Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 11 mai 2006 à 15h00
Autopartage — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission.

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me voyez aujourd'hui tout à la fois étonnée et réjouie d'examiner une proposition de loi, déposée par Roland Ries et mes collègues socialistes, concernant la promotion de l'autopartage.

Je ne puis m'empêcher de penser que, voilà dix ans, une telle proposition de loi n'aurait peut-être pas été mise à l'ordre du jour d'une assemblée parlementaire en général, de la nôtre en particulier.

Voilà dix ans, le réchauffement climatique, déjà largement perceptible sur notre planète, affolait principalement les climatologues et les milieux écologistes.

Alors que les scientifiques du monde entier s'accordaient pour nous alerter sur la cause humaine du dérèglement climatique, une grande part de la classe politique continuait à faire crédit, non sans complaisance, aux arguments qui évoquaient essentiellement un phénomène naturel et, donc, inéluctable.

À cette époque, les campagnes publicitaires encourageant les économies d'énergie avaient des allures de « réchauffé » post-choc pétrolier des années soixante-dix. On n'était plus tout à fait dans la « chasse au gaspi », on n'avait toujours pas de pétrole et plus guère d'idées !

Au niveau international, la prise de conscience a eu lieu relativement rapidement. En 1992, lors du Sommet de la terre de Rio, était adoptée une convention-cadre contre les changements climatiques. Cinq ans plus tard, à Kyoto, une première étape invitant à des efforts somme toute modestes était engagée.

Il a fallu huit ans d'efforts pour obtenir l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Les États-Unis d'Amérique ne l'ont toujours pas ratifié, non plus que l'Australie. Si le protocole conseille un certain nombre d'outils permettant de satisfaire aux engagements pris par la communauté internationale, force est de reconnaître que les politiques et les mesures nationales n'ont guère été mises en oeuvre de façon résolue en Europe. Cependant, l'Europe seule a mis en place un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre.

Pendant cette période, les événements climatiques extrêmes se sont multipliés. En France, en 2003, la canicule a entraîné la mort de 12 000 personnes. Aux États-Unis, en 2005, le cyclone Katrina a ravagé la Nouvelle-Orléans. Aujourd'hui, rares sont ceux qui ne font toujours pas le lien entre ces événements et l'évolution du climat.

Encore faut-il préciser que c'est le climat tout entier qui est bouleversé. Depuis que l'Organisation météorologique internationale mesure le climat mondial, on a pu observer que les dix dernières années ont été les plus chaudes. Dans nos montagnes, la durée d'enneigement a été sévèrement raccourcie, à l'exception, notable, de cette année. Je pense également au recul des glaciers, à la fonte des pôles et à la modification profonde des aires de répartition des végétaux et des animaux.

En France, quelle est la situation ? En France, on communique. En France, on rédige des rapports. Bref, en France, on noie le poisson ! J'en veux pour preuve l'activité vibrionnante des lobbyistes du nucléaire, qui nous invitent à considérer, au mépris des faits et des données scientifiques, que cette technologie est la seule solution à l'effet de serre.

Il faut se rendre compte de l'ampleur du chantier. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait insisté, en rendant compte des travaux de la mission interministérielle de l'effet de serre, sur la nécessité de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre avant 2050, afin de limiter l'« emballement » du climat.

Le seul secteur des transports émet aujourd'hui plus de gaz à effet de serre que ce qui sera autorisé en 2050, tous secteurs d'activité confondus.

Le pétrole, qui représentait 57 % de la consommation énergétique totale en 1973, ne représente plus que 36 % de celle-ci en 2005. Mais, dans le même temps, c'est-à-dire en trente ans, la part des transports est passée de 34 % à 65 % ! Et la consommation de pétrole a augmenté de 70 % dans le secteur des transports.

Comme vous le savez, l'Union européenne a pris l'engagement, à Kyoto, de réduire de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre. La France est simplement tenue de stabiliser ses émissions entre 1990 et 2010.

Depuis 1990, le secteur des transports, qui totalise 26 % des émissions totales de gaz à effet de serre, est en croissance de plus de 20 %, à la différence notable du secteur industriel, qui a fait mieux que respecter ses engagements, puisque ses émissions ont été réduites de 20 % sur la même période.

Évidemment, les freins sont nombreux. Je pense tout d'abord à la forte croissance du secteur des transports, à la dépendance pratiquement totale de ce secteur à l'égard du pétrole, au caractère extraordinairement diffus des émissions et des consommations, sur fond d'étalement urbain, de diminution du temps de travail, de l'augmentation des activités de loisirs et dans le contexte de la mondialisation.

Pendant très longtemps, nous avons entretenu l'illusion selon laquelle les progrès des motorisations et des carburants permettraient de résoudre une bonne partie du problème. Ces progrès ont été très réels, notamment en raison de la coordination des efforts. Ainsi, à l'échelon communautaire, plusieurs directives ont permis, étape par étape, de réduire effectivement les pollutions. Cependant, les efforts des constructeurs ont été annihilés non seulement par l'augmentation du nombre des véhicules en circulation, mais aussi et surtout par l'augmentation de leur poids et de leur équipement, par la banalisation et la généralisation de la climatisation, par exemple. Une partie de ces efforts est liée à nos exigences en matière de sécurité, notamment de sécurité passive des véhicules.

