Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais aussi exprimer ma satisfaction – me semble-t-il, partagée – d’avoir pu trouver en commission mixte paritaire, avec nos collègues députés, un accord sur un texte qui tienne compte des propositions du Sénat, en particulier de l’important travail de fond réalisé au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, complété par celui de la commission des finances et de la commission des lois. Ces propositions sont équilibrées et vont dans l’intérêt des armées.
Après les intenses débats parlementaires, qui ont néanmoins permis à tous les points de vue de s’exprimer, je souhaite que cette LPM puisse entrer au plus vite en vigueur, car elle est un signal positif envoyé au monde combattant, qui l’attendait depuis longtemps.
Attendue, c’est en effet le premier mot qui me vient à l’esprit, lorsqu’il me faut évoquer cette loi de programmation militaire.
Attendue, car elle intervient dans un contexte international particulièrement troublé – il risque de l’être de manière durable –, qui remet au premier plan les questions de sécurité et les stratégies de puissance, lesquelles n’étaient plus des priorités pour une Europe réunifiée et stable – il faut bien le reconnaître.
Attendue aussi, parce que, face à ce contexte désormais instable et à des crises parfois mal anticipées, les armées françaises ont été engagées au-delà de leurs contrats opérationnels, et il a fallu beaucoup d’abnégation à nos militaires pour suivre le rythme des missions dans un contexte de déflation massive d’effectifs et de recrudescence des engagements. De l’Afghanistan au Mali, un certain nombre d’entre eux y ont perdu la vie. Par ailleurs, une partie des matériels des trois armées et de la gendarmerie est à bout de souffle et technologiquement dépassée.
Enfin, je crois que cette LPM revêt aussi une dimension psychologique, car elle envoie un signe aux militaires et à leurs familles : la Nation ne les oublie pas ! C’est également un signe envoyé à l’extérieur : la France compte rester un acteur majeur des relations internationales, en s’appuyant sur un outil militaire modernisé pour défendre ses intérêts et sa sécurité et demeurer une puissance industrielle en matière de défense, en partenariat avec ses voisins européens.
Concernant les apports du Sénat, je ne les rappellerai pas tous, ils ont en particulier visé à sécuriser les ressources de la programmation et renforcer le volet « à hauteur d’homme ».
Ainsi, au regard de son coût, réserver au service national universel un financement ad hoc, en dehors des ressources de la programmation militaire, semble la seule voie raisonnable. Il en va de même s’agissant des effectifs.
La clause de sauvegarde en cas de hausse des cours du pétrole – la crise actuelle n’incite guère à l’optimisme de ce point de vue – et le retour intégral aux armées du produit des cessions immobilières et des recettes locatives offrent un peu plus de sérénité pour l’avenir.
Le financement des opérations extérieures est revu au bénéfice du ministère des armées, qui verra sa contribution à leur surcoût résiduel limitée à sa part dans le budget général. Sera aussi prise en compte dans ce surcoût l’usure accélérée des matériels.
Le Sénat est attaché aux élus des territoires. En permettant aux militaires d’être conseillers communautaires dans certains établissements publics de coopération intercommunale, nous renforçons leur participation à la vie locale.
Des mesures ont été adoptées pour favoriser l’engagement dans la réserve, dont les armées auront de plus en plus besoin à l’avenir.
Enfin, le contrôle du Parlement sort renforcé de cette LPM.
Passé ce satisfecit restent les incertitudes évoquées lors des débats devant la Haute Assemblée.
Personne ne peut dire de quoi demain sera fait et, même en partant du postulat, non vérifiable à ce stade, que toutes les commandes seront honorées, cette LPM n’offre aucune marge de manœuvre et renvoie l’essentiel de l’effort à des échéances plus lointaines, comme l’ont montré les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées confortés par ceux, particulièrement précis, de la commission des finances.
Cette constatation n’est pas neutre, puisque, de fait, dans l’intervalle, subsisteront des tensions, voire des lacunes capacitaires préjudiciables aux missions. Il en va de même pour les effectifs, puisqu’une partie significative des créations nettes de postes interviendra dans la deuxième moitié de la programmation.
En matière maritime, il y a urgence à préserver nos espaces de ZEE. Le renouvellement des patrouilleurs ne le permettra qu’imparfaitement.
Les États-Unis, la Chine et la Russie renforcent leur puissance navale, sur et sous les mers. Nous devons là aussi être en mesure d’empêcher notre souveraineté d’être contestée et, en outre, de garantir le libre accès aux mers.
Pour les blindés, une accélération du programme Scorpion est prévue, ce qui est une bonne chose. Sous réserve que cette cadence soit maintenue sur sept ans, l’armée de terre aurait encore, dans le meilleur des cas, plus de la moitié de ses matériels roulants aux standards anciens en 2025. C’est problématique en matière de coût du MCO, mais aussi de protection des équipages. Je souligne quand même que 50 % des chars Leclerc auront été rénovés.
Vous avez, madame la ministre, fait le choix de la coopération européenne pour l’avenir. En tant qu’européen convaincu, je considère que c’est effectivement une bonne option, la seule voie possible au regard de l’effort à réaliser et de la recomposition du monde autour de quelques grandes puissances militaro-industrielles.
Le dernier salon Eurosatory vient encore de l’illustrer : le foisonnement des industries liées à la défense en Europe est réel. Cependant, la multiplicité de nos systèmes d’armes, de chars ou de frégates a été un handicap certain face à une concurrence qui se concentre sur quelques modèles par type d’équipement. En outre, de nouveaux acteurs de pays émergents, aux coûts de production moindres, apparaissent sur le marché.
Le calendrier, notons-le, s’est aussi accéléré depuis nos débats en séance, puisqu’ont été signées avec l’Allemagne deux lettres d’intention concernant des projets communs d’armement : l’une sur le système de combat aérien du futur ; l’autre sur le char de combat du futur. Si une étape est franchie, et nous nous en réjouissons, nous savons également que les écueils existent, les précédentes coopérations n’ayant pas toujours apporté pleine satisfaction.
Par ailleurs, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, voilà deux jours, lors du débat préalable au Conseil européen, si la priorité est donnée par la France à l’axe franco-allemand, ce que l’on comprend bien, ne laissons pas pour autant de côté le partenaire britannique, dont les compétences et le format d’armée sont proches des nôtres. Là n’est pas l’intérêt de l’Europe.
Pour terminer, je voudrais remercier le président Christian Cambon de la façon dont il a mené l’ensemble des débats. Je remercie aussi les services de la commission et l’ensemble des commissaires, notamment ceux du groupe Les Républicains.
Produire en commun sera un progrès considérable ; vendre aux voisins est une autre chose. Aussi, la préférence communautaire dans ce domaine stratégique est importante pour résister aux acquisitions de matériels américains et, demain peut-être, chinois.
Le Parlement suivra de près l’exécution de cette loi de programmation militaire dans les lois de finances successives afin d’éviter que les dépenses militaires ne servent, une fois de plus, de variable d’ajustement, ce qui aboutirait, in fine, à des effets pervers que nous avons pu mesurer ces dernières années.
Madame la ministre, je crois pouvoir dire que le Sénat sera attentif à ce que les engagements pris soient tenus. Nous le devons collectivement aux hommes et aux femmes de la défense.