En effet, nos marges de manoeuvre sont plus que réduites. Alors qu'il aurait dû diminuer, le déficit courant atteindra 2, 4 % en 2008, soit le même niveau qu'en 2007. En outre, la dette publique reste très élevée : près de 65 % du PIB ; les seuls intérêts de cette dette dépassent le déficit courant, puisqu'ils atteignent le pourcentage effarant de 2, 5 % du PIB. Par ailleurs, la progression des dépenses de l'État n'est pas encore maîtrisée, malgré les tentatives méritoires de vos prédécesseurs pour limiter cette croissance à zéro volume.
Comme l'a demandé M. le rapporteur général, les normes de progression doivent encore intégrer les dépenses fiscales et les prélèvements sur recettes affectées aux collectivités locales ou aux opérateurs publics. Or la Cour des comptes relevait récemment que, « depuis 2000, tous les programmes de stabilité ont retenu des objectifs de progression des dépenses compris entre 0, 3 % et 1, 3 % en volume, et n'ont jamais été respectés ». Vous avez vous-même reconnu que l'évolution des dépenses « inéluctables », telles que la charge de la dette ou les pensions, est désormais défavorable en raison de la hausse des taux. Cette tendance est lourde et difficile à inverser.
La stratégie économique du Gouvernement est ambitieuse, mais elle est aussi ambiguë. Ainsi, le train de mesures fiscales a pour objectif de relancer le pouvoir d'achat et de soutenir la croissance. Certaines dispositions vont donc dans le bon sens : défiscalisation des heures supplémentaires, abaissement du bouclier fiscal ou défiscalisation aux trois-quarts de l'ISF investi dans les PME. Mais cette politique a aussi pour effet d'alourdir la dépense publique de 13 milliards d'euros, sans financement à due concurrence certain.
Nombre d'experts placent la politique de désendettement au coeur de toute stratégie de relance, comme MM. Camdessus et Pébereau pour ne citer qu'eux. Vous venez vous-même de faire ce constat. Dès lors, pourquoi aller moins vite, moins haut, moins fort que nos partenaires ? Je souhaiterais que vous me répondiez, monsieur le ministre.
En repoussant à 2012 la stabilisation espérée de notre dette dans les critères de convergence, nous nous illustrons une nouvelle fois à notre désavantage. De procédure de déficit excessif en promesse d'assainissement toujours repoussée, notre crédibilité ne pèse guère à côté de celle de notre voisin allemand, qui partait d'encore plus bas que nous.
En moins de trois ans, le gouvernement d'Angela Merkel aura ramené le déficit à 0, 3 % en 2008 et table sur un excédent budgétaire d'ici à 2011. À cette date, nous pourrons au mieux espérer ne pas être trop déficitaires. C'est une perspective bien médiocre !
L'accoutumance au déficit est une drogue dure dont nous devons nous désintoxiquer. On a le sentiment que vous faites le pari de la croissance par la seule consommation et non par l'offre, l'assainissement et les économies. Vous faites le pari d'une croissance à 2, 5 %, et même à 3 %, que vous voulez entretenir par des mesures peut-être stimulantes, mais coûteuses. Qu'adviendra-t-il si nous restons à la moyenne de ces dix dernières années ? Dans ce cas, vous le savez, le remède sera très douloureux.
Par conséquent, quelle que soit cette croissance hypothétique - forte ou faible -, le préalable, ce sont les économies. Le gisement existe : cherchons les moyens les plus efficaces de l'exploiter, comme vous venez d'y encourager nos administrations. Si nos dépenses publiques se situaient dans la moyenne européenne, nous économiserions plus de 100 milliards d'euros ! Mais, pour cela, il nous faudrait du courage, beaucoup de courage ! Ce gouvernement n'en manquera pas, espérons-le, pour exploiter cet énorme potentiel.
Pourquoi la France ne réussirait-elle pas ce que de nombreux États sont parvenus à faire ? Les cas foisonnent ! Trois d'entre eux ont le mérite de l'exemplarité.