Toutefois, comme l'a très bien dit tout à l'heure Roland Ries, les dérives les plus graves ont été encouragées par la publicité. Je pense à la banalisation des 4x4 en ville. L'ADEME, qui n'est pas une officine écologiste excessive, considère que ces véhicules consomment 40 % de plus que les véhicules conventionnels en ville. Les dix modèles de 4x4 les plus vendus en France émettent 350 grammes de CO2 par kilomètre, soit à peu près trois fois le chiffre correspondant aux engagements pris par les constructeurs dans le cadre de l'accord volontaire passé avec les institutions européennes. Ils sont beaucoup trop puissants pour une circulation en ville qui est autorisée soit à 30 kilomètres par heure, soit à 50 kilomètres par heure. Ils sont suréquipés, ils sont bien sûr climatisés, ils induisent des comportements désastreux de la part des conducteurs, et il est un peu paradoxal que bien des femmes qui conduisent ces véhicules se disent rassurées parce que c'est plus facile de s'insérer dans le flux de la circulation, de changer de file, de dépasser, bref, de s'imposer de façon virile et machiste dans la circulation.

La situation se dégrade également en raison de l'impuissance des pouvoirs publics et des entreprises publiques à proposer des alternatives à la route, notamment en matière de transport des marchandises, à la fois pour la longue distance et pour les livraisons en ville.

À cet égard, des décisions irrationnelles, incohérentes, ont parfois été prises. J'en veux pour preuve la panne du dossier ferroviaire Lyon - Turin et l'abandon des engagements pris concernant la modernisation de la ligne Lyon - Strasbourg pour permettre le transport des conteneurs maritimes.

Je pense encore à l'examen ici même, voilà quelques semaines, d'une proposition de loi à la demande de l'une de nos collègues, qui souhaitait accélérer la réalisation de la section entre Balbigny et La Tour-de-Salvagny de l'autoroute A 89.

Je ne crois pas à la loi pour régler les problèmes locaux.

Loin de moi la volonté de stigmatiser l'attitude de l'actuel gouvernement, car les différents gouvernements qui se sont succédé se sont montrés hésitants, qu'il s'agisse de l'encouragement des transports publics, de la remise en cause de la place extravagante laissée au transport routier ou encore des dispositifs encourageant la réduction du transport automobile.

Ainsi, pendant les années au cours desquelles j'ai été ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, si j'ai pu remettre en cause quelques projets autoroutiers injustifiés et mettre en place des incitations fiscales au développement des véhicules propres, je n'ai pu empêcher la suppression de la vignette, mesure qui constituait un très mauvais signal sur le plan de l'environnement.

Je n'aurai garde d'oublier, depuis 2002, la relance de certains problèmes autoroutiers - l'A 41 entre Annecy et Genève, l'A 51 entre Grenoble et Sisteron, cela au mépris de nos engagements internationaux -, la baisse incessante des crédits du ministère de l'écologie et du développement et, bien sûr, la tentative de suppression des dotations de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, ONERC, et de la mission interministérielle de l'effet de serre, MIES, découverte dans le projet de loi de finances pour 2006 à l'automne dernier. Peut-être est-ce parce que L'ONERC déplorait le réel manque d'efficacité des outils mobilisés pour aboutir à une baisse des émissions de gaz à effet de serre, notamment dans le secteur des transports, qui suscite aujourd'hui « les plus grandes préoccupations compte tenu de la très faible substituabilité du pétrole » ?

Alors il faut agir ! Il faut agir en articulant ce qui relève de la responsabilité de l'usager - à cet égard, l'étiquetage des véhicules me paraît une initiative bien venue, mais la responsabilité de l'usager ne peut pas se limiter à une opération de culpabilisation, d'autant qu'on lui offre rarement la moindre alternative commode et accessible à la voiture individuelle ! - et, bien entendu, ce qui relève des pouvoirs publics, qui « causent » beaucoup et agissent peu.

L'autopartage s'attaque au gaspillage en proposant d'utiliser moins de véhicules. Il s'attaque à la question du coût pour l'usager ; Ivan Illich avait calculé qu'en intégrant le temps pendant lequel on travaille pour acheter sa voiture, son carburant, son assurance et son parking, et le temps passé dans les embouteillages, on pouvait considérer qu'une voiture roulait à 6 kilomètres par heure, soit à peu près au même rythme qu'un piéton.

L'autopartage nous encourage aussi à réfléchir sur notre utilisation individualiste des biens ainsi qu'à la place que prend la voiture dans l'imagerie d'Épinal de la réussite sociale. Il serait idiot de réduire le débat à : pour ou contre la voiture. L'usager de demain saura combiner la marche, le vélo - avec ou sans assistance électrique -, le bus, le métro, le tramway, le train, la voiture, le taxi, le covoiturage, le plan de déplacement de son entreprise, la location de longue ou de moyenne durée et, bien sûr, l'autopartage.

Toutes ces mesures ont en commun le fait d'induire un nouveau rapport à l'automobile, laquelle ne serait plus ni un signe extérieur de richesse, ni le symbole de la puissance, ni un prolongement du domicile, mais un simple moyen de déplacement.

C'est donc avec enthousiasme que je voterai les conclusions de la commission. Si cette proposition de loi me paraît évidemment loin de constituer « la » solution, c'est une piste, face à un chantier considérable, qui va nous permettre de réorganiser nos villes, de refondre complètement l'offre de transport collectif et de cesser finalement d'aggraver les conditions de vie de nos concitoyens en l'absence de solutions concrètes. Ce texte est donc tout sauf un gadget et c'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à le voter avec le même enthousiasme que moi !

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