Enseignement n° 3 : le débat entre régimes par points ou régimes en comptes notionnels n'a qu'une faible portée politique.
Les trois réformes systémiques observées ont toutes transformé des régimes dits à prestations définies gérés en annuités, en des régimes à cotisations définies gérés en points ou en comptes notionnels.
Un mot au préalable sur la distinction entre « régime à prestations définies » et « régime à cotisations définies ». Dans un régime à prestations définies, le risque financier est supposé reposer sur l'État qui s'engage sur un niveau de pension quelle que soit la situation financière du régime. Dans un régime à cotisations définies, le risque est porté par l'assuré qui peut voir sa pension diminuer en cas de déséquilibre du régime.
Cette distinction me paraît devoir être relativisée.
Lorsqu'en France, dans un système à prestations définies, la réforme des retraites de 1993 modifie la règle d'indexation des « salaires portés au compte » et des retraites en la fondant non plus sur l'évolution des salaires mais sur celle de l'inflation, moins dynamique, elle diminue relativement les prestations des assurés et leur fait porter l'ajustement financier du système de retraite. Il en est de même pour les 60 % de retraités qui ont vu leur CSG augmenter et donc leur retraite baisser.
Je le dis, car on agite souvent des peurs faciles en dénonçant la logique d'un système à cotisations définies qui serait par nature plus injuste pour les retraités.
J'en viens aux différences entre les comptes notionnels et les points, dont je rappelle qu'ils sont tous des régimes par répartition (les actifs payent toujours pour les retraités en accumulant leurs propres droits).
Dans un régime en annuité, l'assuré cotise pendant une certaine durée et lorsqu'il atteint un âge pivot (âge minimum légal), sa pension est calculée en fonction d'un salaire moyen de référence calculé sur une période variable (par exemple les six derniers mois ou les X « meilleures années »).
Les régimes par points ou en comptes notionnels, changent cette logique en fondant le calcul de la pension, non plus sur un nombre de trimestres cotisés et un salaire de référence, mais sur l'accumulation tout au long d'une carrière d'un capital virtuel convertible en rente.
L'Allemagne en 1992 a fait le choix pour son régime de base d'un système en points. L'assuré accumule tout au long de sa carrière des points dont le nombre dépend chaque année d'un ratio entre la rémunération du salarié et la rémunération moyenne des assurés.
Un salarié au salaire moyen acquiert ainsi un point par an. Le nombre de points accumulés est ensuite converti en rente par un coefficient lors de la liquidation de la retraite.
Pour leur régime de base, la Suède et l'Italie ont opté pour un système en comptes notionnels. En cotisant, chaque actif alimente un capital retraite virtuel en euros (ou couronnes suédoises). Ce capital est revalorisé chaque année en fonction, non pas de l'inflation, mais de l'évolution des salaires de façon à permettre qu'un euro cotisé rapporte la même chose quel que soit le moment où il a été cotisé. Comme pour les points, ce capital virtuel est ensuite converti par un coefficient pour le transformer en rente.
Qu'ils soient en points ou en comptes notionnels, ces régimes sont essentiellement pilotés par le coefficient de conversion qui ajuste le niveau des pensions en fonction de l'espérance de vie d'une même génération. Le régime est soutenable par nature car le montant des pensions d'une même génération (personnes nées la même année) est défini en fonction des cotisations qu'elle a versées tout au long de la vie active.
Les régimes par points ou en comptes notionnels relèvent de cette même logique. L'arbitrage entre les deux repose plus sur des arguments techniques que politiques. Le choix d'un futur régime en points semble d'ailleurs acquis.
Quatrième enseignement : empiriquement, « réforme systémique » ne signifie pas « réforme définitive ».
Les réformes systémiques observées ont toutes été suivies de multiples réformes, devenues alors paramétriques, visant à renforcer soit les mécanismes d'équilibre financier des systèmes en limitant les dépenses de retraite, soit au contraire en corrigeant certaines règles trop sévères des régimes mis en place.
Ces deux aspects se retrouvent dans les réformes qui ont suivi la réforme systémique allemande de 1992.
En 2001 sous le Gouvernement de Gerhard Schröder, la perspective d'une diminution du niveau de vie des retraités induite par les nouvelles règles a entraîné la création d'un dispositif de retraite complémentaire individuelle par capitalisation, les « Plans Riester » sur lesquels nous reviendrons tout à l'heure. La réforme de 2001 acte ainsi que la priorité est donnée à l'équilibre financier du régime de base et non plus au maintien du niveau de vie des retraités.
Deux nouvelles réformes sont intervenues en 2004 et 2007 pour introduire un facteur de viabilité dans le coefficient de conversion des points et augmenter l'âge de la retraite à taux plein à 67 ans. Une première mesure de recul de l'âge à 65 ans était déjà intervenue en 1992. Les réformes de 2014 et 2017 ont au contraire augmenté les retraites des mères de familles et assoupli les départs anticipés.
En Italie, la réforme Dini a été suivie d'une série de réformes dans les années 2000 qui ont accéléré la transition vers le système contributif tout en augmentant l'âge de départ à la retraite.
Mais c'est véritablement la réforme de 2011, menée par la ministre du Travail Elsa Fornero en plein coeur de la crise de la dette publique italienne, qui en constitue le principal ajustement. Adoptée en 15 jours sous la pression des marchés financiers dans un paquet législatif et budgétaire appelé « Salva Italia », la réforme Fornero a introduit un mécanisme de recul automatique de l'âge de départ à la retraite en fonction de l'augmentation de l'espérance de vie. La réforme a prévu également d'aligner l'âge de départ à la retraite des femmes sur celui des hommes.
En Suède, après le vote en 1994 et 1998 des textes instaurant la réforme systémique des retraites à compter du 1er janvier 2003, un troisième texte a été adopté en 2001 pour instituer les mécanismes d'équilibre du régime. Une réforme est actuellement en réflexion pour augmenter l'âge minimum légal de 61 à 64 ans, le niveau des pensions étant jugé trop faible.
La conclusion que nous tirons de cette chronique des réformes postérieures aux réformes systémiques est bien qu'elles ne signifient en rien une réforme définitive !
Le Président de la République entendait pendant sa campagne « stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes ». Qu'il nous soit permis, à la lumière des expériences étrangères, d'être moins catégoriques.
Des réformes paramétriques seront toujours nécessaires pour adapter notre système de retraite à l'allongement de la durée de la vie et à la baisse du ratio démographique.
Elles seront d'autant plus nécessaires que la question de l'équilibre financier du système de retraite n'est pas, à ce stade, prise en compte.
Le dernier rapport du Cor, s'il montre la maîtrise de la dépense dans le temps, constate qu'à législation constante le système de retraite demeure déséquilibré financièrement dans tous les scénarii de croissance jusqu'en 2035. Il convient donc d'être lucide : la réforme de 2019 devra traiter inévitablement de cette question !