Le NHS n'est pas transposable en France, ni dans ses principes ni dans ses modalités, car il est à la fois très centralisé et très étatisé. De plus, les périmètres diffèrent : le NHS vise l'informatisation de l'ensemble du système de santé, c'est-à-dire les hôpitaux publics et privés, les professionnels de santé libéraux, l'assurance maladie et le dossier médical personnel. Pour la Grande-Bretagne, cela revient à un investissement d'environ 2, 5 milliards d'euros par an. De notre côté, les sommes consacrées à l'ensemble de ces systèmes d'information représentent 2, 4 milliards d'euros par an, toutes mesures confondues.
Par conséquent, monsieur le rapporteur spécial, comparons au moins ce qui est comparable ! D'ailleurs, le projet britannique connaît aujourd'hui de réelles difficultés dont vous n'avez pas parlé tout à l'heure. Pour ma part, je préfère une approche pragmatique au Grand soir opéré dans d'autres pays, même si je ne porterai pas de jugement, car leur histoire et leurs besoins diffèrent des nôtres.
Ce qui est certain, c'est que, pour être une réussite, le dossier médical personnel doit pouvoir être mis en place progressivement. Évitons donc de nous focaliser sur le seul projet britannique. En effet, d'autres pays, notamment le Canada et l'Espagne, plus précisément, d'ailleurs, l'Andalousie, ont adopté des systèmes qui prouvent combien l'approche choisie par la France est certainement la plus à même de réussir, compte tenu des délais que nous nous sommes impartis et des moyens que nous avons voulu y allouer. Si le projet des Britanniques a effectivement le mérite de la cohérence, la situation qu'ils connaissaient était tellement spécifique qu'elle rendait cette refonte indispensable.
Le DMP est donc la pierre angulaire de cette stratégie globale. Il prouve que l'informatisation du système de santé profite avant tout aux patients. Dans cet hémicycle, nous le savons tous, en tant qu'élus, bien sûr, mais aussi en tant qu'assurés sociaux, il existe une multiplicité de données informatiques produites par les professionnels de santé. Ces derniers souhaitent qu'elles soient généralisées et ordonnées, afin de pouvoir les partager entre eux, mais également de les transmettre à leurs patients. Voilà pourquoi il nous fallait mettre en place ce projet central du dossier médical personnel.
Le DMP est donc un dossier médical, informatisé et sécurisé, sous le contrôle du patient. Il importe de bien le rappeler, le responsable de ce dossier est, avant tout, le patient lui-même, qui en maîtrisera le contenu en permanence.
En regroupant l'ensemble des éléments relatifs à la santé et à la prévention, le DMP favorisera la coordination des soins et, partant, leur qualité et leur continuité. Je l'ai indiqué à l'instant, il nous permettra d'abord de lutter contre les interactions médicamenteuses et la redondance des soins. Je voudrais d'ailleurs m'attarder un instant sur ce sujet, pour remettre d'une certaine façon les choses à leur place.
Lors de la réforme de l'assurance maladie, discutée au cours de l'été 2004, Philippe Douste-Blazy avait déclaré que le dossier médical personnel serait un outil privilégié de la maîtrise médicalisée, laquelle nous permettrait, à l'horizon 2007, année de la mise en place du dossier médical personnel, de réaliser 3, 5 milliards d'euros d'économies.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez bien car nous avons déjà eu l'occasion de nous expliquer sur ce sujet, nous n'avons pas attendu 2007 pour mettre en place cette maîtrise médicalisée des dépenses. Cela nous a permis de faire des économies, sans toucher à la qualité des soins, bien au contraire, puisque nous l'avons même améliorée.
Ainsi, en 2005, nous avons d'ores et déjà réalisé plus de 800 millions d'euros d'économies grâce à la maîtrise médicalisée, à de meilleures prescriptions, voire à des contrôles plus efficaces. Nous continuerons dans cette voie en 2006 et en 2007. Vous l'aurez compris, il n'est pas question d'attendre la généralisation du DMP pour progresser dans la maîtrise médicalisée.
