Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la réforme des retraites de 2003 avait accordé aux personnes lourdement handicapées la possibilité de partir à la retraite de façon anticipée, à cinquante-cinq ans, sans se voir appliquer de décote sur le montant de leur pension.
Ce dispositif, initialement prévu pour les seuls salariés du régime général, a été ensuite étendu, par la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation à la citoyenneté des personnes handicapées, dite loi Handicap, aux personnes relevant du régime agricole et du régime des artisans ainsi qu'aux fonctionnaires.
L'octroi de cet avantage se justifie de lui-même : il prend en compte le fait que les personnes lourdement handicapées disposent rarement des capacités physiques pour se maintenir dans l'emploi, lorsqu'elles ont eu la chance d'en trouver un, jusqu'au terme légal de leur carrière.
Le bénéfice d'une retraite anticipée peut également être interprété comme une manière de mettre en oeuvre le droit à compensation du handicap. Il incombe en effet à la solidarité nationale de compenser les effets du handicap sur le montant des pensions de retraite des personnes handicapées.
Or, si la rédaction adoptée en 2003 permettait aux personnes lourdement handicapées de prendre leur retraite de façon anticipée sans décote, elle ne compensait pas pour autant le manque à gagner résultant d'une carrière raccourcie.
Je m'explique : même sans décote, la pension servie était calculée au prorata du nombre de trimestres réellement cotisés par le travailleur handicapé.
C'est la raison pour laquelle, lors du vote de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation à la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, nous avions approuvé la création d'une majoration de la retraite servie aux personnes handicapées en cas de départ anticipé, afin qu'elles disposent des moyens de subvenir à leurs besoins.
Dans un souci de précision législative, nous avions décliné ce principe selon les différents régimes de retraite, de façon à tenir compte de leurs spécificités.
Pour le privé, le mécanisme retenu permet aux salariés handicapés de bénéficier d'un trimestre validé gratuitement pour quatre trimestres réellement cotisés : la majoration de pension est donc proportionnelle à la durée travaillée. Le décret d'application nécessaire à sa mise en oeuvre a été publié en décembre dernier et ce cas de figure ne présente pas de difficultés.
Pour les fonctionnaires, dans la mesure où la distinction entre les trimestres cotisés et les trimestres validés n'existe pas dans leur régime, la loi Handicap a choisi de poser le principe d'une retraite à taux plein pour les fonctionnaires handicapés qui partent en retraite anticipée. Cependant, bien que publiées depuis plus d'un an, ces dispositions ne sont toujours pas entrées en vigueur, faute d'un décret d'application.
Pourquoi ? La rédaction que nous avions retenue contient en fait une malfaçon, bien involontaire, qui rend le dispositif particulièrement inéquitable.
En effet, il en résulterait d'abord une majoration de pension identique, quel que soit l'âge effectif de départ en retraite anticipée, et donc des écarts importants entre les personnes qui relèvent du régime général et celles qui relèvent du régime de la fonction publique.
Injustice supplémentaire, le bénéfice de cette majoration prendrait fin brutalement à soixante ans, ce qui entraînerait des situations personnelles singulières.
Rappelons tout d'abord que, dans les trois fonctions publiques, l'ouverture du droit à pension est subordonnée à une condition de quinze années de services civils et militaires effectifs et que, pour le calcul d'une pension, la valeur d'une année était, en 2005, de 2 % du traitement indiciaire des six derniers mois d'activité.
Prenons maintenant l'exemple d'un fonctionnaire handicapé qui disposerait de soixante-quatre trimestres validés, soit seize ans de service, à l'âge de cinquante-cinq ans, et donc de quatre-vingts trimestres validés, soit vingt ans de service, à cinquante-neuf ans et de quatre-vingt-quatre trimestres validés, soit vingt et un ans de service, à soixante ans. Étudions le cas de ce fonctionnaire selon le moment où il va décider de prendre sa retraite.
Grâce à la majoration de pension créée par la loi du 11 février 2005, cette personne pourrait partir à la retraite à cinquante-neuf ans avec une pension automatiquement égale à 75 % de son dernier traitement, même en n'ayant cotisé que quatre-vingts trimestres.
Mais, paradoxalement, si elle attendait d'avoir l'âge de soixante ans, elle ne percevrait plus qu'une pension calculée dans les conditions de droit commun, c'est-à-dire au prorata du nombre de trimestres effectivement cotisés, en l'occurrence quatre-vingt-quatre trimestres, et sa pension serait égale à 42 % seulement de son dernier traitement.
Vous conviendrez avec moi que cette situation aurait été bien singulière !
Pour résoudre cette difficulté, la commission avait déposé, lors de la deuxième lecture du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, un amendement portant article additionnel, qui a d'ailleurs été voté puis confirmé dans le texte définitivement adopté en commission mixte paritaire. Or le Conseil constitutionnel a invalidé cet article pour des raisons de procédure, car il a considéré que cette disposition n'avait pas sa place dans un texte relatif à la parité entre les sexes. Il a raison, mais nous espérions que cette disposition survivrait à son passage devant le Conseil.
J'ai donc déposé cette proposition de loi qui, si vous l'adoptez, rendra enfin possible la mise en oeuvre de la retraite anticipée des personnes handicapées dans la fonction publique.
Pour remédier à la malfaçon législative dont je parlais, je vous propose de renvoyer à un décret le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les fonctionnaires lourdement handicapés pourront bénéficier d'une majoration de pension de retraite. Ce décret devrait permettre d'aboutir à un mécanisme similaire dans son esprit à celui qui s'applique aux salariés du secteur privé, mais compatible avec les règles spécifiques du régime de la fonction publique. La majoration sera ainsi d'autant plus importante que le fonctionnaire handicapé aura cotisé longtemps et elle ne s'annulera plus au-delà de l'âge de soixante ans, comme ce serait le cas si l'on appliquait les dispositions actuelles de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.
Le texte proposé reprend très exactement celui sur lequel nous nous étions mis d'accord lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la commission des affaires sociales du Sénat n'y a apporté aucune modification.
Monsieur le ministre délégué, la présente proposition de loi est naturellement gagée. Cette précaution était nécessaire pour son dépôt, bien qu'un gage ne soit juridiquement pas opérant dès lors que l'on crée une charge nouvelle. Mais dans la mesure où la réforme proposée avait déjà recueilli, sur le fond, l'accord du Gouvernement, je me permets de solliciter la levée de ce gage.
Mes chers collègues, je vous remercie de bien vouloir adopter cette proposition de loi.