flou juridique qui en résulte constitue une entrave au développement de l'autopartage. Du côté des loueurs professionnels, on est parfois méfiant à l'égard de la montée en puissance d'un système perçu comme concurrent. Du côté des responsables de l'autopartage, la même prévention existe à l'égard d'une activité purement marchande à laquelle ils ne veulent pas être assimilés. Au lieu de travailler dans la complémentarité, comme cela se pratique dans les pays où l'autopartage se développe, chacun soupçonne l'autre de vouloir mettre la main sur l'ensemble du domaine de l'utilisation non privative de l'automobile.

La proposition de loi qui vous est soumise doit permettre de clarifier la situation et de dépasser des méfiances qui n'ont pas lieu d'être. Elle tend également à labelliser l'activité d'autopartage afin de la distinguer clairement de la location classique et de faciliter le soutien des collectivités publiques, notamment dans la phase délicate du lancement de l'opération.

La philosophie générale qui sous-tend cette proposition de loi se trouve tout entière dans un avis rendu le 27 juin 1972 - vous avez bien entendu : 1972 ! - par le Conseil d'État, avis qui met bien en relief l'originalité de l'autopartage par rapport à la location classique de voitures. Il s'agit, selon lui, d'une activité d'intérêt général et non purement commercial : « L'objet déterminant de la création du service dont il s'agit [l'autopartage] est de réduire dans toute la mesure du possible les difficultés devenues quasi insurmontables de la circulation en zone urbaine en limitant le nombre de voitures en stationnement. »

L'intérêt général de l'autopartage se décline sur trois plans : la protection de l'environnement, l'effectivité du droit au transport et l'amélioration de la circulation dans les zones urbaines.

L'autopartage concourt à mieux préserver notre environnement. Le recours à un véhicule en temps partagé permet à son utilisateur de prendre véritablement conscience du coût de l'usage de la voiture et donc de le rationaliser. En effet, l'ensemble des dépenses liées au véhicule automobile sont concentrées en un seul prix au lieu d'être disséminées entre plusieurs services. Dès lors, l'usager, parce qu'il identifie clairement le coût d'usage, n'utilise le véhicule en temps partagé que lorsque cela est réellement nécessaire. Le taux de possession de véhicules des ménages diminue lui aussi, de même que le nombre de kilomètres parcourus et, par conséquent, l'énergie consommée et les gaz polluants émis. La charte de l'autopartage mise en place par les professionnels affirme du reste clairement cet objectif de protection de l'environnement.

L'autopartage renforce aussi le droit au transport, corollaire de la liberté d'aller et venir, c'est-à-dire, aux termes de l'article 1er de la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, la LOTI, le droit pour l'usager « de se déplacer et la liberté d'en choisir les moyens ». Cette liberté de choisir ne peut être effective qu'à des « conditions raisonnables d'accès, de qualité et de prix », selon l'article 2 de cette même loi.

Les taxis, comme les transports en commun, offrent certes des moyens de se déplacer, mais ils sont limités en termes de flexibilité, de disponibilité et de coût ! L'autopartage trouve ainsi son créneau en permettant de pallier ces inconvénients par une offre vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an.

De plus, ce service offre un accès à un véhicule automobile pour un coût moins important que l'acquisition d'une voiture particulière. C'est donc l'assurance pour les catégories sociales les moins favorisées de pouvoir accéder à bon compte à un véhicule en bon état.

Troisièmement, l'autopartage facilite la fluidité des trafics.

La voiture en temps partagé est en effet un moyen de déplacement complémentaire aux transports en commun, mais aussi aux déplacements effectués en taxi, en vélo ou même à pied.

Enfin, la voiture en temps partagé permet de diminuer le nombre total de véhicules. Chez Caisse-Commune, par exemple, on compte une voiture pour dix-sept adhérents. Le gain en matière d'espace sur la voirie est évidemment incontestable.

On le voit, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intérêt général amène à soutenir l'autopartage. Il apparaît dès lors logique que les autorités organisatrices de transport puissent intégrer l'autopartage dans la boîte à outils qui leur permet de mettre en oeuvre des politiques globales et cohérentes de mobilité !

Je pense d'ailleurs que cette intégration de l'autopartage, de même que celle du covoiturage, du transport à la demande et des taxis collectifs, devrait faciliter la sortie d'un vieux débat stérile qui tend à opposer le transport public et l'automobile.

En fait, entre le transport en commun classique - les bus, les tramways, les métros, les trains - et l'usage privatif de l'automobile, on voit apparaître aujourd'hui toute une palette d'offres de transport intermédiaire, dans lesquelles l'automobile joue le rôle de mini transport en commun.

L'objectif est bien de rationaliser l'usage des véhicules, quels qu'ils soient, pour les remplir le mieux possible et optimiser leur fonctionnement.

Il s'agit donc de répondre à la demande de transport avec pragmatisme, en fournissant l'offre de transport la mieux adaptée aux besoins du moment. Si le « tout automobile » montre à l'évidence ses limites aujourd'hui, le tout transport en commun n'est guère plausible, notamment sur le plan économique.

Mes chers collègues, c'est donc bien sûr l'ensemble de la gamme de l'offre de transport que les autorités organisatrices doivent pouvoir jouer pour offrir le meilleur service au moindre coût, tenir compte des aspects environnementaux et partager l'espace public au mieux de l'intérêt général.

Faut-il une loi pour faire avancer le dossier ? Cette question a été longuement discutée.

De mon point de vue, la réponse est positive, ne serait-ce que parce que cette nouvelle donne dans le domaine des transports exige des modifications ou des ajouts dans le dispositif législatif existant, ce qui est forcément du ressort de la loi.

Plusieurs pays européens ont du reste eu recours à des modifications législatives pour faciliter l'émergence de ces nouvelles formes d'offres de transports de personnes.

La commission n'est évidemment pas encline à alimenter l'inflation législative. Mais le développement de l'autopartage en France reste aujourd'hui très limité, alors même qu'il connaît un réel essor chez la plupart de nos voisins et que tout le monde reconnaît son intérêt. Les freins se situent bien, me semble-t-il, dans l'absence d'un vrai cadre juridique facilitant la promotion de ce service. Pour les dépasser, la commission a adopté un dispositif de six articles, que je vous présenterai très brièvement.

L'article 1er porte sur la nécessaire définition de l'autopartage.

L'article 2 renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination du label « autopartage » qui doit préciser les conditions de mise en oeuvre de cette activité.

L'article 3 sanctionne l'utilisation abusive du label « autopartage ».

L'article 4 est très important : il permet au maire, s'il le souhaite, de réserver des emplacements de stationnement aux véhicules d'autopartage.

L'article 5 permet aux constructeurs d'immeubles, qui doivent prévoir un certain nombre de places de stationnement, de satisfaire à une partie de leurs obligations en prévoyant des places d'autopartage.

Enfin, l'article 6 permet de prévoir l'inscription d'emplacements réservés aux véhicules d'autopartage dans les plans de déplacements urbains, les PDU, en modifiant dans ce sens l'article 28-1 de la LOTI.

Je voudrais enfin, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous faire part de ma satisfaction de voir ce texte inscrit à l'ordre du jour du Sénat et je me réjouis que la Haute Assemblée soit en pointe sur ce dossier.

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