Autre point important à souligner, le dossier médical personnel nous permettra d'éviter les actes redondants et inutiles et, donc, de nombreux gaspillages. En effet, quel avantage pour la santé y a-t-il à passer le même examen à quelques jours d'écart seulement ? Aucun, bien évidemment ! Que coûte l'ensemble de ces examens redondants dans notre pays ? Un milliard et demi d'euros par an ! Pour ma part, je préfère qu'une telle somme soit utilisée pour améliorer les pratiques, voire pour prendre en charge de nouveaux actes de santé, ce que nous ne pouvions pas faire auparavant, au vu du niveau des déficits de l'assurance maladie constaté à l'époque.
J'en viens à la question des interactions médicamenteuses.
À cet égard, le professionnel de santé qui ne dispose pas actuellement d'une vision globale de ce qui est prescrit à son patient, parce que ce dernier ne peut pas ou ne veut pas le renseigner, n'a aucune garantie en la matière. Or, ne l'oublions pas, les interactions médicamenteuses sont à l'origine de 128 000 hospitalisations par an, soit une moyenne de 350 hospitalisations par jour. Avec le dossier médical personnel, lors de ce dialogue toujours singulier qui a pour cadre le cabinet médical, le professionnel de santé sera en mesure de savoir ce qui aura été prescrit à son patient et de pouvoir éviter que de tels drames de santé ne se produisent.
Comme l'a rappelé Mme Debré tout à l'heure, le DMP nous permettra de disposer d'un outil de promotion de la qualité des soins. D'ailleurs, les Français ne s'y sont pas trompés et ont bien intégré le fait que le dossier médical personnel était avant tout un outil de qualité des soins. Voilà pourquoi, au-delà des seuls professionnels de santé, ils nous ont apporté un soutien populaire massif pour cet outil auquel ils tiennent.
Au demeurant, de nombreux Français qui se rendent dans un cabinet médical informatisé disposent déjà d'un tel dossier personnel. Ils voient leur médecin pianoter sur le clavier de leur ordinateur pour traduire, en quelques mots, leur état de santé. Bien souvent, l'ordonnance est même délivrée informatiquement.
Par conséquent, le véritable enjeu de la réforme est de s'appuyer sur l'existant, car nous ne partons pas de rien. Ce faisant, le professionnel de santé, en ville ou à l'hôpital, pourra avoir accès aux informations concernant le patient qui vient le consulter, si ce dernier lui donne son accord. Dans le cadre de certains réseaux, notamment en cancérologie, le « dossier patient » est déjà une réalité et entraîne, je le souligne encore une fois, une meilleure prise en charge.
Le DMP permettra aussi au patient d'accéder à l'ensemble des informations médicales le concernant, qu'il sera libre de fournir au professionnel de santé. Il s'agit donc d'un outil de simplification extraordinaire, qui pourra contenir les prescriptions, les comptes rendus d'opérations, les radios ou les scanners. Aujourd'hui, vous le savez bien, on ne va pas chez un médecin avec l'ensemble de son dossier médical sous le bras. Demain, il sera possible d'accéder facilement à l'historique des soins. Mesdames, messieurs les sénateurs, un tel progrès doit être apprécié à sa juste valeur.
Nous avons conçu ce projet en nous attachant à notre devoir de respect de la vie privée des patients, comme le soulignait tout à l'heure Mme Debré. En la matière, nous suivons une politique très exigeante de confidentialité, et la France a, là aussi, une longueur d'avance, grâce à la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui est très soucieuse de la protection des données de santé.
Parce que nous avons voulu un dispositif simple et au service de tous, il nous fallait passer aussi par une phase de concertation avec tous les acteurs.
Je souhaite, c'est vrai, que l'on puisse obtenir un outil consensuel, simple d'utilisation - j'assume cette exigence - et très vite opérationnel, ce qui nécessite d'associer à son élaboration les futurs utilisateurs.
J'ai bien entendu, depuis le début, l'ensemble des questions qui se posent, et notamment celles qui se posent aux patients et qui sont liées à la dématérialisation et au stockage, chez un hébergeur privé, de données personnelles. Nous nous assurons de la totale sécurité du dispositif. Mais je suis confiant dans le bon sens des uns et des autres et s'agissant de leur confiance. Je suis également confiant dans l'appropriation, car le DMP leur simplifiera la vie.
