Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 8 juin 2011 à 21h30
Bioéthique — Article 12 ter, amendement 41

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

C’est un sujet important et difficile sur lequel notre groupe, notamment avec Jean-Pierre Godefroy, avait déjà, dans le passé, déposé plusieurs amendements. Ils avaient donné lieu et ont donné lieu encore très récemment à des études particulièrement poussées, notamment des services du Médiateur de la République, que je tiens ici à saluer.

La question est très importante. Il s’agit de définir les conditions auxquelles un enfant né vivant mais décédé avant la déclaration de naissance à l’état civil peut disposer de la personnalité juridique. Cette dernière confère aux parents une série de droits importants : l’établissement d’un acte de naissance et de décès, l’octroi d’un nom ou seulement d’un prénom dans le cas d’un acte d’enfant sans vie, le droit aux funérailles, la reconnaissance de droits sociaux, l’inscription sur le livret de famille, les conséquences en matière de succession.

Ces conditions sont mentionnées à l’article 79-1, alinéa 1, du code civil : il faut produire un certificat médical attestant que l’enfant est né vivant et viable. Pour être vivant, il faut qu’il ait respiré à la naissance. Les critères de viabilité étaient, avant la décision de la Cour de cassation, définis par voie de circulaire. Aujourd'hui, les choses sont différentes.

Je tiens à rappeler – et je m’étonne, madame la secrétaire d'État, que vous n’y ayez pas fait allusion – que la circulaire du 22 juillet 1993 est toujours en vigueur.

Cette circulaire s’applique. Que dit-elle ? « Je vous propose – c’est le ministre délégué à la santé qui s’exprime – de retenir comme limite basse d’enregistrement des enfants nés vivants, le terme de 22 semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes à l’exclusion de tout autre critère, en particulier les malformations. Cette information figure dans le modèle du certificat. Il s’agit bien d’un seuil d’enregistrement pour l’état civil, qui ne doit pas être considéré comme un seuil de prise en charge médicale. »

Voilà, madame la secrétaire d'État, les termes de la circulaire aujourd'hui en vigueur.

Pour notre part, il nous paraît très utile de suivre la commission et le rapporteur sur ce sujet. Le fait de renvoyer à un décret en précisant que celui-ci devra respecter les normes édictées par l'OMS apporte toute la clarté nécessaire.

Si l'amendement n° 41 rectifié quater était adopté, la France se distinguerait des autres pays européens qui donnent une définition légale ou réglementaire de la viabilité par référence à des seuils. Le Sénat a d'ailleurs mené une étude de législation comparée tout à fait lumineuse à cet égard.

De surcroît, si nous refusions de partager la position de la commission, la responsabilité des médecins risquerait d’être aggravée, et ce dans un contexte de développement du contentieux médical. On pourrait courir le risque qu’aucun médecin n’ose déclarer viable un enfant décédé à la naissance, puisqu’il devrait se prononcer sur la viabilité effective du fœtus et non appliquer des seuils qui auraient été fixés en vertu d'un décret reprenant la décision de l'OMS.

Cela entraînerait par ailleurs une inégalité de traitement entre les personnes. En effet, les médecins n’ont pas à justifier leur position : le certificat médical se limite à un simple formulaire sur lequel l’autorité médicale appose une croix. Par conséquent, les personnes concernées ne disposeraient pas de voie de recours, alors même qu’elles se verraient privées de droits importants, avec tout le risque d'arbitraire que cela pourrait comporter.

En outre, il n'est pas exact de soutenir que la question des droits sociaux est réglée par l’instruction diffusée par la direction de la sécurité sociale.

Enfin, nous nous trouvons actuellement dans une situation juridique tout à fait absurde. Mes chers collègues, je vous rappelle que l'acte d'enfant sans vie, qui ne confère pas la personnalité juridique au fœtus décédé, a donné lieu au décret du 20 août 2008 et à une circulaire de treize pages. Dans le même temps, il n'y a rien – pas une ligne ! – sur les conditions d'application du premier alinéa de l'article 79–1 du code civil, alors que l’enjeu est l’acquisition de la personnalité juridique, avec toutes les conséquences juridiques que j'ai exposées au début de mon intervention.

Pour toutes ces raisons qui nous paraissent devoir être prises en compte, notre groupe soutient pleinement la position de la commission.

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