Entre 1994 et 2003, la Suède a réformé sa procédure budgétaire en adoptant une programmation triennale contraignante et créé des agences distinctes de l'État, pécuniairement responsables à son égard, afin de gérer les politiques publiques, de diminuer le nombre de fonctionnaires de 15 % et de réduire la dépense publique de dix points. Résultat : la dette est passée de 80 % à 51 % du PIB ; les dépenses de santé et d'éducation ont augmenté ; les efforts de recherche accomplis placent la Suède au deuxième rang mondial par habitant ; enfin, le taux de chômage avoisine les 6 % !
Sur la même période, le Canada a réduit de dix points ses dépenses publiques et ses effectifs de fonctionnaires, tout en concentrant les économies réalisées sur les dépenses d'innovation. Résultat : le taux de croissance annuel moyen a atteint 2, 6 %, contre 1, 7 % en France ; l'endettement de l'État a diminué de vingt-quatre points ; le taux de chômage a été réduit de trois points ; la qualité des services de santé s'est améliorée.
En vingt ans, la Nouvelle-Zélande a redressé une situation encore plus grave que la nôtre. Grâce à une politique audacieuse de diminution des dépenses, les trois gouvernements travaillistes qui se sont succédé à partir de 1984 ont ramené la dette publique de 63 % à 17 % du PIB. Le budget de l'État est aujourd'hui excédentaire et le taux de chômage est inférieur à 4 %.
C'est à ce courage tant vanté par le Chef de l'État que je vous exhorte, monsieur le ministre. Votre objectif de replacer la France dans le grand jeu de l'économie mondiale pour les cinq prochaines années reçoit notre soutien, mais sa mise en oeuvre appelle deux remarques.
Premièrement, les dépenses supplémentaires doivent impérativement être couvertes par l'élimination des dépenses superflues. À cet égard, les pistes ne manquent pas, comme vous l'avez rappelé ce matin : chasse aux niches fiscales infondées ou obsolètes, rationalisation des dépenses de fonctionnement des administrations, lutte contre la fraude fiscale, diminution raisonnée du nombre de fonctionnaires, frein à l'exil fiscal, encouragement au retour des exilés fiscaux. À ces dépenses, j'ajouterai les 15 milliards d'euros supportés chaque année par l'État pour compenser l'allègement de charges résultant du passage aux 35 heures, dépense absurde dont nous devrions vraiment faire l'économie désormais !
Les crédits nouveaux ainsi dégagés devront être prioritairement affectés au remboursement de la dette et à des dépenses d'investissement sanctuarisées, à l'image de ce qu'impose le code de stabilité budgétaire britannique.
En toute hypothèse, toute dépense nouvelle devrait, avant même son ordonnancement et après simulation, être justifiée en termes de satisfaction de l'intérêt général et de rentabilité.
Deuxièmement, l'attractivité économique de notre pays nous oblige à vous interroger, monsieur le ministre, sur la pertinence de notre fiscalité.
Il faut cesser de pénaliser ceux qui ont le courage d'entreprendre en taxant toujours davantage les facteurs de production ! Il faut cesser de sanctionner ceux qui réussissent en frappant leur patrimoine ! Il faut cesser de punir les entreprises qui font des bénéfices en créant, ici ou là, des taxes additionnelles et autres surcotisations !
Pour aller plus loin, et pour dire clairement les choses : engendrer des richesses, en posséder, est-ce contraire aux lois de l'économie ?
Plus concrètement, et en se fondant sur la seule approche économique, il convient de se demander si l'ISF est un bon ou un mauvais dispositif pour notre pays. La question n'est pas nouvelle et provoque ici des passions aveugles, là des crispations gênées.
Seuls trois des vingt-sept pays de l'Union européenne ont conservé une telle imposition du patrimoine. Or l'ISF cristallise la quasi-exception fiscale française, si défavorable à la venue des investisseurs étrangers.