À titre d'exemple pour celles et ceux qui nous objecteraient que l'informatique n'est pas encore totalement entrée dans les moeurs, je citerai la progression des télédéclarations pour l'impôt sur le revenu : on en dénombrait quelques milliers la première année ; nous en attendons dix millions en 2006, troisième année de la mise en ligne de ce service.
J'ai aussi entendu les questions qui se posent aux professionnels de santé, habitués à une pratique individuelle, renforcée par le secret médical. On s'aperçoit qu'aujourd'hui les professionnels de santé non seulement s'impliquent dans le dossier médical personnel, mais l'attendent. Ils ont en effet compris - et j'ai voulu leur apporter ces assurances très tôt, parce que c'est aussi une condition de la réussite et parce que je suis conscient de ce que représente aujourd'hui la charge de travail des professionnels de santé - qu'il ne saurait y avoir de double saisie avec le dossier médical personnel et qu'il nous faut partir de leur pratique actuelle pour offrir un DMP simple d'utilisation. La simplicité, je la revendique et je l'assume s'agissant du dossier médical personnel.
Enfin, la mise en place d'un espace de stockage du DMP lui-même, son hébergement avec les moyens d'accès à cet espace, le portail, ainsi que tout l'environnement ont également fait l'objet de questions.
Mais encore une fois, s'agissant des questions de sécurité, d'assistance téléphonique et d'information, le délai de mise en oeuvre que nous avons devant nous et le coût limité de l'hébergement vont nous permettre de relever, aujourd'hui et demain, le défi.
Il est également un autre point sur lequel je voudrais que l'on évite la caricature et que l'on se reporte à la constance de nos propos : le contenu du DMP.
Avant la loi du 13 août 2004, il n'existait aucun consensus, même sur le concept du DMP. La mise en oeuvre des expérimentations a permis de définir pour la première fois un accord sur le contenu.
L'alimentation et l'utilisation du DMP représentent aussi un véritable enjeu. Plus que l'aspect technique, lié notamment aux logiciels ou au matériel, c'est l'appropriation par les usagers qui est ici essentielle. Cela nous a conduits à imaginer un dossier médical personnel évolutif et concerté.
Dans un premier temps, les données seront fournies par les professionnels sous forme de documents, sans double saisie, et, dans un second temps, nous évoluerons vers des données plus structurées, qui permettront notamment de développer des outils d'aide à la décision, d'alerte, voire des images mobiles.
À cet égard, je voudrais notamment rappeler que, pour les alertes, il ne s'agit pas d'inventer quelque chose de tout à fait nouveau, dans la mesure où, chez les pharmaciens, il existe notamment un certain nombre de logiciels propres à donner l'alerte sur un certain nombre de médicaments susceptibles de provoquer l'iatrogénie.
Les expérimentations vont nous permettre de répondre aux dernières questions qui sont posées par les professionnels de santé.
Elles nous autorisent aujourd'hui à envisager la généralisation effective pour 2007, comme prévu. Elles nous offrent également la possibilité de montrer aux uns et aux autres l'utilité de ces outils et les réelles avancées qu'ils représentent.
Les expérimentations, monsieur le rapporteur spécial, ne se limitent pas à la phase de terrain. Lors de la phase préparatoire, nous avons atteint deux objectifs centraux : l'accord sur le contenu et la validité technique.
L'élaboration de plates-formes techniques réalisés par les six consortiums industriels - que vous avez rencontrés si j'en crois vos propos -, choisis par appel d'offres, a été menée avec succès de l'été 2005 jusqu'à ce jour. Elle a aussi permis de créer une dynamique autour du projet et de valider les orientations techniques qui pourront être reprises pour la généralisation.
J'avais entendu à l'époque que ce dossier n'intéresserait personne et qu'aucun industriel ne serait partie prenante dans ces expérimentations. Or, aujourd'hui, ils sont six à être complètement impliqués dans le dossier médical personnel.